Algérie

Attitudes et moyens


La part de la culture dans la question de ramassage d’ordures Ni les pouvoirs publics ni l’ensemble des ci-toyens des localités qu’ils gèrent ne semblent résolument déterminés à regarder en face la question du ramassage d’ordures. Alors que, individuellement, il s’en plaint, faute d’action structurée ou de communication avec ses voisins et avec ses représentants locaux ou leurs supérieurs, le citoyen algérien semble s’être abandonné à l’état d’insalubrité public ou, quand il le peut, à des pratiques qui lui permettent à des degrés divers de sauver son seul environnement immédiat. Cependant, s’il arrive à maintenir propre son chez-soi et trottoir devant sa maison, il n’empêchera pas pour autant que, çà et là, dans son quartier, les ordures s’amoncellent, un temps ou durablement. Les éboueurs, avec leurs moyens tout compte fait dérisoires, parfois inadaptés, semblent lutter désespérément contre une bête gigantesque qui se reproduit inexorablement à un rythme débordant, un rythme qui suit pourtant celui de notre consommation ménagère. Dans ces conditions, et autres problèmes de travail, ils perdent toute conviction. Ils savent que leur bataille est perdue d’avance. Alors ils passent comme des coups de vent, emportant ce qu’ils peuvent et laissant là ce qu’ils jugent «irramassable». Ainsi, dans cette question, nous sommes comme dans un Désert des Tartares: nous entendons, ou croyons entendre des balbutiements de décisions salutaires; nous voyons parfois soudain les rues propres, lavés, bitumées sous des drapeaux nationaux parfumés; des matins, nous sommes réveillés par les bruits d’un moteur de camion suivis de voix d’éboueurs dont nous voyons, dans une sorte d’enchantement religieux, les fantômes passer furtivement; nous sentons la puanteur qu’on déverse en criant d’avancer... Mais, dès que les bruits cessent et les mirage s’effacent, nous voyons que nos ordures sont toujours là: ils le resteront pour plusieurs jours. Ainsi ne cesserons-nous jamais de rêver de l’évènement qui nous élèvera au grade d’hommes vivants dans un environnement propre. Evidemment, il en serait tout autrement, pour ne pas dire que la question serait réglée, si les pouvoirs publics consacraient plus de moyens aux ramassages, et plus généralement à l’assainissement (élever le nombres de bennes ou camions adaptés, recruter davantage de travailleurs, organiser l’action de ramassage) et si, en retour, le citoyen respectait les normes et les horaires quand il s’agit de déposer ses ordures. On se demande si souvent pourquoi il n’en est pas ainsi, parce que matériellement rien ne semble l’empêcher. Quand on considère les gros budgets alloués par l’Etat à l’urbanisation et les sacrifices consentis par le citoyen pour acquérir un habitat, face au peu d’intérêt accordé à la question que nous soulevons ici, nous sommes forcés de dire que la carence de la part des pouvoirs et l’attitude du citoyen (matériellement, la première engendrant souvent l’autre) relèvent aussi d’»une vision des choses»; elles sont liés aux nouvelles valeurs morales qui s’installent dans notre société, à notre dérive culturelle. Sans se perdre à identifier les priorités dans les conditions de vie, nous pouvons relever cette évidence: les efforts consentis par les pouvoirs publics d’abord et par les citoyens ensuite, à nettoyer, proportionnellement à celui faits par les premiers de construire ou par les seconds pour avoir un habitat, sont bien en deçà de ce qui requiert une vie saine et digne. Devant de somptueuses villas, des ordures sont déposées des jours et des jours alors que tout le monde semble dire «ça ne m’appartient pas», ou afficher une totale impuissance à apporter une solution. C’est comme si individu et pouvoirs publics ont intégré l’idée que ce qui fait la valeur de l’homme c’est posséder, ou que le bien-être dépendrait seulement de ce que chez-soi, au mieux juste devant chez-soi aussi, les conditions soient vivables. Entre-temps les individus ont perdu -et ne cherchent plus à le rétablir- tout dialogue entre eux et entre eux et les pouvoirs publics, sur cette question (comme sur d’autres, me dira-t-on); les pouvoirs publics agissant comme gênés de s’occuper de ce qui relève du dessous du ventre de leurs citoyens. A ce stade là, tous les agents concernés par notre propos seraient en passe d’intégrer l’idée que le ramassage des ordures est chose honteuse: les pouvoirs locaux glissant sur la question, ne voulant s’y pencher de manière plus manifeste, méthodique et suivie; les citoyens mal résolus à s’en plaindre de manière organisée; les travails d’hygiène faisant leur travail presque en fuite, à contrecœur plus que d’autres. Une psychanalyse sociale finement menée pourrait rendre compte de ce que manifestent ces comportements, notamment de l’idée que se fait l’Algérien de lui-même et de sa vie ainsi que de son appréhension des rapports avec son entourage. Idée en tout cas sûrement non étrangère à l’égoïsme primaire de désir de s’affirmer par la possession, la haine comme de l’ordure de ce qui n’est pas soi, l’indifférence envers ce qui n’est pas directement à nous. Avec tout ce que cela engendre au bout du fil comme effacement de la sociabilité et destruction suicidaire des conditions de vie.
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)