ATTITUDES La folie des grandeurs

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Elle rêvait d'un papa jeune, fort, beau et riche, d'une maman instruite, d'une grande maison avec des domestiques, un rêve qu'elle n'a jamais vu se réaliser. Pour se consoler, elle s'est créé le monde qu'elle a toujours souhaité. Toute petite déjà, Sihem, cette fille unique, tant adorée par ses parents, racontait à toutes ses camarades que le papa longiligne, au dos légèrement voûté, aux cheveux presque blancs qui venait l'attendre devant l'école n'est autre que le chauffeur.
La maman, que l'on ne voyait jamais car elle faisait le ménage pour que Sihem ait les plus belles robes, les meilleures chaussures et qu'elle ne manque jamais de rien, est toujours en voyage d'affaires. Que le F2 dans lequel ils vivent, bien que doté de tout le confort et les commodités, s'est transformé en une somptueuse villa dans un quartier résidentiel. Sihem voulait rivaliser avec Mimi, cette blonde aux boucles d'or, qu'une rutilante voiture noire déposait à l'école tous les jours. Elle faisait l'admiration de tous les élèves qui la regardaient avec envie. Sihem, elle, la fusillait de ses yeux, en pensant dans son for intérieur :
- Tu ne perds rien pour attendre, bientôt c'est moi que l'on va admirer.
En rentrant à la maison, Sihem jette tout son venin sur son pauvre papa qui lui prépare son déjeuner, prend soin de ne pas trop griller sa viande ou trop chauffer sa purée de pommes de terre. Elle prend son air le plus triste et lui dit :
- Papa, pourquoi nous ne sommes pas riches ' Pourquoi il n'y a pas de chauffeur qui me conduit à l'école comme Mimi ' Ce n'est pas juste.
Le père, profondément vexé, se sentant coupable de leur situation précaire, lui promet que la prochaine fois elle ira en voiture à l'école. Elle reprendra son air le plus sournois et remerciera son papa. Sitôt dit, sitôt fait. Le lendemain le paternel engagera un chauffeur qui sera chargé de son transport. Sihem s'arrangera pour que son chauffeur la dépose à quelques mètres du portail de l'établissement pour que tous les élèves puissent l'admirer à son tour. Elle descendra de la voiture et jettera un regard narquois à tous ceux qui la regardaient ; manque de peau ce jour-là et au même moment, Mimi claquera la porte d'une nouvelle voiture d'un rouge éclatant devant les yeux exorbités des écoliers. Sihem, personne n'y prêtera attention. Le visage rubicond, elle dévalera les escaliers de l'école et ne dira pas un mot de toute la journée. Elle rentre chez elle, boudera son père, refusera de parler avec sa mère qu'elle culpabilisera de ne jamais être à la maison pour lui servir son déjeuner, de faire la boniche chez les autres parce qu'elle était illettrée. La mère pleurera les larmes de son corps en répétant à sa fille :
- Mais c'est pour toi que je fais cela, parce que la pension de retraite de ton papa n'est pas suffisante. Pour que tu aies tout ce que tu désires, pour que tes camarades ne se moquent pas de toi. Sihem insensible à ses jérémiades lui lance froidement :
- Mais tu ne pourras jamais m'offrir une grande maison avec des domestiques qui me servent et un chauffeur qui m'emmène où je veux !
A 35 ans, Sihem épousera un riche industriel étranger, aura la maison de ses rêves, des domestiques, voyagera. Et n'avouera jamais à son époux ses origines sociales. Elle conservera ainsi intacte sa folie des grandeurs.