Algérie

ATTITUDES



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En déambulant à travers les rues de la capitale, j'ai marqué un temps d'arrêt devant le cinéma L'Afrique, puis, sans m'en rendre compte, mes souvenirs me replongent dans les années 1970.
Par une soirée hivernale, ma sœur, moi ainsi que ma cousine avions une envie folle de voir le film à l'affiche qui nous venait tout droit d'outre-mer : L'Homme orchestre, incarné par Louis de Funès. Il avait fait fureur et on avait la chance qu'il soit projeté juste un mois après chez nous. Ce soir-là , nous avons décidé d'amadouer ma tante afin qu'elle nous accompagne au cinéma en soirée. Nous avons usé de tous les stratagèmes pour lui arracher le oui. Le dîner avait été préparé par notre aînée qui avait 15 ans, la vaisselle lavée, séchée et rangée par mes soins, les lits faits par ma cousine. Ma tante, après quelques hésitations, finit par abdiquer. Sans perdre un instant, et de peur qu'elle ne change d'avis, nous nous sommes habillées très vite et nous voilà au pas de la porte. «Une minute, laissez-moi enfiler mon manteau et me regarder une dernière fois dans la glace.»
Nous avions la chance d'habiter la rue Hassiba, à moins de 1000 m du cinéma L'Afrique. Nous y allons à pied, en humant l'air frais de ce mois de février.
Chemin faisant, nous apercevons les cinéphiles par petits groupes qui se dirigeaient eux aussi vers la même salle. Il y avait foule devant le guichet et il fallait faire vite pour acheter les billets. L'affiche gigantesque nous fascinait et nous nous empressons d'admirer les photos illustrant des séquences du film qui nous mettaient en condition. Tata, tout en brandissant les tickets, nous fait signe de la rejoindre. Une dame d'un âge moyen, la placeuse, sourire aux lèvres, prit les billets et nous demanda de la suivre. Elle nous dirigea vers nos sièges situés sur le balcon. Ma tante, comme le voulait le savoir-vivre, lui glissa une pièce de monnaie dans la poche de sa blouse, après l'avoir remerciée.
C'étaient les meilleures places et, bien entendu, les plus chères par rapport à celles de l'orchestre. Nous nous installons confortablement tout en dominant la salle qui nous subjugua par son immensité, ses courbes, ses fauteuils de velours rutilant, ses immenses tentures, ses lumières éblouissantes et, surtout, ses senteurs ; un mélange de tabac émanant des pipes, de cacahuètes, d'esquimaux glacés et autres friandises qu'une vendeuse venaient proposer à la criée aux spectateurs avant le lancement du film. Par endroit, cette fraîcheur humide qu'on sentait et respirait et que l'on ne trouvait pas désagréable.
A l'époque, l'air conditionné n'existait pas. Et ces effluves de parfum de femmes élégantes qui se sont faites belles comme pour se rendre à une cérémonie de mariage. Les plus chics ne manquaient pas de sortir leurs fourrures pour l'occasion. Balcon et orchestre affichaient complet. Après un prélude musical, les lumières s'éteignirent, et c'est le noir le plus total. Le film commence. Mais voilà que l'on aperçoit au loin un filet de lumière que projette la placeuse grâce à sa lampe électrique carrée pour installer les quelques retardataires.
Il est 21h, la séance dura deux bonnes heures de pur plaisir. Les lumières se rallument et les amateurs du grand écran, le sourire encore aux lèvres, se lèvent en faisant claquer leurs sièges. Ils enfilent leurs manteaux et par vagues se dirigent vers la sortie en commentant le film.
Il est un peu plus de 23h. Dehors, une pluie fine commence à tomber. Nous riions encore en passant en revue quelques scènes. Nous n'étions pas les seuls. Par grappes, ceux qui empruntaient le même chemin faisaient autant. «Allez, pressez le pas avant qu'il ne tombe des cordes», nous ordonna tata.


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