Algérie

Aruj (Arūdj-Aroudj)



Aruj (Arūdj-Aroudj)
1Fondateur de la régence d’Alger, avec son frère Khayr ed Din. Mort en 1518, à l’âge présumé de 45 ans, probablement aux environs d’Oujda.

2La légende, autant que l’histoire, nous informe sur la vie d’Arūdj. D’autre part, les renseignements fournis par les chroniques de l’époque sont souvent contradictoires. Nous nous sommes bornés aux faits bien établis mais la chronologie en est parfois incertaine.

3Arūdj naquit dans l’île de Midilli (Mytilène). Son père Yakūb Reis possédait un navire et se livrait au commerce de cabotage, aidé de ses quatre fils Elias, Arūdj, Kayr ed Din et Isaq. A sa mort, les deux aînés armèrent en course, mais Elias devait trouver la mort dans une rencontre avec une galère de Rhodes tandis qu’Arūdj était capturé. S’étant évadé, il reprenait aussitôt la mer, choisissant Alexandrie pour port d’attache. Ses expéditions l’amenèrent rapidement sur les côtes italiennes et il en vint un jour à relâcher à Djerba pour vendre son butin.

4Ce premier contact avec le Maghreb se transforma rapidement en établissement définitif. Avec l’accord du sultan hafside de Tunis, Abou Abdallah (1494-1526) intéressé à ses prises, il se fixa avec ses frères à La Goulette vers 1504. Corsaire heureux et bien en cour, il rassembla bientôt une flotille de 8 galiotes montées par un millier d’hommes.

5L’apparition des Espagnols sur les côtes barbaresques allait une première fois infléchir l’orientation d’Arūdj, tournée jusqu’ici vers la course maritime.

6En effet, après avoir occupé Oran (1509), puis le Peñon d’Alger, Pedro Navarro obtenait la soumission de Dellys et s’emparait de Bougie (1510). Or Bougie était gouvernée par un prince hafside, Abd el Azziz, plus ou moins dépendant de Tunis. Cette parenté ne fut sans doute pas étrangère à la décision que prit Arūdj de répondre à l’appel du frère et rival du souverain déchu, Abou Bekr, qui tentait, avec des contingents kabyles, de reprendre la ville pour son propre compte.

7En avril 1512, l’escadre d’Arūdj, forte de 12 bâtiments, attaquait Bougie par la mer tandis que les Kabyles donnaient l’assaut, côté terre. Grièvement blessé au bras, Arūdj devait lever le siège et regagner Tunis où, en remerciement de ses efforts, le sultan l’aurait nommé Caïd de Djerba.

8Mais le résultat le plus net de cette attaque manquée, outre la perte d’un bras, avait été de mettre Arūdj en contact avec les Kabyles dont il avait apprécié le courage. Un an après ces événements, une flottille gênoise débarquait à l’improviste à Djidjelli et laissait une garnison dans le fortin commandant le port. La réaction des habitants et des tribus voisines fut naturellement de faire appel à Arūdj. Or l’escadre de ce dernier vint à mouiller sur ces entrefaites à l’ouest de la ville. Les négociations furent menées par Si Ahmed ben el-Kadhi, fils d’un marabout dont la famille avait été longtemps favorable aux Hafsides. Son père, Si Amar, originaire des Beni Ghobri, dirigeait à Kouko, chez les Aït Yahya, une zaouïa réputée et jouissait d’une grande influence sur la confédération des Zouaoua.

9La prise de Djidjelli s’effectua sans difficulté. Profitant de l’enthousiasme des contingents kabyles rassemblés par Si Ahmed, le corsaire les entraîna sur Bougie. Mais cette seconde attaque échoua comme la première (août 1514). De retour à Djidjelli, Arūdj et ses frères, en accord avec la population qu’ils ménageaient ostensiblement, constituèrent la cité en petite principauté indépendante, servant de base à leur flotte.

10L’échec devant Bougie fut attribué à la fois à l’abstention malveillante du Hafside de Tunis, qui commençait, à bon droit, de suspecter la nature des projets d’Arūdj et à l’appui prêté aux Espagnols par une autre famille maraboutique, les Amokran, retranchée dans la Qalaa des Beni Abbès, dont la zone d’influence s’étendait sur la rive droite de l’oued Sahel. Ennemis traditionnels des Ben el-Kadhi de Kouko, ils avaient depuis peu à leur tête un jeune ambitieux, Si Abd el-Azziz, qui pensait visiblement à étendre son pouvoir avec l’aide des armes à feu obtenues des Espagnols en échange de ravitaillement.

Arudj (Baba Aruj) d’après C. Vignon. (Iconographie de l’Algérie, pl. II, 2).

Arudj (Baba Aruj) d’après C. Vignon. (Iconographie de l’Algérie, pl. II, 2).
Zoom Original (png, 868k)
11Sur ces entrefaites, le concours d’Arūdj fut une fois de plus sollicité ; mais cette fois par le souverain d’Alger, Etteumi, qui avait repris les hostilités contre le Peñon à la mort du roi d’Espagne, Ferdinand (22 janvier 1516). Arùdj cingla aussitôt vers Alger. Mais, n’ayant pu prendre le Peñon et grâce sans doute à des complicités locales, il s’emparait de la ville, mettant à mort Etteumi, en attendant l’arrivée des contingents kabyles que devaient lui conduire son frère Kheyr ad Din et Si Ahmed ben el Kadhi. Ceux-ci, rassemblant 5 000 hommes, moitié de la région de Djidjelli, moitié de Grande Kabylie, arrivèrent à temps pour repousser la tentative de Diego de Vera, venu ravitailler le Peñon et conquérir Alger (sept. 1516).

12Vainqueur des Espagnols, disposant d’un riche butin, maître d’une cité plus importante que Djidjelli, Arūdj va désormais abandonner définitivement sa carrière de corsaire pour celle de conquérant terrestre et désormais travailler pour son propre compte. Mais il eut, semble-t-il, conscience de la nécessité où il se trouvait d’asseoir auparavant, par personnes interposées, son autorité sur la Kabylie d’où il tirait la masse de ses troupes. L’opération fut confiée à son frère Khayr ed Din « chargé des affaires de l’Est ». Ce dernier, regagnant Djidjelli par mer, recueillit la soumission attendue de Dellys, puis, en liaison avec Ben el Kadhi, marcha sur les Beni Abbès. Si Abd el-Azziz, convaincu de l’inutilité d’une résistance, fit aussitôt soumission, renonçant à ses rapports avec Bougie (Ben Khiar, 1517).

13Ayant ainsi assuré ses arrières, Khayr ed Din rejoignait en juin de la même année son frère Arūdj qui se maintenait difficilement à Alger. Il lui amenait une armée enthousiaste, kabyle en sa quasi totalité. Aux contingents de la Petite Kabylie et de Kouko s’étaient même joints, semble-t-il, quelques Beni Abbès.

14Arūdj pouvait alors entreprendre cette étonnante équipée qui devait le mener jusqu’à Tlemcen, capitale du dernier état algérien indépendant, encore au mains des Abd el-Wadites ; successivement Cherchel, gouvernée par un concurrent turc, Kara Hassan, Miliana, Médéa, Tenès, occupée par un Abd el-Wadite dissident, étaient conquises. La Qalaa des Beni Rached, dernière place forte des Tlemceniens, tombait à son tour. Une garnison turque y était laissée sous le commandement d’un autre frère, Isaq. Enfin, les dernières forces abd el-Wadites étaient écrasées à l’Ahgbal.

15En septembre 1517, Arùdj entrait à Tlemcen. Mais le souverain déchu, Abou Hamou, fort de l’appui des Espagnols d’Oran, rassemblait ses partisans et reprenait la lutte. En février 1518, ses contingents bloquaient Isaq dans la Qalaa. L’arrivée de secours espagnols commandés par Don Martin de Argote permettait d’emporter la place. Isaq trouvait la mort pendant le combat. Ce succès déclenchait une révolte anti-turque. Mostaganem et Honeïn chassaient leurs garnisons. Tenès était bloquée par les tribus du Dahra, ce qui coupait toute retraite par mer à Arūdj, toujours assiégé dans Tlemcen et dont les troupes commençaient à se disperser.

16En mai, le marquis de Comarès, à la tête de forces espagnoles et abd el-Wadites marchait sur la ville où il rétablissait Abou Hamou. Arūdj, fugitif, chercha alors, selon les uns, à gagner le Maroc dont il avait sollicité l’aide et fut tué dans une escarmouche à Hudexa, que l’on identifie à Oujda. Selon Haedo, il fut tué près du Rio Salado, en cherchant à gagner la côte. Cette dernière affirmation est difficile à admettre ; tout l’est de Tlemcen était en effet entre les mains de ses ennemis et Arūdj en y pénétrant scellait son propre sort. Toujours est-il que la mort d’Arūdj allait bouleverser l’équilibre kabyle. En effet, des contestations ne tardèrent pas à naître entre Turcs et gens de Kouko. Les premiers se plaignant d’avoir été mal soutenus par les seconds et ces derniers d’avoir été entraînés dans une méchante affaire.

17C’est sans doute parce qu’il comprenait qu’il ne pourrait plus compter longtemps sur le concours de Kouko, que Khayr ed-Din, successeur d’Arūdj, prit la décision inattendue de faire hommage de ses possessions au sultan de Constantinople. Ce dernier lui envoya aussitôt 2 000 janissaires dont l’armement mettait son nouveau vassal à l’abri de toute mauvaise surprise.

18Mais cette mesure allait accélérer la rupture. Le sultan hafside de Tunis, privé désormais de tout espoir de retrouver ses territoires perdus, entreprit de ramener à lui les Ben el-Kadhi pour reprendre la lutte contre le Turc. Si Ahmed fut long à rompre l’alliance. Au bout de deux années, le conflit éclatait cependant, qui allait durer jusqu’en 1529 (mort au combat de Si Ahmed), avec des fortunes diverses : pendant plusieurs années, les Kabyles de Kouko contrôlèrent Alger d’où ils avaient chassé Khayr ed-Din. Comme il était loisible de le prévoir, ce dernier fit alors des offres aux Beni Abbès de Si Abd el-Azziz, qui remplacèrent bientôt, dans les mehalla turques, les gens de Kouko, désormais soutenus par l’Espagne.

19Pour brève qu’elle ait été (1510-1518), l’intrusion d’Arūdj dans les affaires du Maghreb devait se révéler capitale dans ses conséquences. D’abord elle jeta les bases de la Régence d’Alger. Mais, en ce qui concerne plus spécialement la Kabylie, elle remit en question l’équilibre antérieur dont s’accommodaient les Hafsides. Aux tribus isolées ou confédérées, vont se substituer des sortes de fiefs personnels, baptisés « royaumes » par commodité.

20A cinq siècles de distance, on retrouve le phénomène analysé par Robert Montagne dans l’Atlas marocain. Sous l’effet de bouleversements extérieurs, la société berbère égalitaire donne naissance à des féodaux qui n’ont de cesse de transformer en États les regroupements guerriers dont ils ont été les bénéficiaires occasionnels.

21Ainsi le royaume de Kouko et celui des Beni Abbès naîtront de l’anarchie suscitée d’abord par l’irruption des Espagnols et des Turcs d’Arūdj dans l’échiquier politique traditionnel des Hafsides et des Abd el-Wadites ; mais aussi des mutations sociologiques suscitées par l’extension, dès la fin du xve siècle, du fait maraboutique à la Kabylie, qui presque partout aboutit à l’éclatement des structures tribales antérieures. Et il est symptomatique que ces nouveaux seigneurs kabyles aient été, l’un et l’autre, de famille maraboutique.

Top of page
Bibliography
Sander Rang et Denis, Fondation de la Régence d’Alger, I, Paris, 1837, (traduction du Kitab Ghazawat Arudj ma Khayr ed Din, publié par Noureddine, Alger, 1934).

Haedo Diego de, « Epitome de los reyes de Argel », traduction de Grammont, Revue africaine, t. XXIV, 1880.

Lopez Gomara, Cronica de los Barbarojas, Madrid, 1854.

Berbrugger A., « La mort du fondateur de la Régence d’Alger », Revue africaine, t. IV, 1859.

Feraud Ch., Histoire des villes de la province de Constantine-Bougie, Constantine, 1869.

Feraud Ch., Histoire des villes de la province de Constantine-Bougie-Gigeli,, Constantine, 1870.

Feraud Ch., Histoire des villes de la province de Constantine-Sêtif, Constantine, 1872.

xeBolifa S. A., Le Djurdjura à travers l’histoire, Alger, 1925.

Archives nationales, dépôt d’Outre-Mer, Aix-en-Provence. Algérie, série C (Documents espagnols), 9 (IV, X).


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)