Algérie

Arts, La miniature algérienne, Un trésor mal-aimé



A partir du XVIIIe siècle, la peinture du monde musulman a subi l’influence de l’art occidental. Son esthétique propre s’est trouvée altérée ou annihilée avec l’introduction de critères étrangers à son histoire et à ses pratiques : la perspective de type européen, le modelé et la vraisemblance des sujets, fondements de la peinture occidentale.

Mais, alors que Rembrandt et, plus tard, Matisse, Klee et d’autres peintres européens se penchèrent avec attention sur l’art de la miniature musulmane, notamment pour y puiser les couleurs de leurs palettes, les artistes musulmans, par un phénomène d’acculturation, s’en détournèrent pour pratiquer une peinture maniériste et alanguie, accrochée aux basques de l’orientalisme. Le grand format de la peinture de chevalet prit la place du petit format de la miniature. Puisée dans le regard de l’autre, cette peinture déformatrice a fini par devenir la référence en matière de grand art pour plusieurs générations. Paradoxalement, c’est au moment où l’Orient opérait ce revirement vers la peinture de chevalet et la peinture à l’huile qu’un intérêt pour la miniature se déclencha en Algérie alors qu’elle ne faisait pas partie des traditions picturales maghrébines. L’histoire de la miniature algérienne débute avec Mohammed Racim au début du siècle. Auparavant, les décorateurs sur bois, les enlumineurs et tous les métiers afférents qui existaient ne produisaient que des objets décoratifs et fonctionnels destinés à la consommation locale ou aux brocantes européennes. A l’initiative des autorités coloniales, une politique artistique fut mise en place avec pour objectif le cantonnement des artistes et artisans algériens dans un créneau bien précis : celui d’un art appliqué spécifiquement à la reproduction des motifs puisés dans le patrimoine musulman. Partant du principe sans doute racial que l’autochtone était beaucoup plus apte à reproduire des motifs qu’à en créer, ces autorités initièrent une stratégie de développement des arts de la miniature, de l’enluminure, de la céramique et de la décoration sur bois. Elle permit à des artistes comme les frères Racim, Bendebbagh, Haminoumna, Temmam, Ranem et tant d’autres de percer et de pratiquer, à leurs débuts, un métier beaucoup plus qu’un art. Leur habileté et leur esprit créatif les firent émerger de l’anonymat afin de prétendre à un statut d’artiste qui, malgré les récompenses et les médailles glanées pour la qualité de leurs travaux dans les salons et expositions, leur fut pendant longtemps dénié. Les contacts et les voyages entrepris par certains les initièrent à l’art occidental de toutes les époques. Ainsi, en maîtrisant les principes et règles de la peinture occidentale, Racim et ses compagnons élaborèrent un style, une technique et un art typiquement algérien obéissant aussi bien aux règles académiques universelles en vigueur au XXe siècle qu’à celles de la tradition musulmane que les dynasties de Damas, de Baghdad, de Herat et d’Istanbul avaient porté au firmament de la créativité et du raffinement. Contrairement aux fausses idées répandues sur l’interdiction des images par l’Islam, l’imitation de la nature (par conséquent l’utilisation de la perspective et du modelé) et de la représentation du portrait ne rebutaient plus les artistes musulmans. Les miniaturistes algériens peignirent Alger et ses environs, ses coutumes et ses mœurs. Alger et sa splendeur avant qu’elle ne soit déchiquetée et travestie par la colonisation, Alger la guerrière qui faisait trembler par la puissance maritime de ses chebeks. Alger la douce aussi, avec ses paysages et sa verdure enchanteresse. Alger l’élégante avec ses femmes dans leurs appartements (pas les loukoums avachis de Delacroix), Alger et ses femmes sur les terrasses, ses musiciennes et danseuses. Voilà ce qu’était l’art de la miniature algérienne devenue, sans trompette ni fanfare, la gardienne des traditions séculaires. Et là où le colon ne voyait qu’exotisme et couleur locale, l’Algérien percevait une revendication identitaire exprimée par le charme des formes et des couleurs. Par la force des choses, la miniature était devenue le reflet d’une identité nationale et le support symbolique d’une personnalité culturelle. A l’indépendance, le statut de la miniature se posa en d’autres termes. Le combat mené sous le joug colonial par les maîtres pour leur reconnaissance ne se justifiait plus. La miniature n’avait plus à faire ses preuves pour s’imposer. On s’attendait dès lors à ce qu’elle soit soutenue, portée et encensée. Malheureusement, durant quatre décennies, les autorités affichèrent une préférence pour les arts plastiques, sans doute pour s’inscrire dans l’air du temps. Paradoxalement, elles ne virent dans la miniature et l’enluminure qu’un moyen pour se faire valoir auprès de leurs invités de marque en leur offrant des œuvres de très grande valeur. Les artistes miniaturistes n’étaient reconnus comme tels qu’à l’occasion d’événements circonstanciels ou bien durant le mois de Ramadhan où des expositions « d’ambiance » leur étaient consenties. De petit format, on a souvent considéré la miniature comme un art mineur et subalterne. Il faut savoir que la réalisation d’une miniature nécessite au moins trois à quatre mois, voire plus, de labeur, de patience et de doigté. Les matériaux utilisés pour ce travail sont si chers (papier spéciaux de haute qualité, feuille d’or, etc.) qu’ils ne sont accessibles qu’aux plus grands. Aujourd’hui, les jeunes miniaturistes ne savent plus comment utiliser la technique de la feuille d’or pour donner un caractère lumineux à leurs travaux. La disparition des maîtres de la miniature, le silence qui entoure cet art, la rareté des expositions qui lui sont consacrées et l’absence de promotion laissent penser à une prochaine extinction. Pourtant, il existe encore un potentiel appréciable qui indique que l’école algérienne de miniature est encore vivante. De nombreux artistes, tels que Sid Ahmed Bentounès, Mustapha Belkahla, Ali Kerbouche, et plus tard Ameur Hachemi, Moussa Kechkech ou Saïd Bouarour, ont persévéré, malgré le dénigrement et le découragement. Leurs œuvres diverses – portraits, scènes de genre ou d’histoire, natures mortes – sont réalisées avec un réalisme et une haute maîtrise du genre. Les Ecoles des beaux-arts, particulièrement celles de Batna et de Mostaganem, se sont même spécialisées dans la miniature et l’enluminure grâce aux efforts de leurs directeurs, miniaturistes de leur état. L’association de la société des beaux-arts dans la discrétion, mais avec efficacité, forme encore à l’art de la miniature ses adhérents. Il est certain qu’une certaine perte qualitative s’est produite par rapport aux pionniers. Elle résulte surtout de l’absence d’encouragement et de soutien à un art qui coûte extrêmement cher et nécessite une grande disponibilité de temps. En dépit de cela, la relève existe bel et bien. L’art de la miniature se porte bien dans les ateliers. Seule l’attention des pouvoirs publics pour l’aider à être mieux connu et à se développer dans toutes les villes d’Algérie lui a fait cruellement défaut. Prévue durant l’année 2007, la création par le ministère de la Culture d’un musée de la miniature, de l’enluminure et de la calligraphie est sûrement une réponse que tous les artistes espéraient. Beaucoup est attendu de cette institution qui devrait fonctionner aussi comme un centre de soutien à cet art, désirable entre tous, apprécié de tous, mais souvent traité comme le mal-aimé des beaux-arts.




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