Il semble que les berbères, longtemps négligé dans les études linguistiques, injustement considéré comme une sorte de complément provincial à l’arabe maghrébin, attire maintenant l’attention et soit reconnu digne d’intérêt même hors du cadre nord-africain.
A cette promotion des études berbères, André Basset aura largement contribué par ses travaux et par son enseignement à Rabat, à Alger et à Paris. Succédant a une longue lignée de travailleurs, il a fait plus que quiconque pour donner a l’analyse descriptive et a la dialectologie du berbère la rigueur qui leur manquait encore et dont il avait encore l’apprentissage sur des domaines mieux explorés. En publiant le présent recueil, la société de linguistique n’entend pas seulement rendre hommage à la mémoire d’un confrère qu’il a servie plusieurs années et presque jusqu’à son dernier jour ; elle veut aussi donner a ses écrits l’audience qu’ils méritent parmis les linguistiques.
Dans cette publication, que le dévouement de MM. Pellat et Galand a menée à bien, on discernera quelques-uns des caractères qui sont inhérents à la recherche linguistique sur le berbère, et aussi ceux qui marquent en propre l’effort d’André Basset. La dialectologie berbères rencontre maintes difficultés, qui sont indiquées ou impliquées dans plusieurs de ces articles.
La principale consiste en une donné de fait, qui détermine les conditions pratique de travaille :
L’ampleur d’un domaine linguistique qui, de l’atlantique a la frontière orientales de l’Egypte, et de la Méditerranée au sud du Niger, embrasse une multitude de parlers, quatre ou cinq mille, dit-on (mais des précisions numériques de cet ordre ont elles encore un sens ?).A. Basset avait très tôt compris que le premier devoir était de soumettre à une enquête systématique le plus nombre possible de ces parlers, en appliquant sur tous les points de l’aire explorée les mêmes procédés et les mêmes critères. Au cours de nombreuses missions, il avait ainsi accumulé une documentation considérable, notamment sur l’aire kabyle ainsi sur l’aire touareg du Soudan et du Niger.
Ces enquêtes, écrit-il, lui procuraient au moins un échantillonnage de quelque 1.200 parlers (p.4).Absorbé par le classement des données et par la préparation des cartes de l ’atlas linguistique, il n’avait encore exploité que partiellement cette riche matière. On trouvera ici quelques-unes des substantielles monographique lexicales qu’il a pris le temps d’écrire en marge de son travail, et qui montrent, avec la richesse de son information, la rigueur de l’analyse, le sentiment qu’il avait des réalités concrètes et complexes. La bibliographie permettra de retrouver plusieurs autres études semblables dans des périodiques accessibles.
Quelle que soit l’étendue de ces travaux, ils font ressortir par dessus tout une particularité du domaine berbère :c’est la remarquable unité de la langue dans l’extrême émiettement ethnique et dispersion géographique. << La langue est profondément la même dans sa structure de bout en bout du domaine, les variations de parler a parler, aussi nombreuses qu’elles soient, aussi déroutantes qu’elles puissent être de prime abord, restants toujours très superficielles>> (p.13).
Demeurée à peu près pareille depuis le XII ème siècle, autant qu’on en peut juger sur documents écrits, cette langue, mouvante sur d’immense zones de nomadisme en fraction essaimées, ou stabilisées en quelques régions de peuplement sédentaire et plus dense, ne connaît que des rares frontières dialectales. On ne peut y tracer d’un trait fort que celle du domaine touareg, de Ghadamès à Tombouctou. Autrement, c’est un fourmillement de traits partiels qui se recoupent en tout sens et qui délimitent tout au plus, non pas même toujours les contours de quelques larges groupements.
Nous avons là une situation linguistique d’un type encore assez peu connu, qui n’a guère d’exemples dans le monde actuel, mais qui a du être très fréquent autres fois : une grande unité linguistique consistant en d’innombrables variétés assez faiblement différenciées, répandue sur une aire très vaste qui se partage inégalement entre nomades et sédentaires. Le parallèle le plus voisin aujourd’hui est celui des langues turques ou des langues mongoles, parfois si proches entre elles qu’elles découragent le classement systématique. En général la dialectologie a bientôt l’expérience –et le goût – des domaines clairement fractionnés, malgré l’entrecroisement inévitable des isoglosses. Justement à cause du contraste qu’il crée, le berbère est instructif à cet égard. Pour la description typo-logique, il a l’avantage d’offrir des matériaux très voisins les uns des autres ou en tout cas identifiables sans grand effort, et il favorise ainsi l’établissement de ce cadre linguistique commun que A.Basset a dessiné en quelque traits vigoureux . la norme définie, il semble qu’on puisse de se contenter de signaler les variations particulières ou locales. Par contre, pour l’analyse et la reconstruction interne, le linguiste ne trouve que peu de prises du fait même de l’unité manifestée dans la structure générale et dans le détail de la morphologie. On n’y remarque guère de variations fortes hors du lexique. De là une impression d’uniformité qui vient de ce que les lignes de variations mêmes faibles s’étendent sur des zones très large et de peuplement discontinu. Cette difficulté amène alors à se demander s’il ne conviendrait pas d’envisager d’autres critères .Si, sur les cartes d’enquête , tant de points très distants les uns des autres sont reliés par des isoglosses phonétiques, cette concordance indique-t-elle toujours une unité de conversation ? il conviendrait d’intégrer ces données dans le système de chaque parler. Peut-être apparaîtra-t-il alors que certaines concordances à grande échelle résultent de transformations convergentes, nées dans des contextes phonologiques ou morphologiques indépendants quoiqu’en vertu des mêmes nécessités.
A autre point de vue aussi les faits étudiés par A.Basset suggéreront d’utiles recherches. La distribution présente des parlers berbères est le produit d’un ensemble de conditions complexes, où prédominent néanmoins les facteurs économiques et sociaux.
Or, sur cette aire géographique qui n’a sans doute guère varié au cours des siècles, c’est là encore un problème dont les linguistique ne rencontrent k’équivalent qu’en peu de points de l’univers. Comme A.Basset le montre (pp.29-32), les aires phonétiques des nomades touareg sont homogènes, alors que celles des sédentaires de Kabylie se fractionnent en nombreuses variétés régionales. Sans limiter aux conditions matérielles de vie et & la nature de l’habitat les causes de cette différence, il est frappant de voir démentir le raisonnement simpliste qui associerait la stabilité linguistique à l’habitat sédentaire et le morcellement dialectal au nomadisme.
C’est bien plus tôt l’inverse que l’on constate. Il y a ici un grand problème d’interrelation entre langue et structure sociale qui attend d’être étudié en profondeur et dans le concret d’une situation en quelque sorte exemplaire.
Qu’il considérât le berbère dans la structure du verbe ou dans la géographie de son extension,
A.Basset s’en tenait toujours par principe à la langue actuelle. Il n’envisageait guère l’histoire moins encore la préhistoire. Il suivait cependant le progrès des autres disciplines attachées au même réalités, archéologie, épigraphie : un chapitre de ce recueil est consacré aux écritures ; à l’occasion il savait intervenir avec fermeté pour réfuter certaines extrapolations pseudo-historiques (cf.pp.161-162). Mais il ne s’est jamais intéressé activement aux problèmes de la comparaison et de la reconstitution.
La notion de chamito-sémitique n’était guère à ses yeux qu’une hypothèse, et de portée assez limitée (cf.p. 14-15, 18). Il estimait probablement prématurées ces tentatives de rapprochement aussi longtemps qu’on opérait avec des données berbères prises un peu au hasard dans toutes les régions et sans critiques. A mesure que son expérience de dialectologue s’approfondissait, il devenait plus facile encore aux insuffisances de la documentation utilisée. Mais maintenant que, grâce en grande partie à son labeur, nous disposons des données plus abondantes et de critères dialectaux plus rigoureux, il deviendra possible de cribler le matériel, de mieux discriminer en berbère ce qui provient d’emprunts faits à diverses époque a l’arabe ou à d’autre langue et ce qui présente le fonds hérité. C’est sans doute ce travail de critique préalable qui est aujourd’hui le plus nécessaire.
Nous n’avons voulu signaler ici que quelques-uns des thèmes abordés dans ce recueil, pour montrer a la fois combien André Basset les avaient enrichis et précises, et dans quelles voies cet effort peut être continué. C’est une tristesse de se dire qu’André basset a disparut ou il songeait à organiser en synthèse les matériaux qu’il avait longuement amassés. Une partie de son œuvre ne verra le jour que longtemps après sa mort, elle s’achèveras dans les travaux de ses continuateurs. c’est pourquoi, à côté des livres qu’il a publiés, ces articles qui s’échelonnent de 1925 à 1955, en même temps qu’ils montrent la continuité de sa recherche, encourageront d’autres à la poursuivre. Mais pour ceux qui ont connu André Basset au cours de ces années, ces pages ont encore d’autre prix : par delà leur objet scientifique, elles évoqueront le souvenir de l’ami modeste, généreux, stoïque, que nous avons perdu.
E.Benveniste.
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Posté Le : 01/10/2007
Posté par : hichem
Ecrit par : André Basset
Source : Ayamun.ifrance.com