Algérie

Art sur ordonnance



La semaine dernière, l?artiste anglais Damien Hirst a vendu à un collectionneur anonyme, pour la somme de 19,2 millions de dollars, une ?uvre intitulée « Lullaby spring », devenue, ainsi, « la plus chère jamais adjugée par un artiste vivant ». En fait, cette « berceuse du printemps » est une armoire à pharmacie métallique contenant 6 136 pilules et gélules « faites à la main et peintes individuellement », précise le communiqué. J?ai longtemps hésité avant de déterminer quel était le chiffre le plus significatif. Est-ce celui de 6136 qui cache, éventuellement, un symbole ésotérique peut-être lié à l?alchimie ? Ou, alors, celui de 19,2 millions ? A ma grande honte, je l?avoue, c?est ce dernier qui a retenu mon attention. On a beau se targuer de culture mais, quand les chèques se baladent dans la stratosphère, on redevient terre-à-terre. Donc, vulgairement, je me suis jeté sur le cours du jour pour convertir la somme en dinars. Cela nous donne 1 301 millions de DA et beaucoup de poussières. Soit, pour que me comprenne bien mon dealer de fruits et légumes (qui a la délicatesse, depuis des années, de ne plus emballer ce que je mange dans ce que j?écris), la somme de cent trente milliards de centimes de chez nous ! J?ai tenté la conversion en dinar macédonien, en mark finlandais, en ngultrum bhoutanais, en gourde haïtienne ou en zloty polonais (devise préférée des Algériens). Rien à faire, le vertige est pareil. Et là, toujours aussi bêtement, j?ai pensé à cette lettre du poète Paul Eluard à sa fille et au petit exercice de calcul qu?il lui donnait à la fin. A peu près : Monsieur André Citroën a perdu, hier, au casino de Deauville, la somme de tant et tant. Sachant qu?un ouvrier travaillant dans une de ses usines gagne tant et moins par mois, combien de vies lui faudrait-il pour gagner ce que son patron a perdu en une nuit ? On dira, bien sûr, que Damien Hirst, auteur connu de cadavres d?animaux plongés dans du formol, de cendriers pleins de mégots et de papillons, par lesquels il traite du « rapport entre l?art, la vie et la mort », n?exploite personne, sinon peut-être la bêtise, mais il resterait aussi à déterminer en dessous de quel revenu acheter une armoire à pharmacie de près de 20 millions de dollars est une bêtise. Persévérant dans mon aveuglement iconoclaste, j?ai osé penser au rapport entre l?art, la vie et la mort en me laissant dire, banalement, qu?avec la même somme, on pourrait construire une usine de médicaments pour les enfants d?Afrique ou d?ailleurs. L?art contemporain c?est bien. A condition de ne pas dépasser la dose prescrite par les valeurs humaines.


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