La misère aidant, ils avaient tous les deux usé leurs galoches à la recherche de la panade et leur fond de culotte, quand ils en avaient, sur les bancs du savoir. Se partageant le bout de pain et le bout de mine grise comme de véritables amis, innocents qu?ils étaient.
Vint le jour où, grandis par tant de mérites scolaires, ils quittèrent leur trou à rats pour la grande ville et troquèrent même leur statut de copains contre celui de frères, de vrais frères. Et des années durant, ils échangèrent des embrassades, des poignées de mains bien appuyées, délaissèrent les Blek le Roc pour des Chase, se réjouirent des situations réussies réciproquement, prirent sur leurs genoux les enfants de l?un et de l?autre.
Mais les contes vont parfois plus loin que la naissance des enfants et le temps leur avait appris que, pour s?assurer de beaux jours, cupides qu?ils étaient devenus, il leur fallait la réussite politique. Et ce que ne savaient pas nos deux frères, dont le statut de la fraternité commençait à s?effriter, c?est que dans ce domaine, c?est le chacun pour soi ou plutôt le tout pour soi. L?un garda sa veste partisane fidèlement tant et si bien que, même râpée, il ne la changea que lorsque tout le pays s?accommoda d?une autre car c?était la mode. Il réussit et, de la vacance du poste de la mairie, il fut désigné, par ceux qui savent tirer les ficelles, comme délégué exécutif puis, la fraude électorale aidant, il réalisa son rêve de maire.
L?autre, faisant fi des principes, changea de chemise à chaque fois qu?une mode paraissait et se disait qu?avec celle-ci, il serait l?élu. Il n?en fut rien et rata même sa vie professionnelle. Le premier qui accumulait les étages ne pouvait donner au second, qui n?était plus son frère, que des rôles secondaires qui ne rapportaient rien. L?un gérait une ville, l?autre gérait toutes les associations.
L?autre qui digérait mal le carriérisme de l?un, se réjouissait dans la délation, usant de l?estampille associative pour dénoncer le terrorisme administratif au su de l?un et multipliant les embrassades. S?accrochant à qui mieux mieux, à qui pourrait le propulser dans la haute sphère. Se montrant à tous les banquets en s?inventant des invitations quand les étoiles scintillent sur les épaules. Acceptant même de servir de carpette de service quand l?occasion l?exige. L?autre ne venait pas à ses invitations, se contentait d?envoyer un mot ou une procuration, cherchant toujours à éviter ce faux frère.
Mais en public, il fallait toujours sauver les apparences et se fondre dans des embrassades et des bises d?adolescents, des accolades d?amoureux et d?étreintes langoureuses et vanter les mérites de l?un et de l?autre, des mérites déconsidérés car ces couteaux tirés qu?on ne tire pas font plus de mal. Il n?y a pas de moralité, mais juste un questionnement : pourquoi donc avons-nous peur de nous balancer nos quatre vérités en pleine gueule ? Jusqu?où pouvons-nous aller avec notre hypocrisie ?
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Posté Le : 16/08/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : El-Guellil
Source : www.lequotidien-oran.com