Algérie

Arrière-cour



Apparemment, l'autobiographie, en tant que genre littéraire, fait souvent peur à ceux qui s'y lancent. C'est, peut-être, parce qu'elle constituerait une manière, non seulement de se dévêtir devant autrui, mais, d'accepter de leur part un jugement sans appel, jugement bien sûr on ne peut plus mitigé la plupart du temps. D'aucuns sont d'avis que le genre autobiographique serait suffisant pour nous faire connaître ce qui s'est passé dans l'arrière-cour de tel ou tel autre écrivain. En fait, le champ visuel demeure rétréci, dès lors que l'interdiction de tout balayer de son regard s'applique à tout le monde, auteur comme lecteur.Pour certains historiens, Chateaubriand (1768-1848), n'a pas dit toute la vérité sur sa personne dans ses fameuses Mémoires d'outre-tombe, et encore moins sur sa relation conflictuelle avec Bonaparte. Il aurait même fait double jeu : opposant d'un côté et bénéficiant des faveurs de ce dernier, d'un autre côté.
Jean Paul Sartre (1905-1980), a consacré tout un pavé à son auteur préféré, Gustave Flaubert (1821-1880). Mais, lorsqu'il fut question de parler de lui-même, il s'est contenté de 160 pages pour se livrer à ses lecteurs dans son grand écrit autobiographique, Les Mots. Certes oui, cet écrit demeure un chef-d'?uvre dans le genre, et il ne fait que confirmer une chose à propos de Sartre, à savoir son amour pour la lecture et l'écriture.
François Mauriac, lui, se refusait à se mettre à nu devant ses lecteurs quels qu'ils soient. Toutefois, il usait d'un subterfuge pour le moins génial pour évoquer quelques pans de sa première jeunesse et, surtout, sa formation d'écrivain et ses choix en littérature. Ainsi donc, il dressait un miroir réfléchissant en parlant des auteurs qu'il aimait, dessinant indirectement son propre portrait à travers de grandes figures. Il revenait donc au lecteur le soin de forger son appréciation. On se pose encore la question de savoir si le côté arrière-cour de Mauriac est bien connu de ses lecteurs.
Dans sa trilogie, Al Iyyam (Les jours), Taha Hussein (1889-1973) tente quelques incursions dans ce genre. Mais, sans plus alors même qu'il signalait dans ses écrits théoriques ? et en semblant le regretter ? que l'écrivain arabe se montre peu expansif et peu porté sur l'art de se dire. Il attribuait cette sorte de pudeur à des raisons religieuses et sociales et, aussi, tout simplement, à l'amour-propre.
Il ne nous est donc pas permis, en tant que lecteurs, d'accéder pleinement à cette cour des miracles où évolue le véritable moi de tel auteur ou autre. C'est tout juste si un strapontin nous est offert pour suivre un tant soit peu les grandes lignes de ce qui s'y déroule.
Thomas Mann (1875-1955) s'est bien penché sur la question, en ce sens que le lecteur, selon lui, devait se contenter de ce qu'il avait entre les mains plutôt que d'aller fouiner dans l'arrière-cour, car il risquerait de revenir bredouille ou de ne plus s'intéresser à la littérature. Bien avant lui, Chateaubriand s'était montré beaucoup plus catégorique en soutenant que «l'autobiographie, qui paraît au premier abord le plus sincère de tous les genres, en est peut-être le plus faux». Ces deux là nous suggéraient en quelque sorte que les arrière-cours des écrivains ne sont pas toutes des jardins secrets aux arômes enchanteurs !
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