Algérie

arracher la patrie de l'intérieur... Le film égyptien, février noir, présenté au festival du cinéma méditérranéen de Tétouan


Février noir, de Mohamed Amine, résume presque l'état d'esprit actuel des Egyptiens, toujours incertains quant à l'avenir du pays, deux ans après la chute de la dictature.
Tétouan (nord du Maroc)
De notre envoyé spécial
Le titre suggère déjà une légère provocation : Février noir pour (febrayer al aswad) en arabe. La dernière fiction du cinéaste et scénariste égyptien, Mohamed Amine, en compétition officielle au 19 e Festival international du cinéma méditerranéen de Tétouan (nord du Maroc), porte un titre qui rappelle un certain janvier 2011, date de l'effondrement du régime de Hosni Moubarek et sa famille au Caire. Janvier, ça rappelle la révolution et février, c'est le mois d'après. «Du coup, les gens et même certains critiques ont vite conclu que je m'attaquais à la révolution du peuple égyptien et que je roulais pour le régime de Moubarak, pas moins !», nous a confié Mohamed Amine après la projection.
Assise sur un toit brûlant, l'Egypte post-Al Tahrir voit arriver la tempête par toutes les fêlures ! Février noir se déroule comme un histoire d'aujourd'hui. Une comédie noire où le discours est direct, la démarche forcément politique et le jeu des acteurs très style italien. Un professeur de sociologie (Khaled Salah) tente d'enseigner à ses étudiants l'art d'aimer le pays, les valeurs positives.
Les étudiants le regardent presque avec dédain. «Il faut croire en l'avenir», leur dit-il. Dans la plupart des pays arabes, l'université est tenue à «une distance respectable» du monde politique et de l'univers des idées. Et dans beaucoup de ces pays, l'acte politique est diabolisé à outrance. La sociologie n'est-elle pas la science humaine la plus combattue par les dictatures ' Les régimes fermés ne sont-ils pas ceux qui encerclent les sciences sociales en leur laissant les espaces réduits ' L'enseignant de sociologie, qui semble croire au rôle du savoir dans une société en quête de modernité, fait un voyage familial au sud de l'Egypte. Il est pris dans une tempête de sable.
Presque enseveli, avec d'autres touristes, il attend, lui et sa famille, la venue du gouvernement pour les sauver de l'enlisement. Des policiers se présentent et sauvent un juge et son épouse ainsi qu'un haut gradé des services de sécurité...
Le sociologue découvre alors l'ampleur des dégâts. C'est la désillusion. Le choc. La déception. Le sociologue «patriote» change et lance un mot d'ordre : «Arracher la patrie de l'intérieur, oublier le pays.» A ses yeux ' «Votre avenir est noir», assure-t-il. Misr oum dounia doit chercher ailleurs donc. L'enseignant comprend vite que la science, les scientifiques, les chercheurs, les universitaires, bref, l'élite intellectuelle n'a aucune considération, aucun respect pour les tenants du pouvoir. Il convoque alors sa famille et décide de passer la vitesse supérieure. Il faut bien chercher sa place au soleil et se défendre.
La bataille pour la survie est engagée. A ce niveau-là, tous les coups sont permis. Le père utilise même les attributs physiques de sa fille pour «attirer» les hommes puissants et la faiblesse de son fils pour le convaincre de devenir une star du football. Les footballeurs ne sont-ils pas mieux considérés que les enseignants d'université et les poètes tant par les régimes en place que par les sociétés ' Le film Février noir, réduit parfois à du théâtre filmé, évolue en succession de tableaux comiques qui peuvent plaire, tant la fraîcheur est présente.
Les acteurs, Tarek Abdelaziz, Souleiman Aïd, Ahmed Zaher, Amel Rizk et Rania Chahine n'ont donné aucun signe de fatigue. La conviction est clairement dégagée à l'écran. Mais le cinéaste, qui vient de l'univers de la littérature, n'a pas pu éviter de se mêler, comme d'autres, dans le documentaires ou le court métrage en Tunisie et en Egypte, des révoltes de 2011 dans la région arabe. Passage obligé ' Non ! Dans Février noir, Mohamed Amine a voulu livrer une certaine critique de l'Egypte contemporaine. Le problème ne réside pas uniquement dans le changement des régimes, mais de déconstruction des ordres, armés ou pas, occultes ou transparents, qui maintiennent les sociétés arabes sous la botte de l'inculture et de l'irrationnel.
Des ordres qui méprisent l'élite et qui combattent la liberté de pensée et d'expression. La scène finale du film résume la situation actuelle de l'Egypte, un pays qui ressemble à une belle et jeune femme qui attend les prétendants dans une anarchie organisée. Sorti le 6 mars 2013 au Caire, Février noir rencontre un relatif succès d'estime du public. Les recettes se sont approchées d'un million de livres au bout de la première semaine en salle ,mais les critiques sont partagés sur un film qui s'est approché des zones fatales du cinéma commercial sans l'assumer totalement.
Dans un pays instable, faire des films est un acte courageux. Mohamed Amine a relevé le défi. C'est déjà un grand pas en avant pour sortir du cercle toxique du nihilisme. «Je dois dire merci à la société de production (Al charika al arabia li el cinéma, ndlr) qui a engagé plus de 8 millions de livres pour réaliser ce film. Dans les conditions actuelles, c'est un acte héroïque. Les chaînes de télévision n'achètent plus de films et ne donnent plus d'argent à la production cinématographique. Ces chaînes préfèrent dépenser de l'argent pour des émissions ridicules, telles que Arab idole ou X factor..., a protesté Mohamed Amine.
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