Algérie

Arezki Kehal, tout premier chahid du mouvement national indépendantiste



Arezki Kehal, tout premier chahid du mouvement national indépendantiste
Publié le 02.03.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
Par Noureddine Fethani

Arezki Kehal naquit le 22 avril 1904 à Guenzet, dans les Ath-Yala, au sein d’une famille honorablement connue et, comme beaucoup, obérée de misère, de représailles et subissant l'infamie ségrégationniste du code de l'indigénat.

Les ressources y étaient chiches, suffisant à grand-peine à la survie des hommes.

L'administration coloniale et les hobereaux locaux, auxiliaires félons et sans honneur, s’y entendaient pour redoubler d’exactions et d'extorsion et faisaient tout pour que ces Ath-Yala jamais en reptation n’eussent rien et qu’ils manquassent le plus souvent de tout.

Comme les centaines de ses contribules, Arezki Kehal émigra en France dans le but d’y travailler et améliorer la condition et l’ordinaire difficiles de sa famille. C’est au contact des milieux syndicalistes et politiques, essentiellement de gauche, qui portaient les luttes sociales du prolétariat français qu’il se forgea une conscience sociale et politique qui allait l’immerger jusqu’au bout dans l’action au service de la cause de son pays et de son peuple.

Arezki Kehal adhère très tôt, en 1932, à l’Étoile nord-africaine (ENA) créée en 1926 à l’instigation de l’Internationale communiste pour être placée, durant deux années, sous le contrôle du PCF.

En 1928, l’ENA s’émancipe du carcan de la tutelle de ce parti pour s’engager plus franchement, à l’intérieur même du pays colonisateur, dans les luttes sociales et politiques en participant aux grèves, à la dénonciation de l’impérialisme, du fascisme et du racisme, sans se départir de sa solidarité avec la classe ouvrière et le peuple français ami.

L'ENA évolue en organisation révolutionnaire

Cinq ans avant son adhésion à l’Étoile, Arezki Kehal avait pu mesurer, en s’en enthousiasmant, l’orientation nationaliste aboutie et désormais affirmée et proclamée de l’ENA dont les activités redoublaient en France, sous la férule de Messali Hadj, Si Djilani, Amar Imache, hadj Abdelkader, Radjef Belkacem… Les émigrés algériens, galvanisés par les mots d’ordre de liberté et d’indépendance, participaient par milliers aux meetings de l’Étoile dans la région parisienne.

Février 1927 et le Congrès de Bruxelles contre l’impérialisme et l’oppression coloniale : Disruption historique et invention/réinvention du nationalisme algérien.

Le 10 février 1927 se tint, au palais d’Egmont, à Bruxelles, le Congrès fondateur de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale, en présence de 173 délégués représentant 134 organisations, associations et partis politiques de 37 pays.

L’initiative a émané de l’African National Congress (ANC) d’Afrique du Sud, Étoile nord-africaine… de personnalités telles que Nehru, Barbusse, Gabriel Duchene, Albert Einstein, de membres de la Ligue mondiale des droits de l’Homme…, le leader indonésien M. Hatta, le Maghrébin Chadly Kheirallah, le Sénégalais Lamine Senghor, fondateur et représentant de la Ligue de défense de la race nègre… le Guomindang chinois…

La lecture par Messali Hadj des objectifs radicaux de la lutte de l’Étoile nord- africaine gronda comme le tonnerre dans l'enceinte belge et allait incontestablement s’inscrire comme l’acte fondateur du mouvement national indépendantiste :

1. Indépendance totale de l'Algérie.
2. Le retrait total des troupes d'occupation.
3. Constitution d'une armée nationale, d'un gouvernement national révolutionnaire, d'une assemblée constituante élue au suffrage universel. Le suffrage universel à tous les degrés et l'éligibilité dans toutes les assemblées pour tous les habitants de l'Algérie. La langue arabe considérée comme langue officielle.
4. La remise en totalité à l'État algérien des banques, des mines, des chemins de fer, des forts et services publics accaparés par les conquérants.
5. La confiscation des grandes propriétés accaparées par les féodaux alliés des conquérants, les colons et les sociétés financières et la restitution aux paysans des terres confisquées. Le respect de la moyenne et petite propriété. Le retour à l'État algérien des terres accaparées par le colonat…

Après l’interdiction de l’ENA, Arezki Kehal a été membre fondateur du PPA, créé en 1937 à Nanterre pour suppléer à l’ENA, interdite.

Depuis, il ne cessera de se consacrer à l’organisation et au rayonnement du parti indépendantiste.
- Membre du bureau politique
- Président du Comité central
- Secrétaire général de la rédaction du journal El Ouma.

En septembre 1937, après la déportation de Messali à Brazzaville, il rentre à Alger pour reprendre le flambeau et poursuivre l’action du parti en prenant en charge, avec Mohamed Guenaneche, la publication Ach Chaab.

Il rencontre le cheikh Ben Badis pour lui réaffirmer notamment le rejet par le parti du projet d’assimilation initié par le régime du Front populaire et dénoncé par Messali en 1936 au meeting du stade municipal d’Alger.

C’est en février 1938 qu’il est arrêté et écroué dans la sinistre prison de Barberousse (Serkadji) où il est placé sous surveillance policière h 24, dans l’isolement complet, maltraité et atrocement torturé. Il est finalement admis à l’hôpital Mustapha où il s’éteint en avril 1939 des suites des traitements inhumains et délibérément létaux.

Sa dépouille avait été recueillie et veillée à Belcourt au domicile d’Ahmed Bouda, autre grand patriote et militant, au boulevard Cervantès où défila une interminable procession d’Algériens venus en recueillement.

Ses obsèques eurent lieu à Guenzet. Toute la population de la région accompagna sa dépouille.

À sa libération du bagne congolais de Brazzaville, Messali Hadj se rendit au fief des Ath-Yala pour se recueillir sur la sépulture de son compagnon auquel il rendit un hommage mémorable.

Pour restituer la dimension, la grandeur et le dévouement de ce grand patriote, Mohamed Guenaneche et d’autres figures du Mouvement national témoignent.

Militant du PPA, et chercheur en histoire du Mouvement national, Mohamed Guenaneche a bien connu Arezki Kehal. «J'ai découvert ce nom à travers le journal parisien El Ouma, j'ai appris de ses nouvelles par des personnes qui l'ont côtoyé en France.

Ma première rencontre avec lui fut le jour de mon arrivée à Alger, le 3 septembre 1937. Lui-même était arrivé le même jour de Paris, dans la matinée, avec pour mission de remplacer les dirigeants arrêtés. Une harmonie totale nous a unis comme je l'avais connu depuis fort longtemps.

Il était calme, il parlait avec pondération. Rien en lui ne laissait apparaître qu'il était un responsable, un révolutionnaire ou qu'il croyait en la violence (révolutionnaire). Il se distinguait par un air de dérision, mais empreint de bonté et de gentillesse — À tous ceux qui l'approchaient, il inspirait confiance, respect et amitié sincères.

Un jour, nous marchions ensemble et allions à une réunion de l'administration (du parti). À peine arrivions-nous à l'hôtel dit palais d'Hiver, devant la place des Martyrs (aujourd'hui), alors que nous nous préparions à traverser la place en direction du siège (du parti), nous vîmes un groupe de militants et responsables se dirigeant vers la Casbah pour donner «une correction» à une personne qui avait critiqué le parti. Kehal s'arrêta, s'adossa à un mur et me dit : «Ya si Guenaneche, sont-ce là des gens capables d'arracher l'indépendance ? Non, jamais !»

Il répugnait à la violence qui caractérisait certains militants, de même qu'il s'indignait du manque de sérieux et du manque de considération qu'ils réservaient à la notion de responsabilité.

Il était grand de taille. De dos, il ressemblait à Messali, mais sa démarche était différente. Il était plutôt maigre et la fatigue se lisait en lui.

Quand il rédigeait des tracts, il évitait les termes et les formules extrémistes. Mais il y mettait toutes les idées qu'il voulait transmettre — lorsqu'il en exposait le texte à la direction du parti, on lui demandait de les rendre plus incisifs. Le frère Boukadoum lui disait : «Ajoutes-y du piment.»

C'était un génie en matière d'organisation. Il avait su conquérir la confiance de tous les militants. En prison, lorsque le juge d'instruction vint à nous pour l'interrogatoire, et alors que les arrestations se succédaient, de sorte que chaque jour apportait son lot de militants arrêtés, il me dit : ‘’Nous allons dire au juge : moi et toi sommes les seuls responsables de tout dans le parti. Et, puisqu'il s'agit des écrits, eh bien j'assumerai moi tout ce qui a été écrit en français, et toi, tout ce qui a été écrit en arabe. Ainsi nous mettrons fin aux arrestations.’’ C'est ce que nous fîmes et nous dîmes au juge de libérer toutes les personnes arrêtées, puisque non responsables. Le juge nous demanda une lettre manuscrite en ce sens, avec tous les noms des personnes incriminées. Quelques semaines plus tard, ils furent libérés. Nous, nous restâmes à Barberousse — les militants condamnés furent transférés à la prison d'El Harrach. Nous nous entendîmes pour faire à tour de rôle un exposé (sur un thème donné) lors de chaque promenade hebdomadaire. Le 1er thème traitant du syndicalisme en Algérie fut exposé par le frère Ahmed Mezghenna.

Le second exposé fut fait par le frère Arezki Kehal et avait pour thème : «Comment faire la révolution : conditions nécessaires, méthode à suivre, points névralgiques à tenir entre nos mains, etc.’». Son discours laissait entendre que nous étions sur le point de déclencher la révolution, et que nous devions étudier tous les détails.

Au cours de la promenade, je lui chuchotai à l'oreille : «Étais-tu sérieux lors de ton exposé ? Pouvons-nous faire la révolution, alors que nous sommes en prison, et que notre nombre est encore réduit ?» Il me répondit avec son sourire habituel : «Et pourquoi sommes-nous donc ici ? Est-ce pour la gamelle ?’’ Quelques jours après, il fut hospitalisé. Lorsque je fus libéré et que je lui rendis visite, il n'était plus qu'un ‘’amas d'os’’. Son image est toujours là, devant mes yeux... Ce fut la dernière fois que je le vis, car il ne tarda pas à s'éteindre, à peine quelques semaines plus tard.» (Fin de citation)

Abou Ali : «Il est mort au champ d'honneur»

«Le 12 avril 1939, notre frère Kehal Arezki est mort, après 6 mois d'atroces souffrances et 14 mois d'emprisonnement. La triste nouvelle de sa mort s'est répandue dans tout Alger comme une traînée de poudre et partout la population musulmane commentait son décès en maudissant l'impérialisme français. ‘’Ta mort nous afflige profondément et nous prive de ta bonté, de tes conseils et nous te reverrons... Tu as souffert pour nous, tu as donné en partie ta jeunesse, ton intelligence, ta force et ta vie. Pour nous, Kehal n'est pas mort, il reste le symbole vivant de la lutte et de la libération du peuple algérien des servitudes du colonialisme.’’» (fin de citation)

Près de 15 000 personnes — c'est-à-dire la population de Guenzet et de tous les villages avoisinants — avaient accompagné le défunt dans son dernier «voyage».

Arezki Kehal aura été le premier martyr du PPA et le premier à avoir été honoré d'obsèques nationales, celui dont le cercueil avait été recouvert de l'emblème national et dont la mise en terre avait été accompagnée des hymnes Min djibalina et Fidaou el Djazaïr sortis de milliers de gorges... en 1939.

Ainsi meurent les héros pour rester éternels.

N. F.



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