Algérie

Arezki Boucheffa, un homme de courage et de principes



Par Karim Younes
L'histoire de notre pays est jalonnée de grands noms d'hommes et de femmes d'une trempe exceptionnelle qui emplissent ses pages dorées.
La famille Boucheffa, dont les racines plongent loin dans l'histoire du pays, a donné les meilleurs de ses fils pour que vive l'Algérie libre et indépendante. Neuf membres de la famille sont morts pour la patrie. Dda Arezki a suivi leur bel exemple. Rappelons que les ancêtres tenaient commerce au lieu-dit Achrouf, tout près de la plage de Tighremt, au centre du douar occupé par la tribu, à mi-chemin des limites de celui-ci, l'oued Ddass à l'ouest et l'oued Saket à l'est.
Mohand, le père du jeune Arezki, est le dernier à exploiter le créneau de vente de figues, d'huile, de caroubes et autres produits locaux troqués contre des denrées importées par les peuples du pourtour méditerranéen utilisant pour cela une légère flotte navale.
La tribu s'est d'ailleurs installée il y a de cela plusieurs siècles, au point que l'histoire du premier ancêtre arrivé sur les lieux est devenue légende avec ogres, déluge et autres fantaisies. Bien que la guerre y ait laissé des traces indélébiles, l'attachement des descendants de la tribu à la terre des ancêtres est encore fort et l'été voit s'organiser, souvent, des réunions familiales plus ou moins importantes.
Déjàà l'époque phénicienne, dans cette région appelée Iaamranen, un petit comptoir commercial, dont les restes sont encore visibles de nos jours, tenait lieu de cadre pour le commerce avec les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains et autres peuples de la Méditerranée.
Il est heureux que l'emplacement de ce petit commerce qui abritait la tribu ou de ce qu'il en reste soit sauvegardé par les neveu et fils de Dda Arezki, Mokhtar, (que beaucoup appellent encore Mouloud à la mémoire de son père) et Nazim Boucheffa qui bien qu'ayant construit leurs habitations sur les lieux ont tenu à respecter la trace de leurs ancêtres (en accord avec leurs frères Rachid et Abderrahmane) qui reposent du sommeil du juste.
Né le 23 mai 1935 dans la commune de Toudja Douar Abrarès, Arezki Boucheffa perd sa mère à l'âge de neuf mois. Sa scolarité primaire a commencé à l'âge de 10 ans et duré 4 ans.
Grâce à son ardeur au travail et malgré les conditions défavorables au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il intègre le collège Ibn Sina de Béjaïa en classe de 6e et poursuit ses études jusqu'en classe de terminale en 1956. Ses condisciples retiennent de lui l'image d'un élève sérieux et appliqué, d'un camarade sincère, bon et toujours prêt à aider autrui.
Le 19 mai de cette année-là intervient l'appel à la grève générale lancé par l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema), suite aux persécutions subies par les étudiants algériens, en particulier leur camarade de classe, Madjid Brahmi, assassiné par l'armée coloniale. Arezki Boucheffa se fait remarquer rapidement par son engagement. Etant l'un des meneurs de la grève, il est immédiatement arrêté.
Il passa plusieurs mois dans les geèles coloniales, en compagnie de 217 détenus (batterie du centre, sur le chemin menant au cap Carbon, puis au stade de Béjaïa) où il subit sévices et tortures.
Son père Mohand ayant rejoint les maquisards avec son autre fils, Mouloud, (tous deux chouhada, ils ont péri à moins d'un mois d'intervalle durant la terrible «opération Jumelles» qui décima la famille et la Kabylie d'une façon générale), les services de renseignements militaires lui firent du chantage et toutes sortes de promesses pour qu'il enjoigne ses parents de quitter le maquis, chantage auquel il ne céda pas.
Il fut donc, après 7 mois de sévices, expulsé par bateau (enfermé à fond de cale) pour la France. Arrivé à Marseille où il ne connaissait personne, il rejoignit Lyon où travaillaient quelques cousins qui le prirent en charge. Aussitèt arrivé, il chercha le contact avec la Fédération de France.
Il entama alors son parcours de militant actif.
Repéré pour son courage et son sens de l'organisation par les cadres de la Fédération FLN sous le nom de guerre de Abderahmane — prénom qu'il donnera à son premier né en 1964 —, il se vit confier l'importante responsabilité de régional, exerçant sous la houlette de Rabah Touati qui était son responsable.
Envoyé en qualité de responsable zonal pour la Savoie, il eut comme compagnons de lutte Ahcène Kharfallah et Mokhtar Azzoug de Béjaïa, entre autres.
De Grenoble, il fut envoyé pour encadrer la Superzone de Marseille (Amala) fin 1957. L'année suivante, il se retrouve à Marseille où il participe à la préparation des attentats de Mourepiane. Mais en septembre de la même année, les autorités coloniales mirent fin à son activité militante en l'emprisonnant.
Arrêté le 20 septembre avec un grand nombre de militants, il fut conduit à la prison des Beaumettes. Après la grève de la faim des détenus politiques d'octobre 1961, refusant de céder à l'administration pénitentiaire, il continua à inciter ses codétenus avec les autres membres du comité des prisonniers encadrant l'ensemble des prisonniers FLN à la grève. Considéré alors comme «élément dangereux», il fut transféré à la prison de Châlons-sur-Marne dans le nord de la France et ne fut libéré que le 5 avril 1962.
Il regagne l'Algérie en août 1962 pour prendre en charge les orphelins qui n'étaient autres que les enfants de son père et de son frère, morts au maquis, des enfants déguenillés et mal nourris, réfugiés à Béjaïa dans des conditions déplorables, logeant dans une baraque en bois et en tèle et un petit gourbi minuscule sans le moindre confort avec des paillasses à même le sol”?», rappelle Nazim, le fils de Dda Arezki. Il s'occupa alors de ses neveux qu'il prit totalement en charge sous son toit jusqu'à la fin de leurs études universitaires. Avec le soutien sans faille de sa très jeune et brave épouse, elle-même militante de la cause nationale, on peut dire qu'il remplaça leur père dont ils n'avaient que peu de souvenir.
Le combat de Dda Arezki ne s'arrêta pas à l'indépendance recouvrée. Travailleur infatigable, affable et serviable, il a toujours été au service de l'Etat en tant que commis sérieux et efficace, au service du citoyen. Il est d'abord nommé chef de daïra d'Akbou en 1963 jusqu'au coup d'Etat du 19 juin 1965 qu'il refuse publiquement d'applaudir.
Durs lendemains pour les hommes à principes, qui paieront cher leurs positions politiques. Sans travail, donc sans aucun revenu, c'est la galère !
Feu Bachir Boumaza, qui l'avait connu durant les années de braise, le recrute au ministère de l'Information en qualité d'administrateur du quotidien El Moudjahid jusqu'en 1972, aux côtés d'un géant de la presse nationale, le regretté Naït Mazi Nourredine, ancien DG du journal El Moudjahid, et Abderrahmane Bellal, ex-directeur technique (1967-1971).
Ahmed Taleb Ibrahimi, premier président de l'Ugema et membre du Comité fédéral de la Fédération de France du FLN, devenu ministre du secteur, se souvient de la qualité de combattant pour la liberté du jeune Arezki et le nomme directeur général de l'Anep, poste qu'il ne quittera qu'en 1980.
Sa carrière professionnelle, il la termine en 1984, en tant que directeur de l'Administration générale au ministère de l'Information et de la Culture aux côtés des ministres qui se sont succédé, en l'occurrence les regrettés Rédha Malek, Abdelhamid Mehri et Boualem Bessayeh.
Sur mon insistance, il accepte de se porter candidat pour l'élection à l'Assemblée populaire de wilaya de Béjaïa dont il sera élu président au cours d'une période très difficile que le pays a dû affronter au lendemain des évènements d'octobre 1988. Il faut souligner qu'il avait démissionné du FLN au lendemain du 19 juin, car celui-ci s'éloignait de l'image qu'il en avait. Jouissant d'une paisible retraite et vivant dans sa petite maison à Tighzert, près du village qui l'a vu naîre, il répond cependant à l'appel de la patrie qui avait besoin d'hommes et de femmes intègres pour servir une population en désarroi. Encore une fois, Dda Arezki a accepté de se sacrifier pour les siens. Ceux qui l'ont connu pendant cette période garderont de lui l'image d'un homme sérieux et honnête, proche des démunis et au service du développement local. Tous ceux qui l'ont approché lui reconnaissent des vertus humaines qui le classent au rang des hommes à principes, un exemple d'intégrité, de bravoure, de générosité et de tolérance.
La Faucheuse l'emporta un certain 19 novembre de l'année 1995, à l'aube.
Je garderai en mémoire à jamais cette vigoureuse poignée de main qu'il me donna sur son lit de mort et qui écrasa la mienne. Malgré les dures lois de la nature, Dda Arezki demeura solide tel un roc de corps et aussi d'esprit jusqu'à son dernier souffle”?
Il laisse à tous ceux qui l'ont connu ou approché le souvenir d'un grand militant du mouvement politique national, sincère et totalement dévoué à son pays et à son peuple. Tous témoignent de «la perte d'un valeureux patriote, d'un militant engagé, d'un grand commis de l'Etat qui, toute sa vie durant, a servi sa patrie avec un dévouement et une abnégation admirables, restant ainsi fidèle aux valeurs morales et aux idéaux patriotiques puisés dans son éducation familiale». Il est de notre devoir de cultiver sa mémoire par la célébration et le recueillement. C'est le meilleur hommage que nous lui devons.
Les actes de bravoure qui ont contribué à mettre fin à une occupation sanglante, à l'oppression, à l'injustice, qui caractérisent le régime colonial, ne peuvent se dissoudre dans l'oubli. Il est fait appel à la mémoire des survivants pour rappeler le combat de leurs compagnons, éclairer des zones d'ombre et enrichir les pages dorées de notre histoire. C'est donc avec un sentiment chevillé au corps que l'on nourrit et qui évolue en doctrine politique pour revendiquer le droit de former une nation libre, indépendante et souveraine, une nation, qui, pour s'affirmer construira son Etat ou le restaurera.
Repose en paix, Dda Arezki ! Toi qui as si bien servi ta patrie. L'Algérie gardera à jamais, dans sa mémoire collective, les sacrifices de ses enfants qui ont mené le dur combat pour la liberté enfin retrouvée.
Une autre génération se lève pour prendre la relève et réinscrire la course de notre pays dans le sens de la satisfaction des besoins d'une nouvelle légitimité qui fonde son existence dans l'organisation politique des sociétés contemporaines,
s'emboîtant, en la réactualisant à celle
fondée par les aînés fondateurs de la
légitimité historique.


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