Algérie

Archipel linguistique



En Algérie, nous vivons sur un archipel linguistique. Nous prétendons avoir de bonnes relations entre nous, linguistiques cela s?entend. En fait, c?est la mésentente qui s?installe sur nos îlots. Un tel défend la langue arabe parce qu?il n?a pas eu la chance de faire l?apprentissage d?autres langues véhiculaires de la modernité, ou se caparaçonne encore dans la même langue au nom d?une ronflante légitimité religieuse, historique ou révolutionnaire, alors qu?un tel autre croit dur comme fer que la langue française, est bien née dans les Aurès ou dans le Djurdjura. Chacun, cela est vérifiable sur le terrain, pense avoir raison, tout simplement parce que la langue, en tant que telle, est devenue pour lui une question de gagne-pain au premier degré. En vérité, la légitimité révolutionnaire, si galvaudée depuis notre indépendance, n?a plus cours, non parce qu?un décret présidentiel lui aurait donné le coup de grâce pour des raisons politiciennes, mais parce que le dernier mot revient au vécu linguistique quotidien. Du reste, cette pseudo-légitimité historique, religieuse ou révolutionnaire, peut-elle quelque chose contre cet archipel linguistique constitué de dialectal algérien, de langue arabe classique, de berbère, avec toutes ses ramifications, et de langue française, pour ne citer que ces grands îlots ? En revanche, rien n?est susceptible de poindre à l?horizon dès lors que chacun de nous ne songe qu?à gagner sa pitance par le truchement de telle langue ou autre. Notre dialectal, nous le constatons aujourd?hui, est devenu un patchwork, n?ayant pas grand-chose avec cette première saveur qui existe encore dans les poèmes populaires et quelques vieux proverbes. Il y a lieu de se demander si ce même dialectal parviendrait un jour à véhiculer de grands concepts, à donner de l?allure à un art oral authentique. La langue arabe, quant à elle, se fait boiteuse dans nos programmes scolaires et réussit, en même temps, son coup à la renverse en s?absentant du théâtre, du cinéma et de la télévision, voire des arcanes des tribunaux, là où jaillissent habituellement les belles tournures. Faut-il ajouter à ce tableau les défaites répétées et les tourments du Moyen-Orient qui se reflètent négativement sur quiconque se mettrait à l?apprentissage de cette langue ? Entre-temps, la langue française demeure sans statut défini sinon celui de « butin de guerre » même si l?essentiel de notre vie sociopolitique passe par elle. En d?autres termes, nous ressentons toujours le poids de l?ancienne métropole sans, toutefois, avoir le courage de trancher dans un sens ou dans un autre. Quant à la langue berbère, elle fait figure d?une embarcation malmenée par la mer, sans avoir la chance d?accoster l?appontement de l?un des îlots de notre archipel linguistique. Sommes-nous donc condamnés à rentrer dans Babylone, c?est-à-dire, la tour des langues naissantes, et d?y rester à tout jamais ?


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