Algérie

Archaïsme et conditions spartiates !



Le 29 février dernier, l'Etablissement public hospitalier (EPH) de Boufarik recevait le premier cas de coronavirus. Depuis, 3 500 patients y ont été hospitalisés. La structure, datant de 1872, archaïque, fait face à la pandémie avec très peu de moyens. Son service des urgences est si exigu que les consultations se font dans ce qui était initialement une salle d'attente. Un médecin infectiologue y est installé dans un environnement spartiate pour faire face à un afflux incessant de patients nécessitant des soins ou une hospitalisation. Plongée dans un service de référence qui fait face à une épidémie sans précédent avec un personnel au bord du burn-out et des moyens précaires.Nawal Imès - Alger Le Soir) - L'hôpital de Boufarik. C'est ainsi que la population appelle l'Etablissement public hospitalier (EPH) de la ville. Ceux qui ne le connaissent pas seraient tentés de penser qu'il s'agit d'une grande structure, dotée de moyens ultramodernes. Pourquoi ' C'est l'établissement qui a dû faire face à l'épidémie de choléra en 2018 et qui a été la première structure de santé à réceptionner un cas de Covid-19. En réalité, il n'en est rien ! l'EPH de Boufarik n'est pas très grand. Situé au coeur de la ville, il date de 1872. Depuis, il n'a subi que très peu de modifications, tout juste une petite extension.
En cette matinée de mercredi, vu de l'extérieur, l'ambiance y est plutôt calme en dépit d'une affluence moyenne mais soutenue. Le service des urgences fait quasiment face à la porte d'entrée. À l'extérieur, une dizaine de personnes attendent. Tous portent des bavettes. Beaucoup, trop fatigués pour rester debout, sont assis sur le rebord du trottoir. Un agent de sécurité est posté à l'entrée. Il a la lourde tâche de réguler les accès et de répondre aux questions incessantes des malades mais surtout des accompagnants qui sont, par moments, agressifs. Il avoue que très souvent, « c'est la bagarre, ici ». Et pour cause, c'est une salle d'attente à ciel ouvert qu'il gère sans jetons ni possibilité de vérifier l'ordre chronologique d'arrivée des patients. Pourquoi ne pas les faire patienter à l'intérieur ' Pour avoir la réponse, il faut pénétrer dans le service des urgences transformé en service Covid-19. Il faut oublier l'idée qu'on se fait d'un service des urgences en termes de superficie ou de moyens matériels. Ici, la sobriété flirte avec le dénuement.
Le service en question se résume à une table installée dans ce qui fut, il y a huit mois, une salle d'attente. Y sont assis derrière un bureau, un médecin spécialiste en infectiologie, secondée par deux paramédicaux. C'est elles qui reçoivent les malades suspectés d'être porteurs de Covid-19. Derrière son masque, sa visière et ses lunettes, la jeune praticienne a les traits tirés. Sans doute la fatigue, la charge de travail, une mobilisation de plus de huit mois. Là, dit-elle, c'est « plutôt calme ». Il y a une heure, c'était compliqué, ajoute-t-elle. En face d'elle une patiente, présentant une grosse fatigue, assise sur un banc. Tous les jours, affirme le médecin, c'est le même scénario : des hommes, des femmes, jeunes mais aussi beaucoup moins jeunes, défilent, souvent respirant difficilement. Toujours ce même dilemme : hospitaliser ou pas ' Y aura-t-il une place qui va se libérer ' Une levée d'urgence ' Un décès ' C'est dans cette salle sous-équipée, aménagée dans l'urgence qu'ont défilé pas moins de 3 500 patients depuis le mois de février dernier. C'est à partir de cet espace, exigu, n'offrant pas le minimum de confort ni au personnel soignant ni aux patients, qu'est menée la lutte contre le Covid-19. Ce mercredi, les quatre lits d'appoint prévus pour les patients présentant une grosse fatigue ou des difficultés respiratoires, disposés dans une petite salle attenante aux urgences, ne sont pas tous occupés. Deux patients présentant de gros signes de fatigue y sont allongés.
Dehors, le nombre de patients qui attendent est toujours aussi important. Toujours la même question qui taraude l'esprit du médecin de service ce jour-là : combien de patients devra-t-on hospitaliser ' Pourra-t-on le faire à temps ' C'est le quotidien des 12 infectiologues qui se relayent depuis le mois de février au sein de ce service sans avoir jamais pu prendre de repos. « Impossible de libérer du personnel », déplore le
Dr Mohamed Yousfi, le chef de service des maladies infectieuses.
Le personnel est soumis à une trop grosse pression, ne pouvant ni prendre de congé ni même profiter d'un week-end certaines semaines. Depuis le début de l'épidémie, 27 médecins, 47 paramédicaux, 19 agents entre administration et moyens généraux, ont été contaminés. Les employés de l'EPH de Boufarik n'oublient pas non plus Djamel, l'ambulancier, mort après avoir travaillé sans relâche au transport des patients contaminés.
Une lutte à armes inégales !
L'hôpital de Boufarik dispose de 175 lits. Depuis le début de la pandémie, 80% d'entre eux sont réservés aux patients atteints du Covid-19. Pas moins de 135 lits y sont dégagés au détriment des autres activités.
Le Dr Mohamed Yousfi affirme, en effet, qu'« actuellement, pour le non-Covid, nous n'avons gardé uniquement que les urgences médico- chirurgicales, avec 7 lits pour le post-opératoire et la maternité, tout le reste est orienté vers d'autres structures de la wilaya de Blida. Même le service infectiologie disposant de 60 lits est mobilisé avec seulement 8 lits pour le non-Covid ». La décision avait été prise avant même la grosse pression qui pèse actuellement sur les structures de santé. L'EPH de Boufarik n'y échappe pas. Tous les lits dégagés sont occupés. Deux pavillons, l'un pour hommes l'autre pour femmes, sont mobilisés. Y sont hospitalisés, pour une durée pouvant aller de cinq jusqu'à dix jours, les patients nécessitant une prise en charge en milieu hospitalier. Ils sont installés dans des salles communes pouvant accueillir six lits. « Archaïque ! », estime le chef de service des maladies infectieuses.
Cette organisation, dit-il, est digne de la médecine du siècle dernier. Un service où la contagion est importante nécessite des chambres de pas plus de deux personnes. Ce n'est pourtant pas le cas à Boufarik. Pire encore, seuls trois sanitaires collectifs sont prévus pour un nombre trop important de malades. « Anormal », ajoute encore le Dr Yousfi pour qui l'idéal serait des sanitaires pour chaque chambre de deux personnes. C'est dans ces conditions que sont accueillis les patients qui n'ont pas la force de rouspéter. Leur quotidien se résume souvent à rester allongés car avec des problèmes respiratoires, le moindre effort s'avère trop fatigant.
En cette matinée, un monsieur d'un âge certain s'approche de la porte grillagée du pavillon. Il a de la visite. C'est son fils. Evidemment que les visites ne sont pas autorisées. Son fils n'entre pas. Il reste à l'extérieur. Il est venu lui remettre son déjeuner. « Je préfère lui ramener ce qu'il aime bien plutôt que de le laisser manger la nourriture de l'hôpital », confie le fils, soulagé de voir son papa pouvoir se mettre debout, après plus d'une semaine d'hospitalisation. Les lits d'hôpital se font rares et la gestion de la rotation des malades est compliquée. La cause ' La durée que prennent les analyses PCR envoyées à l'Institut Pasteur. En effet, explique le Dr Mohamed Yousfi, lorsque des cas ne sont pas encore confirmés, ils sont placés dans un service réservé aux cas suspects. Si les analyses arrivaient rapidement, il serait plus facile de libérer des lits lorsque les cas s'avèrent négatifs.
L'Institut Pasteur étant dépassé, les délais d'attente sont de plus en plus longs. Depuis le début de la pandémie, l'EPH de Boufarik a effectué pas moins de 15 000 prélèvements sur les
20 000 patients ayant sollicité la consultation Covid-19. Le chef de service des maladies infectieuses ne perd pas espoir de voir l'hôpital doté de l'équipement nécessaire pour effectuer des tests PCR sur place. Le personnel de l'hôpital attend également du renfort. Epuisés, au bord du burn-out, médecins mais également paramédicaux n'ont pas baissé la garde depuis le mois de février.
Le Dr Yousfi leur rend un grand hommage. Ils enchaînent les gardes sans pouvoir réellement récupérer. Lorsqu'une personne est libérée pour une journée, assure le Dr Yousfi, la charge de travail est décuplée pour ceux qui restent. Un cercle vicieux qui ne peut être cassé que par un apport extérieur. Contrairement aux CHU où les résidents sont d'un grand secours, dans l'EPH de Boufarik, c'est toujours la même équipe qui est au front. Les appels aux bénévoles, notamment retraités de la santé, n'ont eu que très peu d'écho.
À l'EPH de Boufarik, ils sont très peu nombreux à s'être précipités pour aider. Omar, un paramédical à la retraite, l'a fait. Son aide est appréciée à sa ajuste valeur mais il faudrait des dizaines de Omar encore pour que le personnel du premier hôpital à avoir fait face au Covid-19 ne s'écroule pas, trop fatigué de faire face à une épidémie de cette ampleur avec des moyens dignes du siècle dernier...
N. I.


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