Algérie

ArcelorMittal d'El Hadjar (Annaba) : Jeux et enjeux de la crise



ArcelorMittal d'El Hadjar (Annaba) : Jeux et enjeux de la crise
Les résultats de 2007 et 2008 sont l’un des indicateurs forts. Jugeons-en : la première année avec 5,2 milliards de dinars à l’import et plus de 12,4 milliards de dinars à l’export contre respectivement 15,2 milliards de dinars et près de 7 milliards de dinars en 2008, année qui, faut-il le rappeler, a vu naître la première crise mondiale dont la sidérurgie n’a pas pu échapper aux effets pervers.
Pis, elle était parmi les premières filières à être emportée par le vent de récession qui s’en est ensuivi. Et en dépit de la reprise du marché international de l’acier en 2009, les ventes du complexe sidérurgique ont, curieusement, connu les pires performances. Elles ont, en effet, été amputées de plus de 6 milliards de dinars. Une autre énigme vient se greffer à la «saga» ArcelorMittal Annaba, car curieusement, la même année, l’on y avait dépensé beaucoup plus d’argent qu’on en avait gagné : des importations ayant avoisiné les 6 milliards de dinars (5,98) sur le 1 milliard de revenus à l’export. L’année d’après - 2010 -, un déséquilibre quasi le même entre les revenus et les charges a pu être enregistré : 3,3 milliards de dinars tirés des exportations de produits plats et près de 4,5 milliards de dinars de déboursés. Interpréter économiquement et donner une lecture comptable juste à tous ces chiffres, est ce à quoi n’est, visiblement, pas parvenu Noureddine Haddadou, le directeur régional des Douanes de Annaba et il n’est pas le seul à se perdre dans ce parcours labyrinthique. C’est du moins ce qu’il laisse déduire lorsqu’il affirme : «Sincèrement, à ce jour, je n’arrive pas à comprendre le cas ArcelorMittal. Un cas pour le moins énigmatique. De grands écarts dans les importations entre une année et une autre, dans les exportations d’une année à l’autre».  D’autres données non moins significatives émanant du Comité de participation (CP) et concernent, cette fois-ci, la structure de la dette. Là aussi, si l’on se réfère aux chiffres avancés par Ahcène Bourfis, l’un des membres influents du CP, avoir de la suspicion à l’égard de ceux qui parlent de situation de surendettement à ArcelorMittal pourrait être légitime. Car bien que les revenus de l’entreprise se soient sensiblement rétractés, la filiale algérienne a quand même réussi à s’acquitter d’une bonne partie de son ardoise. Les dettes envers la société mère ne cessent, en effet, de baisser d’année en année. M. Bourfis reste, tout de même, optimiste quant à la reprise sérieuse de la production. Dans son optimisme, il se dit conforté par les résultats jugés prometteurs, atteints en ce début d’année 2012. Sur 86 576 t d’acier liquide brut (ALB) sont attendues, plus de 75 000 t, soit environ 82% des objectifs arrêtés pour janvier. Ce qui devrait se traduire par une hausse non négligeable du chiffre d’affaires (CA) mensuel que le syndicat et la direction générale se sont toujours gardés de rendre public. Concurrence déloyale Adhésion à toute initiative ou  souscrire à tout plan de rigueur axé sur la rationalisation des dépenses de l’entreprise, les sidérurgistes d’El Hadjar y sont favorables. Pour preuve, la récupération de quelque 65 000 tonnes en produits déclassés et ferraille issus des différentes unités, soit une économie de 14 000 DA/t prix habituellement versés aux privés pour satisfaire les besoins de certains segments des activités du complexe. Parmi celles-ci, ce sont les produits longs (ronds à béton et fil machine) qui ont du mal à résister à la concurrence déloyale dont ils sont victimes et que les dispositions avantageuses édictées par les deux engagements commerciaux internationaux auxquels a adhéré notre pays ont aggravé, précisent plus d’une source. En effet, les exonérations des taxes douanières prévues dans l’Accord d’association avec l’UE et le pacte régional Zone arabe de libre-échange (ZALE) ont permis à une poignée d’importateurs privés de se sucrer, mettant à rude épreuve les produits longs issus du complexe ArcelorMittal Annaba. En la matière, le produit phare est le fer rond à béton puisqu’il pèse près de la moitié de la production, tous produits confondus. Théoriquement, El Hadjar est doté de capacités de quelque 600 000 à 700 000 t pouvant satisfaire au moins le 1/3 des besoins nationaux. Vu les importations en cascades réalisées par les privés, il arrive à peine à grignoter de modestes parts de marché aux barons de l’acier.  Ses 200 000 t, seuil qu’il a rarement dépassé - moins de 1000 t/j produites en moyenne - se frottent difficilement aux quantités mises en vente par ces derniers. Rien qu’au port de Annaba, pas moins d’une centaine de navires chargés de rond à béton en provenance d’Europe sont annuellement traités par les douanes locales. A eux seuls, les 4 opérateurs privés, qui contrôlent le marché à l’import du rond à béton à Annaba, arrivent à égaler si ce n’est dépasser le volume produit par le méga-complexe d’El Hadjar. Leur premier record a été battu en 2010 avec pas moins de 175 328 tonnes, l’équivalent de près de 7,5  milliards de dinars. La forte demande sur le marché national a aiguisé leurs appétits puisqu’une année après, les mêmes puissants «hommes de fer» ont doublé la mise avec 325 836 tonnes importées pour plus de 14,7 milliards de dinars, font ressortir les statistiques officielles de la direction régionale des douanes de Annaba. Il faut dire qu’il n’y a pas que les privés algériens qui se sucrent  au détriment du complexe sidérurgique d’El Hadjar. Même son propriétaire a tiré bénéfice de la situation de laisser-aller et laisser-faire longtemps érigée en mode de gouvernance. Et à en croire ce qui a été avancé par Ahcène Bourfis, l’un des hommes forts du CP, l’on serait en droit de penser qu’envers sa société, l’actionnaire majoritaire était aussi délicat qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Selon lui, en plus du privé, le rond à béton d’El Hadjar avait, jusqu’à 2007, été confronté à la concurrence de celui introduit sur le marché national via les sociétés import-export créées pour la circonstance par le repreneur du complexe sidérurgique. Cascade de défection des clients A ArcelorMittal Annaba, une curieuse stratégie progressivement et doucement mise en œuvre par la maison mère, aurait, en outre, fait perdre le plus gros client voisin de l’Ouest à la faveur de l’une des filiales européennes du numéro un mondial de la sidérurgie, toujours d’après le même représentant du CP. Ainsi, depuis 2010, les produits plats «made in Algéria» auraient disparu  sur le marché marocain. «Dans sa liste des gros clients traditionnels, ArcelorMittal Annaba comptait un Marocain. Il nous achetait des milliers de tonnes de produits plats. Cependant, pour des raisons que seul le propriétaire connaît, nous ne l’avons plus revu, et ce, depuis 2010 à ce jour. Il a été récupéré par l’une des filiales européennes du groupe», déplore le syndicaliste avant d’évoquer la perte de plusieurs autres clients syriens. Néanmoins, les raisons étaient tout autres : embargo commercial et restrictions bancaires infligées à la Syrie par l’Europe. A propos de ce même pays, M. Bourfis a tenu à souligner le cas de deux transactions douteuses conclues début 2011 avec un opérateur économique. «Deux importantes cargaisons distinctes de bobines de premier choix ont été cédées à un grand client syrien, et ce, sur dérogation des responsables de l’entreprise. Ce même client avait initialement commandé des bobines déclassées dont les quantités contractuelles n’étaient pas encore prêtes au moment du chargement. Pour pallier au non-respect de leurs engagements, ses vis-à-vis lui ont livré des bobines de premier choix à des prix arrangés – combinaison entre le prix du premier choix et celui relatif au déclassé.  On se trompe une fois, mais pas deux. A vous d’en tirer les conclusions», a souligné la même source avant d’ajouter, ironisant : «Ce n’est qu’à ArcelorMittal Annaba que l’on prévoit et programme le produit déclassé est programmé. C’est comme si on s’arrangeait d’avance pour en avoir le maximum. D’où les commandes de bobines déclassées en cascades émanant de toutes parts». Justement, la tendance haussière des exportations bobines et billettes très convoitées par le voisin de l’Est ont suscité pas mal de commentaires et d’interrogations, poussant les douanes de Annaba à s’y intéresser de plus près.  Car de l’aveu même d’un haut officier des douanes en poste aux frontalières algéro-tunisiennes, après leur découpage ou leur transformation au niveau des ateliers d’une grande société vers laquelle converge une bonne partie des quantités exportées, les deux produits phares d’El Hadjar sont réintroduits et revendus en Algérie. «Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi l’on n’a toujours pas pensé à investir dans une usine qui fait ce que font les Tunisiens, découper ou transformer les bobines algériennes sur place '», s’interroge, pour sa part, son directeur régional Noueddine Haddadou. «De plus en plus cupides, nos importateurs sont obnubilés par le gain facile et rapide. Ils trouvent leurs comptes dans les bananes, les bonbons et chocolats», explique le jeune officier.     


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