Guelma : avec
Sétif et Kherrata, les villes martyres du 8 Mai 1945. D'autres villes y ont
participé, mais ces trois restent, dans le souvenir populaire, les villes de la
résistance et des nombreux massacres qui ont suivi, celles annonçant le 1er
Novembre 1954. Et c'est dans cette ville que s'est tenu le procès de Mohamed
Gharbi, moudjahid et patriote, c'est dans cette ville que sa condamnation à mort
a été prononcée. Quelle vilénie !
J'ai lu dans la presse, attérée, que le
prétoire a retenti des cris de «Allahou Akbar». Et ces deux mots m'ont ramenée
52 ans en arrière, à Barberousse, quand je les entendais, prononcés par les
condamnés à mort qu'on venait chercher pour la guillotine (Fingua). C'étaient
ces deux mots qu'ils nous lançaient, à l'aube, quand ils partaient comme des
héros pour ne plus revenir.
«Vous étiez fiers
et calmes, sûrs de votre idéal, vous côtoyiez déjà les martyrs de l'histoire...».
Et d'après le témoignage d'un condamné à mort, ceux qui restaient dans la
cellule étaient tétanisés, sans jambes. Les condamnés partaient à l'aube,
soutenus par toute la prison, debout et révoltée, qui criait des slogans,
chantait et lançait des youyous, prévenant ainsi la Casbah. Et c'était eux qui
nous donnaient de belles leçons de courage et d'espoir. J'ai encore ce cri de
«Allahou Akbar» dans l'oreille après 52 ans. Merci, mes frères. Et nous
n'avions pas honte, au tribunal militaire, quand on nous traitait de
terroristes et que la salle, pleine de pieds-noirs, criait «à mort, à mort». Et
c'est ce même cri qui a été entendu... dans le prétoire du tribunal de Guelma.
Et c'est une
femme qui a osé, sous des pressions très fortes, je le suppose, prononcer ce
jugement. Une femme ! Certes, femmes et hommes sont semblables étant des êtres
jumains, et la femme n'est pas, par nature, porteuse de toutes les qualités et
sentiments. Mais tout de même, il fallait oser le faire ! il y a des choix qui
s'imposent dans la vie, des choix souvent difficiles et qui ne sont pas
conjoncturels, des choix qui bouleversent totalement notre vie, mais quand on a
fait le bon choix, croyez-moi on se sent beaucoup mieux, on respire bien. Vous
n'avez pas, Madame, accordé les circonstances atténuantes, pourtant vous aviez
le choix. Je sais très bien que nul ne peut se faire justice lui-même : c'est
un grand principe. Mais, en général, la condamnation à mort a lieu pour la
contumace, ce qui n'est pas le cas, l'accusé n'ayant pas fui. vous aviez toute
une panoplie de circonstances atténuantes : fréquentes provocations, autorités
prévenues par l'accusé à plusieurs reprises, et surtout son passé.
Je ne connais pas
Monsieur Gharbi, mais j'ai appris qu'il est moudjahid et chef de patriotes de
Souk-Ahras. Et cela me suffit amplement. Il a dû en voir mourir des innocents
assassinés avant de reprendre les armes. Et j'ai en mémoire, dès les premières
années du terrorisme, des centaines de moudjahidine assassinés sans que le
ministère des Moudjahidine, qui en était informé, ne le dise. Actuellement, les
institutions ne bougent pas pour ne pas contrarier la réconciliation nationale,
mais est-ce là une façon de réaliser la réconciliation ? Et peut-être même,
tant qu'on y est, pour ne pas contrarier le traité d'amitié avec la France ?
Monsieur Gharbi est un vrai moudjahid (il y a, paraît-il, plus de faux que de
vrais) grâce à qui nous sommes indépendants; et cette guerre de sept ans et
demi a été atroce, dure, implacable. Monsieur Gharbi, je n'ai pas eu l'honneur
de vous connaître mais je vous vois toujours digne en attendant que le peuple
surmonte cette léthargie momentanée qui l'a frappé, et qu'il ouvre enfin les
yeux sur ce qui a été son silence et, pourquoi pas, malgré toutes les excuses
qu'on peut lui trouver, sa lâcheté. Au-delà des symboles et calculs sordides
qui ont été à l'origine de votre condamnation, c'est votre dignité également
qu'on vous reproche.
A Bientôt,
Monsieur Gharbi, à bientôt.
*Moudjahida
Posté Le : 18/06/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Annie Steiner *
Source : www.lequotidien-oran.com