« Tous les
réactionnaires sont des tigres de papier », a dit un jour Mao Zedong. C'est
cette citation qui m'est venue à l'esprit vendredi 14 janvier lorsque j'ai
appris, ébahi, la fuite de Ben Ali. J'ai aussi pensé au jour de l'effondrement
du régime de Saddam Hussein. Souvenez-vous de cette statue du zaïm traînée dans
la rue par un char avec, à ses trousses, des gamins qui la savataient de leurs
chaussures et mules poussiéreuses. Quelle chute ! Quel destin minable ! Quel
contraste entre l'arrogance de la puissance la veille et la débandade du
lendemain.
Il y a quelque chose de fascinant dans la
fuite, presque toujours honteuse, d'un dictateur. Je passe rapidement sur ces
villas qui ont été prises d'assaut, sur les premiers règlements de compte
visant la belle-famille de Ben Ali et sur les rumeurs de vol de lingots d'or
par Leila Trabelsi, la «hajama» qui voulut devenir reine. C'est
surtout cette sensation de sauve-qui-peut à la nuit tombée qui est
impressionnante. Que se passait-il dans la tête de Ben Ali quand il était dans
l'avion et qu'on lui a annoncé que son ami Sarkozy lui refusait l'asile ? Il y
a matière à littérature dans l'affaire.
Il y a aussi beaucoup à dire sur la fin du
régime des Ben Ali & Trabelsi. Mais commençons d'abord par rendre hommage
aux Tunisiennes et aux Tunisiens. Ils ont été épatants et admirables. Avec
leur courage, ils ont forcé le respect de millions de gens à travers le monde.
Ils ont démontré qu'ils n'étaient pas ces doux pacifiques tant moqués par leurs
cousins algériens, si fiers de leur virilité et de leur irrédentisme supposé.
Rendons hommage à Mohamed Bouazizi qui a été le premier à s'immoler par le feu
le 17 décembre 2010. Son nom est à ajouter à la longue liste des grandes
figures de la résistance maghrébine. Et, au passage, c'est aussi l'occasion de
se souvenir que le terme fellagha a d'abord désigné les nationalistes tunisiens
qui avaient pris les armes contre la puissance coloniale.
Aujourd'hui, les Tunisiens ont la possibilité
de prendre leur destin en main. Ce n'est malheureusement pas le cas des
Algériens. Mais cela finira par venir, c'est une évidence. Car la révolution
tunisienne nous montre une nouvelle fois que les dictatures ne sont pas
éternelles et qu'elles finissent tôt ou tard (souvent tard, malheureusement)
par s'effondrer. Ces régimes policiers portent en eux des
contradictions qui les minent de l'intérieur, comme un arbre qui pourrit
silencieusement sous son écorce et qui finit par s'abattre à la grande surprise
générale. Cela redonne espoir, cela montre que rien n'est inéluctable, y
compris le sort actuel des Arabes en général et des Algériens en particulier.
Dans un système oppressif on ne peut se
limiter à condamner celui qui ordonne l'oppression. Ben Ali n'a jamais voulu
que son peuple soit libre. Il n'a jamais voulu le bien de son pays et la
manière dont ses nervis ont tenté d'incendier Tunis après son départ montre
qu'il mérite d'être jugé par la justice tunisienne ou même internationale. Mais
il y a ses complices à commencer par ceux qui ont profité du système pour
développer leurs petites et grandes affaires. A ce sujet, l'histoire retiendra
que c'est peut-être la rapacité de sa belle-famille qui a provoqué la chute du
tyran de Carthage. Dans un monde numérisé, tout circule. Grâce soit rendue à Wikileaks qui a confirmé aux Tunisiens ce que
radio-trottoir savait déjà. J'ai lu aussi les fuites concernant l'Algérie et,
comme les Tunisiens, j'ai ressenti un profond sentiment d'humiliation et de
colère. Et je pense que je ne suis pas le seul.
Parlons aussi des valets serviles du système.
Ce qui m'a toujours fasciné lors de mes multiples séjours en Tunisie, c'est
cette dichotomie dans laquelle baignaient les élites de ce pays. Je parle
surtout de ces gens qui semblaient prendre un malin plaisir à toujours
s'enfoncer plus dans l'obséquiosité à l'égard du locataire du Palais de
Carthage. Aujourd'hui, certains sont en fuite, d'autres terrés chez eux et
les plus opportunistes tentent de prendre le train de la révolution en marche.
Mais tous sont frappés par le signe indélébile du déshonneur.
Cela vaut pour ceux qui, en Algérie, nous
expliquent qu'un complot se tramerait contre le pays. A chaque fois que notre
société, surtout notre jeunesse, frémit et s'apprête à revendiquer sa dignité
et ses libertés, c'est un concert saisissant de crécelles que l'on nous
inflige.«Complot de l'étranger » rimerait donc avec aspiration à la liberté. Ce
fut d'ailleurs la réaction de Ben Ali et de ses conseillers qui ont tenté de
faire croire à l'implication de l'AQMI dans les émeutes. Insistons sur ce
point: l'étranger malveillant, quand il existe et agit, est celui qui souhaite
le statu quo en Algérie, pas l'inverse. Il est temps de le dire tranquillement
: nous sommes des millions d'Algériens à souhaiter un changement politique dans
notre pays. Nous avons droit à la liberté et au pluralisme. Nous avons droit à
la dignité. Il n'y a aucune raison de nous en priver. Et comme pour la Tunisie,
il n'y aura pas de développement pérenne de l'Algérie sans Etat de droit. Plus
le temps passe et plus cette exigence va se renforcer. Parier sur le contraire,
serait faire fausse route et ouvrir la voie à une inévitable fuite honteuse le
jour où la colère des Algériens et des Algériennes ne pourra plus être contenue.
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Posté Le : 20/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com