Le tourisme est un secteur accessible aux pays du Maghreb pour peu qu'ils disposent des moyens d'hébergement et d'équipement élémentaires'».(1) Nous sommes tentés d'être d'accord avec une telle idée posée en forme d'égalité.
Une égalité somme toute discutable : disponibilité de moyens d'hébergement = tourisme. Prise sous cet angle strict, une telle égalité réduit le tourisme à un domaine lié dans son développement à la disponibilité de moyens d'hébergement. De ce point de vue, il est fait abstraction de la qualité de ces moyens, du type de tourisme offert, et enfin de la qualité du service disponible. Cette mise en relation suggère pour nous quelques interrogations, notamment pour savoir si :
Le tourisme dans les pays du Maghreb a obéi dans son développement à cette équation '
Les investissements engagés par chacun de ces pays séparés avaient-ils obéi à une logique économique stricte '
Quelle était la part du politique dans le développement du tourisme '
Quels enjeux pouvait-il représenter dans ces pays '
D'autres experts sont allés mettre en relation la nécessaire ouverture des frontières. Sur ce point précis, il est relevé, à travers certains travaux de recherche, pour que ces pays développent leur tourisme, il est impératif d'ouvrir leurs frontières au tourisme. Nous sommes face à une seconde condition posée sous forme d'égalité : point de tourisme sans ouverture des frontières. Mieux encore, auquel cas, le tourisme est condamné à l'échec. Cette question a, évidemment, été différemment perçue par les pays du Maghreb en particulier. En effet, la question de l'ouverture des frontières a dépassé largement sa connotation géographique stricte. Elle a atteint parfois le culturel, le traditionnel, l'ancestral, par peur que ces principes fondamentaux puissent devenir un élément incontournable dans le développement du tourisme.
L'ouverture des frontières est perçue sous son angle strictement générateur de ressources, y compris en recourant à user de la triade des trois «S» (Mer ' Plage - Soleil) dont les professionnels du tourisme connaissent suffisamment les tenants et les aboutissants. Le tourisme dans les pays du Maghreb s'est développé à partir des degrés de vulnérabilité des économies de ces pays. En effet, entre ceux qui attendaient un retour du tourisme en usant et abusant des legs et traditions ancestraux, en louant ses vertus, et ceux pour qui le tourisme est simplement une forme de néo-colonialisme, voire un facteur polluant des acquis des révolutions.
D'un point de vue politique, il est constaté que le tourisme dans les pays du Maghreb a vite été rattrapé par (le) et (la) politique. Sa relation avec le politique accentuera et développera davantage les clivages, non pas entre les peuples mais entre les gouvernants eux-mêmes, et ce, depuis l'accession de ces pays à l'indépendance. La différence dans la perception du rôle du tourisme en tant que secteur à vocation économique stricte émane de la culture politique des dirigeants de chacun de ces pays. Le poids du politique pèsera encore davantage à partir des options stratégiques affichées par les uns et les autres. Ce poids retiendra l'essentiel des objectifs retenus et accordés au tourisme par les pouvoirs et systèmes politiques en place.
Entre le rejet d'en faire un cheval de bataille dans le développement économique pour des raisons de stratégies de développement (le cas de l'Algérie) et le choix d'en faire pour des raisons financières et, économiques (le cas du Maroc et de la Tunisie), le tourisme est devenu, depuis, l'otage d'enjeux politiques entre les gouvernants. Ces choix et ces rejets, selon le cas, n'émanent pas uniquement (faut-il le préciser) de stratégies de développement réfléchies mais de v'ux des groupes dominants à la recherche d'appuis pour asseoir une forme d'hégémonie dans la sous-région.
Avec un peu de recul, il est aisé de constater que les stratégies de développement du tourisme adoptées par les Etats du Maghreb divergeaient, non seulement en termes de modèle de développement économique à adapter au tourisme, mais plutôt en fonction des attentes de ces mêmes systèmes politiques, des groupes dominants, des luttes d'appareils, de clans.
Le développement du secteur du tourisme aura survécu aux systèmes POLITIQUES, aux régimes
Ces luttes, faisaient souvant rage et dépassaient par leur cruauté l'enjeu qu'elles imposaient. La gestion du développement du tourisme se faisait sous des angles qui, souvent, échappaient à «l'intellection». Elle échappait à la logique tout court. Des logiques inspirées de modèles de développement qui, eux-mêmes, échappaient à l'économique (aux économistes) et aux sociologues. Ces gouvernants (ces politiques) faisaient semblant d'ignorer les vocations touristiques qui, pourtant, leur sautaient aux yeux. De nouveaux paramètres géopolitiques rentreront en ligne de compte dans la gestion des projets de développement du tourisme. Des ces paramètres naîtront ce que nous considérons être des «comportements politiques». De ces paramètres naîtront des relations, des intentions, des actions déstabilisatrices.
Ces dernières, parfois en sourdine, parfois en clair. Chacun de ces pays s'identifiait, s'assimilait au charisme des gouvernants qui prenaient forme au fur et à mesure. Le tourisme constituera un simple mobile derrière lequel se cachaient des sous-bassements hégémoniques que ces leaders afficheront au fur et à mesure de l'évolution de ces pays. Le regard des gouvernants en direction du tourisme variera en fonction de l'approche du moment. Il évoluera en fonction de leurs attentes eux-mêmes. Entre un désintérêt total, par le fait de la disponibilité de la rente de substitution (pour le cas de l'Algérie), et un attachement des plus importants au secteur, par le fait de sa capacité à générer des recettes en devises (pour le cas du Maroc et de la Tunisie), nécessaires pour créer de l'emploi entre autres, de la relation entre, les systèmes politiques et le développement du tourisme dans les pays du Maghreb :
Par-delà les clivages d'ordre doctrinal et idéologique : «démocratie-dictature», «socialisme-libéralisme», en plus de l'éternel dualisme controversé «développement-sous-développement», les politiques de développement du tourisme adoptées par les pays du Maghreb étaient guidées essentiellement par des impératifs d'ordre géostratégique.
Des Etats (des gouvernants) gagnés par la folie des grandeurs allaient investir le terrain par des réalisations gigantesques. Une telle approche, épousée par l'Algérie notamment, reflète nettement l'audace ambiante dont le simple objectif était de dissuader le pays voisin. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les modestes moyens financiers consacrés notamment par l'Algérie pour le développement du tourisme, comparés aux autres secteurs d'activité, n'ont pas empêché, outre mesure, les gouvernants, de placer le tourisme sur la trajectoire politique des gouvernants. La politique s'est saisie du secteur, le prend en charge à son tour pour en faire un outil de marketing politique, de propagande. Cette approche ne connaîtra pas d'évolution significative jusqu'aux années 2000.
Dans le même ordre d'idées, il est utile de souligner que, quand bien même ces pays disposaient de potentialités touristiques importantes, (et en disposent toujours), les stratégies globales de développement mises en 'uvre en direction du tourisme, différaient et, divergeaient non pas en fonction des attentes économiques, mais en fonction d'intérêts politiques des groupes dominants respectifs. Nous sommes face à des systèmes politiques où la notion de pouvoir est intimement liée, non pas aux fondements idéologiques de ces systèmes, mais aux volontés des groupes dominants en place. Le politique subrogera à l'économique. L'économique cédera la place au politique.
L'instrumentalisation du tourisme par des intérêts géostratégiques
Un tel constat permet d'enchaîner avec l'idée selon laquelle le tourisme peut également être instrumentalisé par l'acteur public en vue de répondre à des intérêts et motivations relevant davantage de «la politique». Le tourisme est devenu un sorte de scène où «s'affrontent des individus et des groupes en compétition'».(2)
Le tourisme est, désormais, pris dans le piège de sa propre mission. Une mission somme toute classique, naturelle de découvertes, de liberté d'agir, d'échanges, allait constituer une source de conflits. Il alimentera les relations entre ces pays, qui iront crescendo, se complexifier, se croiser, sous des formes conflictuelles, qui cachaient des dessins hégémoniques réels. Aucun de ces trois pays, au départ, ne misait et ne faisait du tourisme un vecteur de développement si ce n'était une «tactique» pour mieux s'approprier «les penchants affectifs» des grandes puissances d'alors. Ces dernières, «obnubilées» (faut-il le dire) par les effets de l'équilibre géostratégique bipolaire en vigueur à cette période, recherchaient plus d'espaces d'influence dans une sous-région qui promettait beaucoup «d'avantages».
Le plus grave, dans certains cas, est l'adoption par ces pays de plans de développement économiques, souvent calqués au nom de la «défense» mutuelle d'intérêts communs. En effet, des pays comme le Maroc et la Tunisie, qui, au milieu des années 1960, avaient joué sur une espèce d'hésitation tactique pour amener les pays occidentaux à les soutenir, non pas pour développer le tourisme mais pour mettre en place des plans de développement économique globaux à travers l'assistance technique, des soutiens financiers, pour, plus tard, faire du tourisme un agent garant et sûr d'intégrer la voie du capitalisme, expression à la mode à cette époque. La recherche du leadership, devient (cette fois-ci) le moteur qui fera accélérer les rythmes d'investissement pour les uns (le Maroc et la Tunisie) et la recherche de prestige par de gigantesques réalisations à la limite de la démesure pour d'autres (l'Algérie)'
Une telle option fera payer à l'Algérie en particulier «le lourd tribut» pour plusieurs raisons. Nous tenterons d'en énumérer quelques-unes dans le passage réservé à cet effet. Sur le plan économique, ainsi que nous le disions plus haut, bien que ces trois pays disposaient alors (et disposent toujours) de potentialités touristiques naturelles importantes (climat, beauté des paysages, diversité des reliefs et des géographies, diversité de cultures), il reste qu'ils ne disposaient pas tous, aux premières années de leur indépendance, des mêmes niveaux de revenus, des mêmes compétences techniques et humaines nécessaires au développement de ce secteur. La mise en 'uvre des plans de développement se faisait différemment par chaque pays en fonction (surtout) de la disponibilité des ressources naturelles en vogue alors : les hydrocarbures.
Cette inégalité en termes de moyens avait influé grandement et d'une manière négative sur le développement du tourisme au Maroc et en Tunisie. Une approche comparative paraît intéressante. Nous tenterons de la développer dans d'autres contributions. Nous nous contenterons d'en développer quelques idées pour le cas de l'Algérie. Nous donnerons toutefois quelques indices à titre comparatif. L'Algérie, en revanche, a opté, pour des raisons stratégiques, pour «l'ignorance» du rôle économique du tourisme. Le tourisme est appréhendé en ce qu'il représentait surtout «un risque majeur susceptible de nuire aux acquis de sa jeune Révolution». La disponibilité de la ressource financière confortera davantage l'assise des gouvernants de la première décennie post-indépendance.
Le gigantisme, comme option de puissance sous-régionale, le prestige à la place de l'efficacité économique, la réalisation d'infrastructures touristiques sur des sites à partir de références historiques, d'équilibre régional, montre à l'évidence que la priorité n'était nullement de donner un sens économique au tourisme, mais de réguler les tensions internes autour des choix des uns et des autres. Des exemples d'infrastructures réalisées sur des sites qui, de nos jours, s'avéreront dépassées par l'absence du fait à la fois culturel et touristique. Le prestige aura prévalu à la place de l'efficacité économique. Cependant, force est de constater que ces gigantesques réalisations, (faut-il le dire, en hommage à ceux qui les avaient initiées) bien que décriées au départ, car, entreprises avec audace et fantaisie, se révéleront plus tard en avance par rapport à leur époque' c'est-à-dire jusqu'en 1978.(3)
De nos jours, elles périclitent, faute de moyens nécessaires pour leur mise à niveau tant humaine que matérielle. Ces réalisations ne connaîtront aucune prise en charge. Les préoccupations de l'Etat allaient changer de cap. Les moyens consacrés par l'Etat s'amenuiseront au fur et à mesure jusqu'aux années 1985. Les entreprises créées pour la gestion du tourisme, notamment celles issues des restructurations organiques à partir des années 1980, évolueront en rangs dispersés. Elles subiront les effets directs du retrait graduel de l'Etat au nom de la décentralisation au départ et de l'autonomie ensuite. Elles évolueront dans un nouvel environnement caractérisé par la férocité du marché auquel elles devaient faire face. Une espèce de mise à nu graduelle allait s'observer. Au fur et à mesure également, des insuffisances seront relevées çà et là, tant sur le plan de l'état de ces mêmes infrastructures que sur celui de la qualité des prestations elles-mêmes, c'est-à-dire la qualité de la ressource humaine. Ces insuffisances ont pour origine un cumul de facteurs complexes d'ordre organisationnel, politique et juridique que nous tenterons de développer ci-dessous.
S'il est admis de tous que l'apport économique du tourisme est quasi nul, cela est-il dû :
- Au modèle de stratégie de développement adopté '
- Au gigantisme des infrastructures devenues lourdes à gérer '
- A l'inadaptation de la ressource humaine aux normes universelles en la matière '
- Au modèle organisationnel imposé aux entreprises en charge du tourisme '
- Au rejet de la société elle-même du tourisme compte tenu des ses effets polluants et négatifs sur le «nouvel ordre culturel» actuel '
- A l'insuffisance des moyens marketings mis en place pour redorer le blason de la destination touristique algérienne '
Quelques notes historiques : A l'indépendance, l'Algérie héritait d'un équipement hôtelier non négligeable, constitué de villas concentrées dans les grandes villes. Cet équipement était désuet certes et disparate. Les cadres hôteliers faisaient énormément défaut.
Durant cette période, aucune politique du tourisme ne fut définie. L'ONAT, (Office national algérien du tourisme), premier établissement public créé en 1962 sans mission claire, puis vint un ministère du Tourisme en 1964. Les problèmes furent réglés au jour le jour jusqu'à la publication de la charte du tourisme en 1966. A cette époque, les gouvernants algériens estimaient que concentrer tous les efforts en direction du tourisme pouvait s'avérer dangereux. Le tourisme, aux yeux des gouvernants d'alors, était sujet aux aléas et conjonctures surtout politiques. La crise politique cubaine en 1962, et chypriote en 1974, alimenteront davantage le discours politique. A ces arguments politiques, d'autres alimenteront l'arsenal des gouvernants pour minimiser sinon mettre en relation la vulnérabilité extrême du tourisme devant des faits économiques même conjoncturels.
En effet, la baisse des entrées touristiques dans les pays du pourtour méditerranéen, eu égard à la crise de 1973(4), ainsi que les implications de celle-ci sur les économies de certains de ces pays confortera davantage les choix des gouvernants pour la mise sur pied d'une stratégie de développement économique à prédominance industrielle. D'autres thèses avaient tenté d'expliquer l'abandon de l'option tourisme par les gouvernants par des considérations d'ordre sociétal et sociologique. Il est relevé que «l'Algérien très indépendant, susceptible, refuse de faire de son pays l'Eden de riches servis par des pauvres. Le touriste est souvent accueilli avec nonchalance».(5) Un tel constat recèle une part de vérité même de nos jours.
Ouvrages de référence :
(1) Mimoun Hillali : Du tourisme et de la géopolitique au Maghreb : le cas du Maroc La Découverte
Hérodote/ 2007/4 - n° 127
(2) Jérémy Dagnies : Action publique et développement du tourisme en Europe de l'Ouest : perspectives historiques et tentative de catégorisation.
(3) Année à partir de laquelle l'Algérie n'engagera auun investissement dans la réalisation d'infrastructures à vocation touristique sur concours définitifs.
(4) En 1974, la diminution des entrées de touristes par rapport à 1973 fut de 0,8% en Tunisie, 14 % en Espagne, 31% en Grèce et 36% au Portugal.
(5) N.Widmann : Le tourisme en Algérie /Revue Méditerranée. N°2. 1976.
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Posté Le : 21/07/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Bouaraba Rachid faculté des sciences politiques et
Source : www.elwatan.com