Algérie

«Appliquer la loi et corriger les imperfections»



«Appliquer la loi et corriger les imperfections»
Docteur d'Etat en sciences économiques, professeur d'enseignement supérieur, directeur de recherche et actuellement consultant/conseiller au ministère du Développement industriel et de la Promotion de l'investissement, Farid Yaïci analyse dans cet entretien le rapport d'appréciation de la Cour des comptes sur l'avant-projet de loi sur le règlement budgétaire pour 2011.-Revenue dans les annales du Parlement en 2011 après 30 ans d'absence, la loi sur le règlement budgétaire, accompagnée du rapport de la Cour des comptes, dévoile de nombreuses anomalies dans la gestion des budgets sectoriels. Pourquoi la persistance d'une telle situation 'D'abord, il faut savoir que si le rôle de la loi de finances est de déterminer, pour un exercice donné, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte (article 1er de la loi 84-17 du 17 juillet 1984), la loi de règlement budgétaire a pour objet d'arrêter, à chaque fin d'année budgétaire, le montant définitif des dépenses et des recettes de l'Etat, ratifier les opérations réglementaires ayant affecté l'exécution du budget, fixer le résultat budgétaire et décrire les opérations de trésorerie (article 5 de la même loi).Par voie de conséquence, la loi de règlement budgétaire sert de document comptable essentiel à l'organe législatif (APN) à l'effet d'exercer son contrôle sur l'exécution des lois de finances, initiales, complémentaires ou modificatives, de l'année n-1 avant d'envisager les discussions et le vote des crédits et les objectifs proposés pour l'exercice n. L'absence de la loi de règlement budgétaire, durant des années, ne procède ni de la transparence, ni de la rigueur dans la gestion des deniers publics. Ensuite, je voudrais souligner que les documents que vous mentionnez dans votre question, à savoir la loi de règlement budgétaire et le rapport de la Cour des comptes, n'ont pas été rendus publics.A titre d'illustration de mes propos, si nous nous référons au site électronique de la Cour des comptes, nous ne trouvons que les rapports annuels des années 1995, 1996 et 1997 et si nous cliquons sur l'icône «publications», nous obtenons la réponse «rubrique en construction». Mais ce reproche est aussi valable pour la plupart des institutions et sites officiels ainsi que les entreprises, publiques et privées. Les bribes d'informations qui filtrent de ces entités, nous les glanons à travers la presse, ce qui n'est pas de nature à permettre de produire des analyses correctes, faire des évaluations ou tout simplement commenter de manière objective les informations.Dans le même temps, à l'université, nous recommandons aux étudiants chercheurs qui entament leur thèse de se référer obligatoirement à des lectures sources, jamais à des lectures secondaires. Enfin, si le rapport de la Cour des comptes dévoile des anomalies dans la gestion des budgets sectoriels pour l'année 2011, si l'on se réfère encore une fois à la presse, il faudrait alors que la loi soit appliquée, soit pour sanctionner, soit pour en tenir compte, selon le cas.Car, en effet, les irrégularités peuvent relever de la malversation, auquel cas il faudrait actionner la justice, ou résulter d'une mauvaise interprétation des textes ou de contraintes ou directement d'erreurs, auquel il faudrait y remédier. Nous connaissons, par ailleurs, les délais trop longs et les difficultés de la mise en place des budgets et la période trop courte restante pour les consommer, avec toute la précipitation que cela encourt. Dès lors, la solution est double et concomitante : appliquer la loi et corriger les imperfections. Quant à la rationalisation des dépenses, elle relève à la fois de l'action de la formation et de la pédagogie en direction des gestionnaires que de l'action de contrôle et de suivi des dépenses.Le rapport de la Cour des comptes accable justement plusieurs secteurs et fait état de graves dépassements. Qu'en pensez-vous 'Lorsque les organes de contrôle et de suivi sont mis en veille durant des années, voire des décennies, on ne peut que s'attendre à ce constat. Le rôle des organes précités est justement de prévenir de tels dépassements et d'ancrer des pratiques et habitudes de bonne gouvernance des institutions.En outre, il ne faut pas seulement voir ces organes sous le prisme de la sanction, ce qui peut être l'apanage des services de la justice, mais plutôt sous l'angle didactique. En effet, la Cour des comptes, mise en place en 1980 suite à la promulgation de la loi 80-05 du 1er mars 1980, a pour objet de contribuer, de par ses attributions, au renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude et de pratiques illégales ou illicites. Mais elle a aussi pour but de participer, à travers les résultats sanctionnant ses travaux, à asseoir une saine gestion des deniers publics aux plans de l'efficacité, de l'efficience et de l'économie.Quant aux «graves dépassements» constatés par la Cour des comptes et que j'ai découverts dans la presse, ils seraient de deux ordres. Ils pourraient relever de délits, auquel cas il faudrait actionner la justice. Ils pourraient tout autant résulter de contraintes diverses, de problèmes d'interprétation des textes ou carrément d'erreurs de gestion, auquel cas, d'une part, les pouvoirs publics devraient améliorer les procédures de gestion, introduire plus de souplesse et lever les obstacles et, d'autre part, les secteurs concernés devraient se contraindre à prendre en considération les observations qui leur sont formulées afin d'améliorer leur gestion. Parmi les difficultés soulevées dans le rapport de la Cour des comptes, beaucoup d'entre elles sont dues à la pression, la précipitation, la mauvaise prévision et l'absence de vision, lesquelles sont combinées aux procédures bureaucratiques, aux moyens inappropriés des administrations et à l'absence ou la faiblesse de contrôle et de suivi.Pour y remédier et au lieu de tenter de contourner ces obstacles par la multiplication des comptes d'affectations spéciales, dont la spécificité de la dépense est qu'elle n'est pas clôturée avec un exercice précis mais reportée d'année en année, et dont certains de ces comptes, faut-il le souligner, sont nécessaires, les pouvoirs publics devraient plutôt prendre en charge les nombreuses contraintes soulevées par les personnels impliqués dans la gestion quotidienne. En outre, il faudrait rendre systématiquement publics tous les rapports, statistiques et informations qui concernent de près ou de loin les deniers publics. C'est de cette manière, et seulement ainsi, que la gouvernance des institutions pourra être améliorée et la confiance des citoyens rétablie.-Qu'en est-il aussi de la consommation des crédits alloués aux différents secteurs avec en parallèle de grands retards dans la réalisation des projets 'La faiblesse dans la consommation des crédits alloués aux différents secteurs et les retards dans la réalisation des projets sont dus à la fois à toutes les difficultés liées aux procédures obsolètes de gestion et dont nous en avons parlé précédemment qu'aux problèmes de gouvernance des institutions tels que le manque de vision, la mauvaise prévision, le bâclage des études, le galvaudage des contrôles et des suivis, la faiblesse dans les capacités d'absorption de l'économie (en raison de procédures inadaptées et de contraintes quantitatives, institutionnelles et macroéconomiques) et le syndrome hollandais (en raison de l'abondance des ressources naturelles qui provoque le déclin de l'industrie manufacturière locale ainsi d'autres conséquences nuisibles).La chaîne des retards dans la réalisation des projets, avec comme conséquence la faiblesse dans la consommation des crédits alloués, débute, d'abord, par une absence de stratégie et une mauvaise prévision, lesquelles vont conduire inévitablement à des décalages des réalisations par rapport aux besoins. Les décalages sont, ensuite, aggravés par les procédures obsolètes de gestion, bureaucratiques, compliquées et nécessitant des délais trop longs et non maîtrisés. Enfin, l'indigence de la qualité de la gouvernance des institutions, en raison essentiellement de son manque d'organisation, la faiblesse dans les capacités d'absorption de l'économie, en raison de son insuffisance en expertise et innovation et le syndrome hollandais qui secrète des nuisances de toutes sortes en rajoutent à ces difficultés.La solution réside alors dans la mise à plat de toutes les procédures de gestion, administratives et bureaucratiques, et leur prise en charge par une réforme qui débuterait par la réalisation d'audits de toutes les opérations et démarches effectuées dans le cadre de l'acte de gestion avant d'en proposer leur simplification et leur réduction au strict minimum nécessaire. L'avantage de la simplification devrait permettre un contrôle plus efficace et un suivi meilleur. Il pourrait permettre, en outre, une diminution des procédures, une remise des délais et une baisse des coûts.-La gestion des subventions est également critiquée au moment où des voix s'élèvent pour demander de revoir le mode alors que le premier ministre a écarté cette option la semaine dernière à partir de Paris...La question des subventions est une question cruciale. Ce qui est souhaitable, ce n'est pas que l'Etat supprime les subventions. Tous les pays du monde accordent des subventions à leurs citoyens, sous quelque forme que ce soit. Ce qui est requis, c'est que les transferts sociaux soient plus ciblés et plus efficaces. A titre d'exemple, au lieu que l'Etat subventionne certains produits importés, ce qui équivaut à ce que l'Etat subventionne certaines productions étrangères, pourquoi ne pas transférer progressivement cette subvention à une production locale de substitution à celle qui est importée ' Cela permettrait à terme de réduire les importations et favoriser l'éclosion d'une production locale, en ce qui concerne les produits en question. De plus, une fois les producteurs locaux devenus compétitifs, la subvention de l'Etat disparaîtrait et la charge de l'Etat diminuerait.Au moment où les exportations des hydrocarbures connaissent une baisse des volumes depuis déjà six ou sept ans et où les importations ne cessent d'augmenter malgré toutes les mesures prises pour les contingenter, la raison devrait pousser les pouvoirs publics à rechercher des solutions alternatives à la situation actuelle. Il ne s'agit pas de faire la «révolution» de la politique du gouvernement du jour au lendemain. Il s'agit de prendre des mesures saines, rationnelles et graduelles, susceptibles d'améliorer la gestion des finances publiques et de préparer progressivement le pays à l'après-pétrole. Cela pourrait consister en des mesures simples qui seraient prises, ne serait-ce à titre pilote, avant de les généraliser. L'essentiel est de commencer à améliorer les «choses» par des mesures concrètes.Nous avons cité plus haut l'exemple de produits importés que l'Etat subventionne. Mais nous pouvons également citer un autre exemple où l'Etat subventionne des produits fabriqués localement pour les ressortissants de pays étrangers. A titre d'illustration, lorsque le prix des carburants dans le pays est parfois quatre fois moins cher que chez les pays voisins et qu'une bonne partie de ce carburant se retrouve dans ces pays voisins, par le biais de la contrebande, ne faudrait-il pas que les pouvoirs publics réfléchissent à une autre politique ' Par exemple, à celle qui consisterait à accorder directement une compensation pécuniaire aux professions qui seraient mises en danger de faillite en cas de suppression de la subvention (cas des agriculteurs qui utilisent du gazoil). Mais, là encore, nous préconisons la progressivité dans la mise en place des mesures.




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