La tonitruante maison d’édition Because music se lance dans une œuvre anthologique du raï. Pas très facile. Le premier album (1986-1990) est détonant. C’était le temps où le raï était subversif, où Khaled explorait en tâtonnant en usant et abusant des synthés.
C’était le temps où cheb Mami était encore cheb, avant qu’il ne mette sa voix aiguë au profit d’un président de sa région. Quand il était juste un artiste. Puis, c’était aussi le temps où, enfin, cheikha Rimitti sort enfin des cafés maures. Le temps où son œuvre est pillée avec un entrain vertigineux. Le temps où le raï sortait de Sidi Bel Abbès et d’Oran et même de Tiaret. En 1986, il traversait la Méditerranée. La France découvre enfin ce phénomène social. Précédé d’une réputation sulfureuse, le raï est accueilli avec beaucoup de bonheur par la communauté algérienne, et quelques rares curieux ou initiés. « Dans une atmosphère de liesse et teintée de nostalgie, l’assistance réserve un accueil des plus chaleureux aux représentants de la parole libérée et se montre indulgente pour les orchestrations pas toujours synchronisées et les arrangements approximatifs. » Souvenirs, souvenirs. C’était le temps où les chanteurs entraient au studio le matin pour en sortir l’après-midi avec leurs cassettes audio prêts à inonder le marché. C’était le temps du look funky, à la James Brown. Chemises ouvertes sur des torses maigres, cheveux partis sauvagement à la conquête du ciel. Mais les voix étaient là. Khaled chantait S’hab el baroud et venait de réussir son meilleur album avec Safy Boutela, Mami de sa voix haut perchée annonçait déjà Ana mazel et Sahraoui et Fadéla formaient le meilleur duo que le raï ait connu. Puis vinrent les années 1990. Khaled dynamitait les frontières avec Didi et s’offrait même la joie de la chanter en indien. Le raï entrait partout tube planétaire. « Cette consécration mondiale a octroyé au raï l’enviable statut de courant musical à part entière, au même titre que la funk, le blues, le rap ou le reggae. » Et si les héros se fatiguent ou se perdent dans le désert avec Sting, la relève frappe à la porte des studios. Le jeune vieux Hasni, avant d’être assassiné par des islamistes, se faisait le porte-parole d’une jeunesse désenchantée avec Visa et anticipait sa mort avec Galou Hasni mat. La corniche oranaise redevient le vivier qu’elle était. Les paroles redeviennent subversives, impertinentes, moins nunuches. Le raï « robotique », appellation hasardeuse qui sert à masquer les voix cassées, a failli noyer la nouvelle vague. Mais ceci est déjà une autre histoire. Because music, fondée par Emmanuel de Buretel, ancien président d’EMI Europe, continue de faire son travail de défricheur. Après Akli D, produit par Manu Chao, nous voilà donc avec une anthologie du raï. Un plaisir à ne pas bouder.
Posté Le : 21/08/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Rémi Yacine
Source : www.elwatan.com