«Il m'a fallu naître et mourir s'ensuit, J'étais fait pour n'être que ce que je suis, une saison d'homme entre deux marées, quelque chose comme un chant égaré.» Aragon
Quand j'ai commencé à fréquenter l'école et que je voyais la maîtresse écrire chaque matin d'une main délicate la date du jour en haut du tableau, j'ai commencé à me poser la question sur l'utilité de ce rituel qui avait une dimension qui dépassait ma compréhension. Cela prit un autre sens quand la maîtresse, en entamant sa leçon de lecture, nous apprit que le petit camarade qui essayait de déchiffrer les syllabes adroitement portées sur le tableau noir était né un jour comme celui-ci. Elle se mit alors à nous expliquer les jours, les mois et les années. Elle nous apprit que nous étions tous nés la même année (à part le fils du caïd qui était curieusement plus jeune d'une année). Une fois rentré à la maison, la première question que je posai à ma mère fut au sujet de ma date de naissance. Elle me répondit en souriant que c'était pendant la période du «Sfrouri». c'était d'après elle, une période faste où les gens récoltaient fèves et petits pois en abondance et où les températures étaient clémentes. Si j'avais attendu de ma pauvre mère qu'elle me donne la date exacte de ma naissance, j'aurais attendu longtemps. De là à fêter un anniversaire!
On a créé certainement les anniversaires, non pas pour fêter un événement anodin en soi, mais pour d'abord, témoigner à un membre de la famille ou de la communauté toute l'affection qu'on lui porte, en lui accordant un peu plus d'attention que d'ordinaire et en le gratifiant d'un modeste présent, preuve de notre attachement. Evidemment, quand quelqu'un est jeune, cela se fait dans la joie; on présente tous les voeux et souhaits à celui qui a déjà devant lui un long chemin à parcourir, un vie qu'on souhaite longue et parsemée que de belles choses. Quand on est jeune, tous les espoirs sont permis. Quand la personne est âgée, c'est une autre paire de manches. Certes, l'affection demeure toujours dans le cercle familial, on congratule le vieil homme pour un itinéraire honorable, on le félicite pour la réussite de ses enfants, on le console de sa mauvaise santé en lui rappelant tous ses amis qui ont quitté la scène de la vie prématurément.
Evidemment, le vieil homme ne se fait plus d'illusions et il se pose même des questions sur les chances qui lui restent pour fêter le prochain anniversaire. Des pensées morbides l'assaillent pendant qu'il contemple les inutiles présents posés sur sa table de nuit.
Chaque année, il refait le même bilan en quelque sorte, se posant toujours la même question sur lui-même: «Qu'étais-je' Que suis-je devenu' Qu'ai-je fait' Que reste-t-il à faire'
Ai-je été utile à quelque chose'». Il lui est même arrivé de se poser la question qui frôle l'hérésie sur l'utilité de son existence: «Pourquoi vivre alors que la triste finalité est inéluctable.» Il se reprend en maudissant le démon qui s'est incrusté dans son esprit. C'est la vie! Aussi éphémère soit-elle, il faut la vivre comme l'ont vécue les innombrables êtres qui l'ont précédé. Et il se consolait de cette multitude d'hommes et de femmes qui ont connu et connaîtront le même sort: naître, vivre et mourir. Il était arrivé à la conclusion qu'à partir d'un certain âge, on devrait cesser de fêter les anniversaires puisque chaque bougie ajoutée sur le gâteau est un pas supplémentaire vers le trépas. Il préférait plutôt les commémorations, ces réunions où tous les gens d'une même génération se retrouvaient avec leur lot de bons sentiments. Après les effusions et les embrassades, on évalue l'état de son interlocuteur, on s'interroge, on s'exclame, on s'inquiète de l'absence de ceux qui ne rataient jamais ce rendez-vous. On est surtout heureux de constater qu'on est encore là, toujours là. Et c'est là l'essentiel.
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Posté Le : 20/04/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Selim M'SILI
Source : www.lexpressiondz.com