«L'ignorance c'est le nerf de la guerre.» MC SolaarC'était l'arrivée inopinée d'une guerre sourde et souterraine qui me fit d'abord penser aux conflits qu'avaient connus nos grands-pères et nos aînés. Il y avait aussi le service postal qui renseignait admirablement sur les revenus des gens. Contrairement à ce qui se passe actuellement, excepté les télégrammes, le courrier n'était pas distribué à domicile. Ne recevaient leur courrier à domicile que les instituteurs, les missionnaires et certains notables. Le reste de la population était soumis à un rite quotidien: lettres et mandats étaient remis de main à main tous les jours ouvrables à 13 heures par le gérant de l'agence postale qui faisait l'appel devant une foule agglutinée devant la modeste poste. Certains attendaient des nouvelles de leurs fils émigrés, d'autres le salutaire mandat qui allait permettre de voir plus clair, d'autres une pension militaire qui tombait chaque trimestre avec la régularité d'un métronome. Je n'oublierai jamais ce manchot, un grand gaillard facétieux qui rendait l'attente moins longue par les nombreux éclats de rire. Il avait perdu la moitié de son bras durant la Seconde Guerre mondiale. La pension qui lui a été attribuée lui permettait désormais de couler des jours dans une aisance qui contrastait avec la précarité que connaissait la majorité de la population. C'était le cas de certains anciens combattants mais pas de mon grand-père qui connaissait toujours la même précarité. Il était peu disert sur les mois qu'il avait passés au front dans le nord de la France. Il disait seulement qu'il avait été affecté dans la «compagnie mitrailleuse», qu'il avait connu la vie dans les tranchées, la vision de cadavres amoncelés sur les bords de ces tranchées... Il ne se souvenait d'aucun nom de ville ou de village traversé. Il regrette avoir seulement oublié l'endroit où il avait enterré un fusil trouvé sur le champ de bataille. Il est revenu avec une bronchite chronique due au gaz moutarde employés par l'armée allemande à laquelle il vouait une admiration sans bornes, la trouvant supérieure à l'armée française. La chiche pension et une insignifiante citation militaire ne lui firent pas changer d'opinion. Mais c'est pendant la guerre de Libération nationale qu'il connut le respect de la part de l'armée coloniale: quand une patrouille venait à le contrôler, il avait toujours à côté de sa carte d'identité, sa carte d'ancien combattant. A la vue de cette carte barrée de traits bleu, blanc et rouge, les militaires confus, lui rendaient ses papiers en le saluant. Il y avait même un adjudant qui l'avait pris en sympathie, qui prenait un plaisir à discuter avec un vieillard édenté qui mâchait difficilement un français approximatif. Un jour même, cet adjudant lui fit un cadeau compromettant: quelques ânes chargés de ravitaillement ayant été saisis par un détachement en opération, l'adjudant offrit à mon grand-père une quantité substantielle de viande de boeuf. Cela valut une mémorable scène de ménage de la part de ma grand-mère qui ne goûta pas à cette denrée qu'elle qualifia d'empoisonnée, parce qu'elle exposait la famille à des représailles ou à une suspicion de sympathie envers l'armée coloniale.Si ce rescapé de la Grande Guerre ne bénéficia pas des lauriers des supplétifs qui combattirent pour la France, j'eus l'heur de croiser deux anciens engagés dans la guerre du Rif qui, en raison des services rendus, menèrent un train de vie aisé grâce à la rente que leur versait la France reconnaissante. Je frémis rétrospectivement aux atrocités commises sur les populations du Rif par les armées coloniales, française et espagnole et au rôle de ceux qui avaient gagné là-bas, de modestes grades.
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Posté Le : 06/05/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Selim M'SILI
Source : www.lexpressiondz.com