Algérie

Analyse du jeudi



Plaidoyer pour un Islam algérien Les attentats d’Al-Qaïda du 11 avril dernier dans la wilaya d’Alger ont salutairement secoué nos dirigeants qui veillent sur la sphère religieuse dans le pays. Depuis, plusieurs rencontres ont été organisées, regroupant des imams et différents responsables pour faire face à partir de leur terrain à ce phénomène provoqué, hier par l’intégrisme islamiste et aujourd’hui par Al-Qaïda et ses partisans dans notre pays. Mais mieux vaut tard que jamais à la condition d’éviter les erreurs du passé. Au courant de cette semaine, une conférence a été organisée à Alger autour du thème «Les pôles de la salafiyyat en Maghreb» pour dire finalement que le «salafisme n’est pas synonyme de violence». De toute évidence, ce débat est biaisé dès le départ, quand nous nous sentons obligés d’investir dans un cadre dont Al-Qaïda vient de tracer le contour à coups de bombes et d’attentats kamikazes. Qu’on le veille ou non, le salafisme est partagé en deux courants et tous les deux sont totalement étrangers à la réalité algérienne d’hier et d’aujourd’hui. Le premier, dominé par le wahhabisme, s’il prône effectivement le pacifisme et le non recours à la violence, il est, par contre, véhémentement braqué, entre autres, contre la démocratie, le multipartisme, le parlementarisme et tout ce que notre pays tente d’édifier pour consolider ses institutions qui sont les assises de la République. Pour lui, un régime basé sur ces aspects est nécessairement une inspiration des «mécréants» (kofar) qui, par définition, sont des «ennemis» de l’Islam. Le deuxième, dominé par le pôle que personnifie Al-Qaïda, ne prêche pas autre chose sinon qu’il cherche à imposer ce même salafisme par le terrorisme. De quel salafisme, parle-t-on? Il reste à noter que le débat institutionnel sur le salafisme dans l’Algérie contemporaine ne date pas de ces semaines post-11 avril. Il est apparu publiquement, pour ne parler que d’un seul exemple, au moins, au début des années 1970 lorsque, mine de rien, une conférence, présentée par un cadre de notre ministère des Affaires religieuses a été organisée au centre culturel islamique d’Alger sur le thème de «Abderrahmane El-Akhdhari et les étapes du salafisme en Algérie» (‘Abderrahmane El-Akhdhari wa atwar es-salafiyyat fi El-Jazaîr». Le texte de cette conférence glorifiant le salafisme et lui attribuait un ancrage dans notre pays qui remonte aux premiers siècles de l’Islam sera publié dans la revue du ministère (El-Assala), plus de quatre ans après. Il n’en a pas fallu plus à un Moyen-oriental (Abdelhakim Awis) de le reprendre intégralement, sept ans plus tard, pour en faire un opuscule qu’il éditera en son nom à Bahrein, en changeant juste le titre qui devient, sous sa plume, «Athar daâwat el imam Mohamed Ben Abdelwahab fi el fikr el islami el islahi bi el Djazaïr» (Influence de la prédication de l’imam Mohamed Ben Abdelwahab dans la pensée islamique réformiste en Algérie). On l’a compris, cet «auteur» a voulu voir en l’Algérie un pays wahhabite depuis plusieurs siècles avant même la naissance de Ben Abdelwahab, le fondateur du wahhabisme, au 18ème siècle, alors que El-Akhdhari lui-même, a vécu au 10ème siècle. D’ailleurs, il le dit dans la préface, en soulignant qu’il s’agit de se pencher sur cette problématique sous un angle «civilisationnel et non historique». Et, soit dit en passant, El-Akhdhari, profondément malékite et ayant rédigé un ouvrage de référence sur ce rite, n’avait absolument rien à voir avec le salafisme qui fut et reste surtout le credo du rite hanbalite dont se réclame le wahhabisme. Le salafisme n’est rien d’autre qu’une variante de l’intégrisme. Les bien-pensants lui ont trouvé le nom de fondamentalisme. Cet intégrisme, sous quelque forme qu’il se manifeste, a fait trop de mal à l’Algérie. C’est le seul pays où ses représentants, organisés ou non, sont au sein des institutions, dans l’opposition, dans la clandestinité, dans les prisons, en exil et dans les maquis terroristes. Son terrorisme a expérimenté, en quelques années, toutes les façons de donner la mort violente à tout un peuple. De l’attentat ciblé à l’attentat de masse, en passant par les carnages, les exécutions, les égorgements, les mutilations, les pendaisons, jusqu’à l’embrochement ou la friture des bébés et, aujourd’hui, les attentats kamikazes. Par contre, l’Islam vécu par l’Algérie, n’en déplaise aux salafistes de tous bords, est tout autre. L’Islam algérien, puisqu’il faut le nommer ainsi, forgé dans les privations et la volonté de libération de toute forme de domination, de toute forme d’exploitation, de toute forme d’injustice, de hogra, ne devait pas se charpenter et devenir un corps vivant dans la société. Il ne devait pas devenir une théologie. Il ne devait pas devenir une idéologie. Cet Islam-là, humain et solidaire, dérange trop d’intérêts. Il fallait le fragiliser, le dépouiller de tout son contenu de progrès et émancipateur, le déspiritualiser. Il fallait tout simplement le dévoyer jusqu’à le réduire à une somme de slogans sonnant le vide quand ils oublient d’être haineux. L’Islam algérien qui attendait ses propres oulémas, qui aurait pu faire école, a été étouffé, très tôt, par le pouvoir lui-même qui en avait fait un alibi que les premiers intégristes de l’Algérie indépendante n’ont eu aucun mal à le remettre en cause et le remplacer par des théories politiques importées du Pakistan, d’Egypte, de Syrie, d’Arabie Saoudite et même d’un Iran khomeyniste. L’Islam algérien est de libération et d’indépendance. Il est trop jaloux de son patriotisme dont il a été, en partie, l’essence et à partir duquel il peut davantage se sociabiliser, partager, aimer, s’humaniser. Il est un Islam de la société entière et ne peut souffrir d’être celui d’un pouvoir politique ou d’un parti, de quelque tendance qu’il soit. Un homme d’église, Henri Sanson, qui est né et a vécu en Algérie plus de cinquante ans, a tout le temps d’observer dans notre pays. «Cet Islam, disait-il, au miroir duquel mon christianisme cherche également à se mieux connaître». Il s’agit pour lui de cet Islam vécu en Algérie qui est «moniste..., coranique..., malékite..., légaliste..., orthodoxe..., classique..., tel qu’il est enseigné en Algérie et reconnu par la grande majorité des musulmans qui se déclarent sunnites». S’il n’avait pas trop forcé sur le premier terme de l’équation qu’il observe dans l’Islam en Algérie, il n’aurait pas eu tort de noter une «double volonté, manifeste, non pas de l’Etat, mais de la société algérienne d’avoir l’Islam comme norme transcendante ou encore comme principe d’appartenance, de référence, de justification, de finalité d’une part, et, de l’autre, la laïcité comme norme pratique ou encore comme principe d’action, avec tout ce que ceci comporte d’appels à l’indépendance, à la liberté, à la raison, à la conscience». Il faut, peut-être, préciser que cette volonté n’est pas aussi double qu’elle puisse paraître en ce sens que ces deux termes sont en totale harmonie et n’en font qu’un entre eux dans l’esprit de tout Algérien qui ne se laisse pas envahir par... le salafisme.


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