Exportateur de richesse et importateur de pauvreté, tel est le triste état de l’économie algérienne, comme nous allons en faire la preuve par l’analyse de la balance des paiements à partir des chiffres officiels publiés par les autorités compétentes.
L’analyse de l’état de l’économie à partir de la balance des paiements se fait à quatre niveaux : la balance commerciale, la balance des services, la balance des capitaux et la variation des réserves.
1. Dans la balance commerciale, on enregistre les exportations et les importations de marchandises. En 2005, l’Algérie a exporté pour 46 380 millions de US$, dont 45 590 millions en hydrocarbures (98,3%) et 790 millions en autres exportations (1,7%). Elle a importé pour 19 570 millions US$, dégageant un surplus de la balance commerciale de 26 810 millions US$. Autrement dit, les exportations réalisées dépassent le double des importations. A première lecture, cela pourrait porter à la grande satisfaction. Mais lorsque l’on analyse la nature des exportations et des importations, on comprend comment l’Algérie exporte la richesse et importe la pauvreté. Les hydrocarbures étant une ressource non renouvelable, il faut bien considérer que chaque quantité de pétrole et de gaz exportée est au départ un appauvrissement de la nation au profit du reste du monde (les acheteurs à l’étranger). L’utilisation qui est faite des recettes d’exportations et de la fiscalité pétrolière devrait par la suite être un investissement sur l’avenir et pas une dilapidation d’une ressource non renouvelable et, par conséquent, une hypothèque sur les générations futures. « Notre devoir à l’égard du pétrole nous est dicté par les générations futures. Il faut extraire seulement ce dont nous avons besoin pour organiser notre développement et laisser dans notre sous-sol tout le reste du pétrole. Il appartient aux générations futures. » Or si l’on considère les deux années 2004-2005, l’Algérie s’est, a priori, appauvrie de 78 600 millions US$. C’est l’utilisation qui est faite de ces recettes qui confirmera ou infirmera, a posteriori, cet appauvrissement. Les recettes d’exportations ont été utilisées, au niveau de la balance commerciale, à financer 19 570 millions US$ d’importations de marchandises composées de produits alimentaires, médicaments, demi-produits et équipements. Donc, l’Algérie exporte une ressource non renouvelable utilisée comme source d’énergie chez les acheteurs (une richesse pour eux et un appauvrissement pour le pays), et importe des produits du travail de la main-d’œuvre de l’exportateur au détriment de celle de l’importateur. Autrement dit, nous importons le travail des autres au moment où il y a un chômage important de la jeunesse chez nous. Il faut bien noter que nos exportations hors hydrocarbures couvrent à peine 4% de nos importations de marchandises. Donc, s’il y a un excédent commercial important, il y a un déficit grave des échanges qui sont le résultat de l’utilisation de notre force de travail ! D’où la pertinence de la question : à quoi a servi l’argent du pétrole ? Nous venons de voir ce qu’il en est du premier niveau qu’est la balance commerciale. Qu’en est-il des autres postes ?
2. La balance des services enregistre les échanges des services non facteurs (transports, assurances, assistance technique, grands travaux...) et les services facteurs que sont le travail et le capital (rapatriement de revenus des émigrés, sortie des revenus des travailleurs étrangers en Algérie, intérêts payés sur la dette et intérêts reçus sur le dépôt de réserves...) Le surplus de la balance commerciale a servi à financer les déficits des services non facteurs pour 2 160 millions US$. C’est un déficit anormal pour un pays qui a le potentiel touristique de l’Algérie. De plus, nous sommes devenus importateurs de logements par la réalisation des constructions par les sociétés étrangères chez nous. Nous sommes le seul pays de la rive sud de la Méditerranée qui enregistre un déficit à ce niveau. Le surplus a également servi à financer le déficit des services facteurs pour 4 920 millions US$. Là également, c’est un déficit anormal pour un pays qui a une très forte population émigrée et qui a un niveau de réserves qui dépassait, à fin 2005, plus de trois fois le stock de la dette. Un fait nouveau réside dans l’importance des bénéfices rapatriés par les sociétés étrangères exerçant en Algérie. Ces bénéfices ont atteint 4 740 millions US$ en 2005 et se sont multipliés par près de cinq fois depuis 2001 (464,7%). Durant 2005, l’Algérie a enregistré l’entrée de 1 020 millions US$ d’investissements directs étrangers et la sortie de 4 740 millions US$ de bénéfices rapatriés. Selon les estimations d’une institution financière internationale compétente, ces bénéfices rapatriés dépasseront 10 000 millions US$ (10 milliards) dès 2007. Autrement dit, le pays va transférer vers l’extérieur en bénéfices rapatriés plus qu’il n’a payé en services de la dette, (intérêts et principal), aux moments les plus difficiles de l’endettement avant le rééchelonnement. Sommes-nous en train de sortir du problème des transferts sur la dette extérieure pour entrer dans ceux des bénéfices rapatriés ? C’est une question qui mérite toute l’attention. D’autant plus, que dès 2004, la Sonatrach a commencé à voir sa part dans la production de pétrole devenir inférieure à celle des partenaires (48% pour Sonatrach et 52% pour les associés), avec une tendance à la baisse chez le producteur national et à la hausse très forte chez les associés.
3. Le surplus de recettes d’exportations a servi, également, à financer le déficit de la balance des capitaux pour 4 780 millions US$, ce qui est normal en situation de désendettement net. Mais il faut bien considérer que le paiement anticipé de la dette extérieure ne peut obéir, dans les circonstances actuelles de l’Algérie, qu’à un calcul de coûts/bénéfices très marginal. Il ne s’agit certainement pas d’une stratégie qui relèverait d’une politique de recherche d’indépendance ou de baisse de vulnérabilité. C’est un moindre mal, sans plus. En effet, le paiement anticipé concerne la dette et les intérêts exigibles sur la période 2006-2011, date à laquelle la dette serait totalement payée, selon la planification initiale de 1994. Donc payer pour une valeur de 8 milliards US$ cette dette en 2006 ou la laisser étalée sur les cinq années restantes ne peut présenter un enjeu majeur, car cette somme représente moins de 5% du niveau de réserves de change anticipé en 2011 ou une variation des recettes sur une année correspondant à 10 dollars d’augmentation de prix.
4. Le reste des recettes a servi à financer l’augmentation des réserves pour 16 310 millions US$. Cette somme est allée gonfler des réserves déjà très importantes puisqu’elles dépassaient dès 2003 plus de deux années d’importations. Cette augmentation importante des réserves de change dépasse très largement les besoins d’une gestion maîtrisée des équilibres extérieurs. Dans de telles conditions, l’économie algérienne enrichit le reste du monde en s’appauvrissant. En fait, l’économie algérienne fournit au reste du monde une matière première énergétique non renouvelable et dépose chez lui, une partie importante des recettes d’exportations sous forme d’accumulation de réserves inutile pour le pays. Dit dans un langage plus direct, l’économie algérienne se spécialise dans la transformation d’une réserve non renouvelable en une réserve volatile ! L’analyse de ces chiffres permet de constater que, dans l’état actuel de l’économie algérienne, les seules utilisations nécessaires sont celles qui sont allées aux importations de marchandises (42,48%) et au remboursement de la dette extérieure (10,48%), dont 4,25% en remboursement anticipé. Encore que le pays a besoin d’une nouvelle politique économique pour revoir la structure des importations. Autrement dit, 46,6% des recettes d’exportations ont financé des déficits anormaux et l’augmentation de réserves inutiles. Mais en plus d’être une source de devises par les recettes d’exportations, les hydrocarbures sont également un gisement de recettes budgétaires par la fiscalité pétrolière. En 2005, les recettes budgétaires se sont élevées à 3 081 milliards de DA, dont 2 352 milliards de DA de fiscalité pétrolière, soit 76,33%. Ce taux était de 47% en moyenne sur la période 1969-1978. Autrement dit, l’économie s’enfonce dans la dépendance vis-a-vis des hydrocarbures ! Une partie importante des recettes a été orientée vers le Fonds de régulation, soit 1 368 milliards de DA, ou 44,4% des recettes totales et 58% de la fiscalité pétrolière. Dans la mesure où le Fonds de régulation a été instauré pour faire face au remboursement de la dette extérieure, il est utile de noter que sur ces 1 368 milliards de DA, seulement 115 milliards de DA (8,40%) ont servi à cette fin en 2005. Si l’on considère la période 2001-2005, on se trouve avec le chiffre énorme de 2 591 milliards de DA (36 milliards US$) passés par ce fonds et non inscrits au Budget, donc, disponibles pour être utilisés de façon discrétionnaire, c’est-à-dire en dehors de tout contrôle parlementaire. Par ailleurs, l’économie algérienne a enregistré en 2005, un taux d’épargne nationale de 51,7%. C’est un chiffre très élevé. En fait, cet indicateur a deux lectures difficilement conciliables. Comme l’épargne est par définition une renonciation à la consommation, un taux d’épargne aussi élevé signifie une forte austérité imposée à la nation, au moment où les « introduits » affichent un style de consommation ostentatoire outrageant, avec tous les risques de déflagration sociale. Mais un taux d’épargne élevé est au même moment une opportunité d’investissement pour lutter contre le chômage, éradiquer la pauvreté et assurer un meilleur avenir pour les générations futures. En 2005, le taux d’épargne national était de 51,7% et le taux d’investissement, y compris les variations de stock était de 30%. Ces 30% se décomposent en 22% pour l’augmentation du capital et 8% pour l’augmentation des stocks. Dit plus simplement, c’est seulement une petite partie de l’épargne qui est allée à l’investissement ; le reste a servi à l’augmentation des stocks et à la thésaurisation. 21,7% du PIB ont été thésaurisés en 2005. Plus du cinquième de la richesse générée en 2005 n’a servi à rien. Il n’a été ni consommé ni investi. Cela représente 1 630 milliards de DA (22 milliards US$). Et la situation dure depuis cinq ans. Il faut bien noter qu’il s’agit de chiffres de l’affectation de ressources. Nous ne traitons ni de la corruption ni de la prébende, de toutes façons difficiles à évaluer sans un travail d’enquêtes minutieuses. Malgré des dotations en ressources importantes en quantité et en qualité, l’Algérie se situait, en 2003, dans le classement des pays par rapport à l’Indice du Développement Humain à la 108e place derrière la Tunisie (92e), la Jordanie (90e), la Jamahiriya Arabe Libyenne (58e) et Cuba (52e) ! En 2003, l’Algérie était classée par Transparency International à la 88e place, dans le classement des pays par rapport à leur programme de lutte contre la corruption, loin derrière la Tunisie à la 39e place ou l’Egypte et le Maroc à la 70e place. Pour la liberté de la presse, l’Algérie est classée, en 2005, selon Reporters sans Frontières à la 129e place derrière des pays de l’Afrique Subsaharienne, comme le Mali (37e) ou le Niger (57e) ! Pour le degré d’ouverture économique, nous occupons la 120e place, c’est-à-dire dans le peloton de queue. De même pour le climat des affaires. Même dans le football, l’Algérie se retrouve en 2005, à la 81e place du classement de la Fédération internationale du football Association (FIFA), loin derrière l’Egypte (26e), la Tunisie (32e) et le Maroc (35e). En fait, l’Algérie se trouve dans une situation de vulnérabilité excessive aux plans économique et social, comme ces chiffres le prouvent. De même qu’une vulnérabilité politique marquée par une violence subversive, durant plus d’une décennie, qui a creusé un énorme fossé entre gouvernants et gouvernés. Une génération d’Algériens a été perdue durant cette période dévastatrice, elle exprime son mécontentement par les émeutes et la destruction des symboles de l’Etat. D’où l’urgence de dépasser le statu quo politique et économique face au bouillonnement social qui est motivé par l’apparence évidente, de la corruption, de l’incompétence ; l’absence de responsabilité, de transparence et d’intégrité ; de même que l’inefficacité, le gaspillage et l’insensibilité aux exigences des populations. Il faut bannir la pratique qui consiste à prendre des décisions sans coordination aucune, entraînant des dégâts contraires aux attentes. Il faut se préoccuper sérieusement du risque de voir se créer en Algérie, deux sociétés antagonistes : celle des nouveaux riches par la rente, l’aisance financière, le gaspillage et la corruption ; et celle des laissés-pour-compte parmi les régions et à l’intérieur des régions. Dans un tel cas, le pays s’installerait dans la contestation sociale grandissante, sans que cette dernière puisse déboucher sur une révolution et les changements qui l’accompagnent. Ce serait alors « la trappe d’inégalité et de misère ». La misère appelle les émeutes qui, à leur tour, augmentent la misère à cause de l’instabilité politique et économique qui en résulterait. Au moment où le pays dispose de très fortes potentialités pour s’en sortir, il devient inacceptable, pour ceux qui en ont la capacité, de se taire sur la possibilité d’engager l’Algérie dans le sentier de sortie de crise. C’est pourquoi, nous nous adressons à tous ceux qui ont à cœur de sortir leur pays de l’état de crise pour leur demander d’analyser attentivement ce constat lucide et responsable, que nous présentons en dehors de tout alarmisme. Il y a des moments dans l’histoire des nations où des opportunités de changement se présentent comme des rendez-vous avec le destin : les saisir, c’est ouvrir la voie vers le progrès et la prospérité ; les rater, c’est suivre le chemin vers le chaos. L’Algérie vit présentement et pour les quelques prochaines années, un rendez-vous avec son destin. L’aisance financière, l’absence d’opposition politique organisée qui, dans d’autres circonstances gênerait l’exécutif dans les choix économiques, la qualité des potentiels, le progrès technologique dans le monde, l’environnement international, offrent un terrain favorable pour l’engagement du pays dans une Nouvelle politique de développement ouvrant ainsi la voie à une croissance économique forte et durable, l’intégration réussie de l’économie algérienne dans l’économie mondiale, la valorisation et la protection des patrimoines, et surtout la paix dans le progrès. Que l’on rate ce rendez-vous, en ne faisant rien pour changer les politiques économiques et en laissant les institutions en l’état, et ce sera la chute inéluctable dans « la trappe de misère permanente », comme c’est déjà le cas pour de très nombreux pays du Tiers-monde.
Conclusion :
Les politiques économiques suivies actuellement hypothèquent, sérieusement, l’avenir des générations futures, comme les réalités économiques et sociales qui viennent d’être présentées le prouvent. Surtout que les responsables concernés annoncent que « l’Algérie projette de produire 2 millions de barils par jour à l’horizon 2010 et prévoit de porter ses exportations de gaz naturel et en GNL à 85 milliards de m3 en 2015 » au moment même où les dotations en patrimoines humains, naturels et culturels sont très vulnérables et fortement menacées par l’évolution du pays en termes de démographie, de choix économiques, d’aménagement du territoire, de calamités naturelles et d’une faiblesse chronique de gestion. Quelles ressources laissons-nous pour les générations futures ?
Posté Le : 07/09/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Ahmed Benbitour
Source : www.elwatan.com