La crise actuelle au Nord-Mali interroge et interpelle aussi bien les acteurs politiques que les chercheurs en sciences sociales. L'objectif du présent article est de présenter quelques éléments d'analyse tirés de nos recherches. Il s'agit, dans cette perspective, de participer au débat sur ce problème dont les menaces compromettent tous les efforts d'existence et de développement dans l'Azawad.
On abordera la question de l'intégration politique du Nord et du Sud sur le territoire malien ; la situation au nord, depuis l'arrivée, en 2002, du Président ATT au pouvoir ; les risques liés à une intervention militaire dans le septentrion malien ; et la nécessité de privilégier l'option du dialogue politique, pour le règlement dudit conflit.
L'intégration politique du Nord et du Sud sur le territoire malien
L'indépendance de l'Azawad, revendiquée unilatéralement, en 2012, par le MNLA, rappelle l'Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) fondée par la loi française n° 057-7-27 de 10 Janvier 1957 et parue au Journal Officiel de la République Française du 12 Janvier 1957. Le but officiellement proclamé était de « promouvoir toute mesure propre à améliorer le niveau de vie des populations et à assurer leur promotion économique et sociale dans le cadre d'une évolution qui devra tenir compte de leurs traditions ». Dans ce contexte, le cadi de Tombouctou, Mohamed Mahmoud Ould Cheick, adressa, le 30 octobre 1957, au général de Gaulle, une pétition signée par des centaines de chefs coutumiers, de notables et de commerçants de la Boucle du Niger : Tombouctou, Gao et Goudam ; demandant d'être séparé, politiquement, administrativement et le plus tôt possible, du Soudan Français, pour intégrer leur pays et sa région Boucle du Niger au Sahara français. Cette demande a ressurgi, dans les années 1990, avec la naissance de la rébellion armée au Nord-Mali. Toutefois, les déterminants de ce conflit malien, récurrent depuis l'indépendance, sont à rechercher dans plusieurs variables qui ont fait, du reste, l'objet de nombreux travaux : la révolte touareg de 1960, les rébellions armées touarègue et arabe des années 1990, 2006-2008 et celle en cours actuellement. Ces rébellions persistent et perdurent, malheureusement, puisqu'il s'agit de problèmes structurels qui n'ont toujours pas eu de règlement définitif et ce, malgré les Accords de Tamarasset du 6 janvier 1991, la signature du Pacte National, le 11 avril 1992 à Bamako, avec la médiation algérienne, l'organisation des concertations régionales, en juillet 1994, leur synthèse nationale, en août de la même année, et les Accords d'Alger de 2006. Il convient de souligner aussi que les accords et pactes évoqués entre les mouvements et fronts de l'Azawad, d'une part, et, d'autre part, le Gouvernement malien ont été, le plus souvent, dénaturés et n'ont jamais été appliqués, de manière sérieuse, par les autorités compétentes.
La situation au Nord Mali depuis l'arrivée du Président ATT au pouvoir en 2002
Depuis son accession au pouvoir, à l'issue de son élection en 2002, Amadou Toumani Touré (ATT) n'a fait que cumuler les erreurs. En permettant aux terroristes d'Al Qaïda de s'installer, avec armes et bagages, au nord du pays, un territoire que se partagent les cartels de la cocaïne sud-américains, les trafiquants d'armes et les contrebandiers sous-traitant leurs activités criminelles (Cf. SalimaTlemçani, sur maliweb.net, 24/03/12). Au même moment, les prises d'otages d'occidentaux, par AQMI, se multiplient et deviennent un commerce, très lucratif, pour de hauts responsables militaires et civils, souvent très proches du cercle présidentiel. Ces derniers se bousculent, pour servir de « négociateurs » et libérer les captifs, en contrepartie de rançons (Cf. SalimaTlemçani, ibid.). Pour ATT, le Mali n'a pas les moyens de s'attaquer aux groupes terroristes qui écument la région. Pourtant, ses voisins mauritanien et nigérien, qui sont aussi pauvres que lui, mènent une bataille sans merci, contre ces phalanges de la mort. Profitant de ce contexte, feu Ag Bahanga, chef de la rébellion touareg de 2002 (qui avait pris fin en juillet 2006, avec l'Accord d'Alger), désabusé par le refus de Bamako de respecter ses engagements, avait réorganisé ses troupes, avant de mourir dans des conditions suspectes, au mois d'août 2011. L'option de l'insurrection armée était prévisible. En janvier 2012, de nombreux cadres de ce mouvement se réunissent à Alger, exigeant l'ouverture du dialogue, avec Bamako, sur l'application de l'Accord d'Alger (Cf. SalimaTlemçani, ibid.). Toutefois, les médiations ayant suivi cet appel se heurtent au refus d'ATT de se mettre à l'écoute de la population du nord du pays, confrontée à la sécheresse, au sous-développement, aux maladies et à la pauvreté, malgré le plan décennal de redressement économique contenu dans le Pacte National, en date du 11 avril 1992, destiné à combler le retard de développement vis-à-vis du sud.
Les risques liés à l'intervention militaire dans le septentrion malien
Trois risques sont particulièrement aigus. Tout d'abord, l'extermination des populations nomades. De nos jours, au Nord-Mali, tant les populations nomades que sédentaires vivent dans la peur de cette intervention, jugée imminente, de la CEDEAO pour libérer les cités des groupes islamistes armés. La situation des nomades est beaucoup plus aléatoire, handicapés qu'ils sont par leurs troupeaux qu'ils ne peuvent abandonner s'ils veulent décamper. Ces nomades ont les mêmes tenues vestimentaires et les mêmes caractéristiques physiques que les islamistes : boubous amples, turbans, longues barbes. C'est d'ailleurs dans ce contexte d'amalgame, entre terroristes et populations d'origine nomade, que seize prêcheurs (mauritaniens et maliens) de la Dawa ont été sauvagement massacrés, par l'armée malienne, à Diabali. Les deux autres risques concernent l'enlisement des forces internationales au Nord-Mali et la régionalisation du conflit.
Trois constats argumentent ces inquiétudes. En un, Washington a déclaré, sans détour et en haut lieu, que les effectifs prévus par la CEDEAO seront insuffisants, pour neutraliser le noyau dur des terroristes du Nord-Mali. Selon les Etats-Unis, ce noyau compte entre 800 et 1 200 hommes. « Il est peu probable que 3 300 soldats d'Afrique de l'Ouest parviennent à réussir une opération militaire au Nord du Mali, un terrain difficile pour eux car ils connaissent mal le désert et son climat », explique Andrew Mac Gregor, spécialiste du Mali à la Fondation « Jamestown » de Washington, avant d'ajouter : « ces soldats s'exposent, donc, aux mêmes revers que ceux essuyés, cette année, par les forces régulières du Mali, face aux insurgés du Nord ». Andrew Mac Gregor signale qu'il y existe, en outre, des conflits, au sein même de l'armée malienne, entre les forces spéciales, les Bérets rouges et le reste de l'armée. Non seulement les troupes ne sont pas à la hauteur, soutient l'expert, mais c'est aller droit dans le mur, selon lui, que de demander, à cette armée malienne ' un ensemble très hétérogène du point de vue ethnique ' de se porter en première ligne au Nord-Mali.
En deux, la dénaturation du conflit, présenté comme un conflit lié, exclusivement, à la croyance ou à la religion des populations concernées. En trois, l' intervention militaire exclusive des troupes de la CEDEAO, pour la reconquête des villes du Nord Mali, est de nature à renforcer les alliances tribales, encore effectives en milieu nomade, entraînant la régionalisation du conflit. Une catastrophe pour la paix et le développement, dans toute la région.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 27/03/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : O El Hadj Amar chercheur
Source : www.reflexiondz.net