Algérie

Ammar Kessab : «Les TIC sont le dernier des soucis des établissements culturels publics»



Ammar Kessab, docteur en Sciences de gestion, expert international en politique et management culturel, anime le Blog de l'Action Culturelle Algérienne (www.alger-culture.com).
Dans cet entretien il décrypte la politique culturelle en Algérie, explique le peu d'engouement des gestionnaires du secteur pour les TIC, ainsi que le recours des jeunes à ces technologies comme outils d'expression artistique.
Existe-t-il une industrie culturelle proprement dite en Algérie ' Si oui, comment l'évaluez-vous ' Si non, quelles sont les raisons de sa non-existence '
L'industrie culturelle est un concept qui désigne en économie l'ensemble des organisations qui produisent des biens à valeur symbolique, d'une façon industrielle, comme le livre, la musique, le cinéma, etc. A mon sens, la question n'est pas tant de savoir s'il existe une industrie culturelle en Algérie, il existe des maisons d'édition, des maisons de disque, etc. comme c'est le cas en Chine, au Pérou ou au Malawi. Le plus important, c'est de savoir quel est l'impact de cette industrie sur le citoyen algérien et sur l'économie nationale. Les industries culturelles sont un moyen solide de diffusion de l'art et de la culture au plus grand nombre de citoyens. Si elles sont valorisées, à travers un secteur structuré et dotées de mécanismes de gestion efficaces, elles peuvent remplir un rôle important dans la démocratisation de la culture et l'élargissement des publics. Ce rôle que peuvent jouer les institutions culturelles est plus important que celui des institutions culturelles «classiques» : un livre peut être lu dans un village reculé à Oued Souf ou en Kabylie, contrairement à une pièce de théâtre, car c'est plus compliqué de transporter un spectacle hors les murs. Pour ce qui est de l'impact sur l'économie, il est à noter que dans un pays comme le Zimbabwe par exemple, le secteur de la sculpture sur pierre génère au moins 360.000 emplois directs et indirects, et que le secteur de la musique représente 5% du PIB de la Jamaïque et 3% de sa main d''uvre. En Algérie, faute d'une politique culturelle et d'un organe d'évaluation de cette politique culturelle, nous n'avons aucune idée sur ces impacts, c'est en effet le flou total. L'Algérie est, en effet, l'un des rares pays qui n'est pas doté de politique culturelle et de procédure d'évaluation de l'impact des industries culturelles. Des pays comme l'Angola sont dotés, depuis longtemps, d'un Institut National des Industries Culturelles.
Les nouvelles technologies de l'information ont provoqué des révolutions dans le monde. Quel rôle peuvent-elles jouer dans le domaine de la culture et dans la promotion, à l'échelle internationale, des patrimoines locaux '
Les TIC jouent aujourd'hui un rôle de plus en plus grandissant dans l'éveil des consciences des peuples qui leurs permettent de communiquer librement, sans contrôle ni censure. Dans le domaine culturel, elles constituent déjà un moyen efficace de valorisation de l'art et de la culture dans les pays qui ont su en profiter. Elles offrent aussi une plateforme de communication entre les artistes, écrivains et autres créateurs ; elles offrent un espace virtuel de networking qui leur permet de diffuser leurs 'uvres et même de les vendre pour vivre, car n'oublions pas qu'un artiste a aussi besoin de vivre de son travail. Fautes d'espaces libres et indépendants d'expression artistique et culturelle, les artistes Algériens, surtout les jeunes d'entre eux, sont très actifs sur la toile, par exemple (Facebook, Tweeter, Youtube, etc.), on peut y trouver de tout : musique, cinéma, poèmes, etc. Ces jeunes valorisent et protègent, sans le savoir peut être, leur patrimoine, et font découvrir au monde entier la culture algérienne. Ils brillent chaque jour sur la toile par leurs créations, loin des structures publiques qui sont devenues de vrais espaces d'exclusion et de diffusion d'une culture «officielle», dans laquelle le citoyen ne se reconnait guère.
Les espaces culturels algériens, notamment les musées, sont quasiment absents sur le net. Ne pensez-vous pas que le boycott des TIC peut être mortel pour les établissements et autres institutions culturels dans notre pays '
Les TIC sont le dernier des soucis des établissements culturels publics en Algérie. Il suffit de voir leurs sites Internet s'ils existent ! pour comprendre ce constat. Ceci est le fruit du «mépris» envers les publics. Le jour où ces publics seront au centre des objectifs de ces institutions, et le jour où les employés (responsables et autres) d'un musée ou d'un théâtre comprendront qu'ils sont au service du citoyen, car leurs établissements sont dotés par la force de la loi d'une mission de service public, donc d'intérêt général, ce jour-là, on verra se développer des actions pour séduire ces publics et les attirer. Mais personnellement, je n'en voudrai même pas à ces «fonctionnaires» de ces structures, qui n'ont malheureusement pas une idée précise du but pour lequel ils sont là ; car ils n'ont pas de «référence», de politique culturelle, sur laquelle ils peuvent développer leur activité à partir d'une vision claire, et va leur permettre d'intégrer d'une façon imprescriptible et inaliénable le fait que le citoyen est au centre de toute action culturelle. La formation a aussi un grand rôle dans tout cela.
Vous évoquez souvent le terme «politique culturelle». Est-elle aussi importante que cela pour impulser le secteur culturel en Algérie '
Oui, elle est plus qu'importante, elle est une nécessité. Sans une politique culturelle, donc une stratégie claire pour un secteur capital comme celui de la culture, tout ce qui est en train d'être fait par le ministère de la Culture s'apparente à des actions sans fond. D'ailleurs il suffit d'aller dans la rue et demander aux gens ce qu'ils pensent des «festivals» et autres activités organisées par le ministère. Ils ne se reconnaissent plus dans tout ça, et considèrent que c'est de la dilapidation de l'argent public, ce qui est très grave : quand un citoyen commence à penser cela, c'est qu'il ne se reconnait plus dans ces activités. C'est pour cette raison, et bien d'autres encore, que nous avons décidé, avec un groupe d'intellectuels, d'artistes et d'écrivains algériens d'écrire une politique culturelle pour notre pays. La version finale, d'une centaine de pages, sera diffusées dans les trois mois à venir.


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