Algérie

Amirouche : une vie, deux morts, un testament



Amirouche : une vie, deux morts, un testament
Amirouche : une vie, deux morts, un testament, tel est le titre du livre tant attendu de Saïd Sadi. Mis sous presse depuis jeudi, l’ouvrage est salué par anticipation par le plus grand nombre car il réhabilite une grande figure du Mouvement national et de la guerre de Libération nationale. Mais chez d’autres, il suscite angoisse et anxiété tant il contient des révélations sur d’autres acteurs d’avant et après 1962. Bien avant sa parution, attendue pour les prochains jours, le livre de Saïd Sadi, Amirouche : une vie, deux morts, un testament, a déjà fait couler de l’encre. Il promet d’en faire couler davantage une fois sur les étals des librairies. Alors que l’ouvrage fait déjà l’objet d’échanges ininterrompus sur Internet, la plupart languissant de pouvoir le lire, la seule annonce de sa sortie prochaine a également provoqué un début de polémique. Des journaux en ont déjà parlé, certaines plumes pour saluer un livre dont ils attendent qu’il rende justice au plus célèbre des chefs de wilaya durant la guerre de Libération nationale et qu’il mette à nu quelques pans de notre histoire récente, d’autres, rares pour le moment, pour énoncer des griefs contre l’auteur en manquant à peine de le vouer aux gémonies.
Pourquoi donc Amirouche : une vie, deux morts, un testament qui, disons-le d’emblée, n’a rien d’un pamphlet mais tout d’un livre documenté, regorgeant de témoignages et débordant de sérénité, suscite-t-il déjà autant de passion alors qu’il est encore sous presse ? On sait que les interventions publiques de Saïd Sadi laissent rarement indifférent mais jamais ses livres – il en a écrit d’autres – n’ont eu un tel effet et jamais ses détracteurs – il en a toujours eus – n’ont fait preuve d’une telle anticipation. Mais il est question ici du colonel Amirouche, le légendaire chef de
la Wilaya III dont l’aura a dépassé, déjà bien avant sa mort, les limites de la région qu’il commandait. Il s’agit donc, aussi et forcément, de ceux qu’il a eu à croiser, de près ou de loin, y compris ceux qui ont refusé que son corps repose dans une tombe et qui, en revanche, se sont fait les fossoyeurs acharnés de sa mémoire. Voilà pourquoi d’aucuns, se félicitant sincèrement ou non de la réhabilitation d’Amirouche, ont eu toutefois ce remarquable empressement à crier au scandale et à courir au secours de… Boumediene.

L’Histoire comme elle nous parle
Réhabilitez qui vous voulez, portez aux nues qui vous plaira si cela vous tente, mais il vous est interdit de toucher à Untel. Voilà précisément le genre de pré-requis par lesquels se sont toujours imposés la censure et son corollaire la falsification de l’Histoire. Un pré-requis dont Sadi, fort heureusement, s’est refusé à faire cas dans son ouvrage. Les adeptes d’une histoire lisse, nette et sans bavure devront repasser. Idem pour ceux qui aiment à célébrer une révolution propre et sans souillures, menée par des héros tous braves, tous irréprochables.
Depuis son enfance à Tassaft jusqu’à sa mort à Djebel Thameur, près de Boussaâda, en passant par ses longs séjours à l’ouest du pays, son émigration en France, puis son retour en Algérie, Amirouche est suivi pas à pas par l’auteur qui, faisant bon usage de sa formation de psychiatre, a fini par cerner le profil du héros : Amirouche est “né pour cause”, écrit Saïd Sadi. Au maquis, le chef de
la Wilaya III a toujours assumé ses responsabilités, comme il l’a fait par l’impeccable organisation du Congrès de
la Soummam dont la tenue avait failli être compromise. Des responsabilités, il a dû, quelquefois, assumer aussi celles d’autres. C’est ainsi qu’après la mort de Ben Boulaïd, c’est lui qui s’est rendu dans les Aurès pour y ramener l’ordre et régler la question de la succession. Il laissera aux Aurès la coquette somme de 70 millions de centimes pour financer le fonctionnement et l’approvisionnement des structures locales de l’ALN. Le complot de
la Bleuïte ? Voilà sans doute le plus infâme des procès qu’on ait jamais fait à un dirigeant de la révolution. Des témoins oculaires ont affirmé à Saïd Sadi avoir eux-mêmes torturé des personnes suspectées de collaboration avec l’ennemi. “Mais jamais Amirouche”, disent-ils. Il avait de l’aversion, voire de la haine vis-à vis des intellectuels ? C’est lui qui en recruta le plus et qui en envoya le plus massivement à Tunis pour préparer l’encadrement de l’Algérie indépendante. Une œuvre pédagogique
Mais l’histoire d’Amirouche ne s’arrête pas le 28 mars 1959, le jour de sa mort. Par la séquestration de ses restes dans la cave d’une caserne de la gendarmerie de 1963 à 1983, il aura eu droit à une “seconde vie”. Certes, dans Amirouche : une vie, deux morts, un testament, Boumediene, Boussouf, Kafi et autres Ben Bella, pour ne citer que ceux-là, ne campent pas des rôles enviables, loin s’en faut.
Le premier et le second y sont présentés comme responsables de la mort d’Amirouche, le troisième comme un faussaire et le quatrième comme un obligé des services secrets égyptiens, les quatre partageant le sentiment anti-kabyle comme dénominateur commun, peut-être même comme seul moteur de leur union et de leur action. Tout l’inverse d’Amirouche dont la seule cause-motivation était l’indépendance de l’Algérie et la construction d’un État national. Pour autant, c’est bien à Amirouche, et non pas à ces personnages, que l’auteur a consacré son livre. Son but n’était donc pas de les accabler. Cela, c’est l’histoire d’Amirouche qui s’en charge, telle que rapportée par des témoignages d’acteurs encore en vie et appuyée par des documents dont l’authenticité ne peut être mise en doute. Car ici, l’auteur qui, à l’occasion, fait montre des indéniables talents littéraires qu’on lui connaissait, fait sienne cette règle d’or chère aux journalistes professionnels soucieux de l’éthique : “Les faits sont sacrés, le commentaire est libre.” Sadi y laisse parler l’Histoire, s’interdisant rigoureusement de lui faire dire ce qu’elle ne dit elle-même et par elle-même. C’est ainsi qu’il en fait ici le seul juge des uns et des autres. Et comme les verdicts de l’Histoire sont toujours sans appel, il est inutile de se faire l’avocat de ceux qu’elle a condamnés. C’est pourquoi il ne sera pas aisé d’apporter la contradiction au contenu de l’ouvrage, à moins de recourir encore à la falsification et à la censure.
En revanche, Sadi use pleinement et sans sourciller, tout au long des quelque 500 pages du livre, de son droit et de sa liberté de lire, d’écouter et d’interpréter l’Histoire afin de lui donner une déclinaison politique à même de permettre une meilleure compréhension des marasmes du présent et de prévenir les cataclysmes qui guettent la nation. De sauver ce qui peut encore l’être. Car les dégâts sont déjà immenses. Ils ont pour noms, essentiellement, la fraude électorale et la corruption, deux vrais fléaux, coûteux et générateurs de misère, de violence, voire de chaos. De la sorte, Saïd Sadi reste, là encore, égal à lui-même : il fait œuvre pédagogique. On peut dire de Amirouche : une vie, deux morts, un testament, ce qu’une pub célèbre disait d’un certain médicament : ça fait du bien là où ça fait mal.


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