Algérie

Amira, navire...amiral



Amira, navire...amiral
On se serait naïvement laissé aller à une sous-estimation du pouvoir de remise en cause -d'autres diraient nuisance- des quelques dizaines de jeunes et moins jeunes qui ont bravé pacifiquement l'interdit des manifestations publiques dans la capitale. Blasés ou résignés, satisfaits de leur sort parfois, mais voulant plus, fiers de leur fortune, mais mécontents de leur célébrité, pour la paix civile et sociale jusqu'à l'achèvement des programmes Aadl, pour l'émeute si ça peut faire cramer les recettes des impôts... les raisons qui font que l'Algérien soutient ou pas un mouvement de contestation, politique ou sociale, sont largement tributaires du rythme de variation de son humeur, de l'épaisseur de son portefeuille, de ses chances de bénéficier gratos d'un logement social, de son appartenance ou non aux 15 à 20% de la population des petits, moyens et grands rentiers de l'Etat, de la sévérité ou du laxisme des dispositifs de lutte contre le «copiage» au bac ou le plagiat de Google pour la rédaction des mémoires et thèses universitaires... En un mot, ça varie. C'est d'ailleurs pour cela que le mode de contestation par l'émeute, partout en vigueur dans nos villes et campagnes depuis de nombreuses années, a été facilement domestiqué et apprivoisé par les autorités. Non seulement elles ne le craignent plus, mais ayant appris avec le temps à le domestiquer, elles n'ont pas eu de mal à l'apprivoiser grâce à une alternance judicieuse de la trique et du chéquier. Les pneus peuvent brûler à longueur d'année et noircir indéfiniment le ciel d'Algérie de leurs fumées noires et toxiques, tant qu'elles ne pénètrent pas dans les bureaux feutrés du Palais du gouvernement et n'altèrent pas les lambris du palais d'El Mouradia, il n'y aura pas de quoi fouetter un chat. Autorités civiles et forces de l'ordre ne s'en soucieront que modérément et auront pour priorité de veiller à ce que les émeutes restent des jacqueries, c'est-à-dire dépolitisées et surtout qu'elles ne connaissent pas une extension territoriale qui risquerait de leur conférer une dimension nationale. Alors comment expliquer la démesure et la disproportion des moyens mobilisés pour réprimer les deux rassemblements, les 1er et 6 mars, des contestataires du «Quatrième mandat» devant la Fac centrale d'Alger ' Les quelques dizaines de personnes présentes sur les lieux ont toutes un nouveau profil, bien différent de celui qu'on a l'habitude de voir dans les émeutes qui, elles, peuvent regrouper des groupes hétéroclites prêts à en découdre avec les forces de l'ordre. À Alger et dans deux ou trois autres chefs-lieux de wilaya, les manifestants n'avaient que leurs bouches pour scander un slogan politique, et pour tout «matériel» que des affichettes sorties de leurs poches. Nulle trace de casseurs ou de provocateurs dans leurs rangs.Moins d'une semaine après leur première démonstration, numériquement très modeste, la vérité est venue d'elle-même, comme si ceux qui la connaissaient étaient gênés de la garder trop longtemps pour eux seuls. Incroyable, en l'espace de ces trois ou quatre derniers jours seulement, le mouvement «Barakat» surgi de ces premiers rassemblements et sa porte-parole déjà fortement médiatisée, Dr Amira Bouraoui, ont eu droit à un mitraillage en règle des partis soutenant la candidature du président Bouteflika. Venant de Sellal, directeur de la campagne électorale pour un quatrième mandat, du FLN de Saâdani, du RND, de Amara Benyounès et Amar Ghoul, le fait n'a rien d'étonnant, ils ne font que leur job. Mais que d'autres formations politiques, deux figurant parmi les «poids lourds», mêlent leurs voix à celle des partis du pouvoir pour mettre en garde contre un mouvement politique de contestation qui commence juste à se structurer, voilà qui surprend, plutôt. Mais ne serait-ce pas là un indicateur supplémentaire d'une certaine appréhension des «acteurs politiques» pas ravis du tout de voir un mouvement connu aussitôt né, suivi avec sympathie par de nombreux citoyens et plaçant d'emblée son action sur un terrain politique pacifique ' Les premiers préfèrent l'émeute sans revendication politique et mal-aimée des gens tranquilles, les seconds craignent une «concurrence déloyale» et diabolisent quiconque s'aviserait de venir marcher sur leurs plates-bandes. Ça ne va pas être facile pour le navire amiral piloté par Amira de se frayer un chemin dans les eaux tumultueuses et fangeuses d'une mer prompte à se déchaîner.A. S.




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