Algérie

Amine Gemayel. Ancien président de la République du Liban



« Nous refuserons une paix séparée avec Israël » Monsieur le Président, vous avez été à la tête du Liban dans des circonstances dramatiques. Quelle comparaison faites-vous avec la situation actuelle ? Disons plutôt la différence entre cette période et l?autre. Durant mon mandat, nous étions en pleine guerre froide. Il y avait l?équilibre de la terreur et le fruit n?était pas du tout encore mûr pour une action en faveur de la libération du territoire. Il ne faut pas oublier que, de mon temps, il y avait l?armée israélienne, en 1982, qui avait envahi Beyrouth, la capitale libanaise, qui était la seule capitale envahie par l?armée israélienne, dans la mesure où ni Damas, ni Amman, ni Le Caire n?avaient été envahis par l?armée israélienne. Et puis encore, il y avait l?armée syrienne, il y avait encore l?OLP en armes, il y avait aussi les Pasdarans iraniens, les gardiens de la révolution iranienne khomeyniste qui étaient aussi nouvellement arrivés au Liban. Donc, c?était une situation tout à fait catastrophique. Alors que maintenant, sur le plan stratégique international, il y a une seule superpuissance, à savoir les Etats-Unis. Il y a eu une prise de conscience qui a abouti à l?émergence d?un véritable consensus autour de principes nationaux importants : la souveraineté, l?indépendance et la restauration de la démocratie. Donc, il y a eu un cheminement très positif de 1982, la date de la prise en charge du pouvoir, jusqu?à 2005 et c?est la détermination finalement du peuple libanais, qui est le dénominateur commun, qui a abouti finalement à cette libération du territoire.` Y a-t-il aujourd?hui un risque de guerre civile ? Loin de là. Aucun risque de guerre civile : un million et au-delà de Libanais, toutes confessions confondues, tous partis politiques confondus, ont déferlé sur la place des Martyrs pour réclamer l?indépendance, la souveraineté, la démocratie et la liberté. Que voulez-vous de plus expressif ? Il y a la volonté du peuple de rester uni, solidaire. Maintenant, il faut ?uvrer pour la démocratie et la liberté. Donc, c?est totalement insensé de parler de guerre civile. Vous me diriez maintenant : quid du Hezbollah ? Eh bien pour le Hezbollah, il sait très bien qu?il n?a d?autre intérêt que d?adhérer à cet élan de marche pour l?indépendance et la souveraineté. D?abord, c?est un parti qui est libanais et qui, je crois, a aussi à c?ur l?indépendance et la démocratie au Liban. Les Libanais ont toujours été solidaires de sa cause, solidaires de son combat pour la libération du Sud et il est très jaloux de cette solidarité libanaise. Donc, je ne pense pas du tout que le Hezbollah ait intérêt à se désolidariser de cette grande marche pour l?indépendance. De plus, le Hezbollah est très isolé sur le plan international. Donc, il a tout intérêt à répondre à cet isolement par un renforcement de l?unité nationale. Toutes les factions libanaises réclament un dialogue en profondeur avec le Hezbollah pour garder le front interne uni et discuter avec lui sur les sujets conflictuels. Mais les sujets conflictuels ne peuvent se résoudre que par le dialogue. A partir de là, je peux dire que l?opposition et le Hezbollah ne recherchent que la réalisation de ce grand consensus historique qui est en train, je crois, de prendre corps, ne serait-ce que sur les grands principes fondamentaux de la nation libanaise. Les Syriens achèveront leur retrait le 30 avril. Comment voyez-vous les relations syro-libanaises à l?avenir ? Nous avons toujours dit que les relations libano-syriennes dépassent, transcendent le contexte militaire et ne tiennent pas du tout à la présence de l?armée syrienne au Liban. Les meilleures relations libano-syriennes ont toujours existé. La coopération entre la Syrie et le Liban a toujours existé, bien avant l?entrée de l?armée syrienne au Liban en 1976 et restera bien après le retrait des Syriens en avril 2005. Nous ne recherchons que les meilleures relations. Je crois que c?est la même chose pour la Syrie qui, aussi, recherche les meilleures relations avec le Liban, indépendamment du facteur militaire. Et je suis sûr que les relations entre le Liban et la Syrie vont s?assainir, se fortifier et se développer beaucoup plus qu?elles ne l?étaient du temps de la présence militaire syrienne. Bien que cette présence ait été contestée par une grande partie des Libanais. Après l?évacuation de toutes les forces syriennes et des services de renseignement syriens du Liban, je suis sûr que tous les Libanais, toutes tendances confondues, vont ?uvrer à la grande réconciliation et à la recherche de ce compromis historique avec la Syrie qui sont basées sur le respect mutuel de la souveraineté de chaque pays, du respect de la spécificité de chaque pays et aussi l?établissement des meilleures relations. Par ailleurs, j?ajoute ici quelque chose d?important : le Liban restera solidaire avec la Syrie. Quant à son grand conflit avec Israël, il est convenu entre Libanais que nous refuserons une paix séparée avec Israël, en dehors du contexte régional et de la véritable réalisation de la paix entre les Arabes et Israël. A aucun moment, le Liban ne se désolidarisera avec l?unanimité arabe vis-à-vis du conflit arabo-israélien. Monsieur le Président, maintenant que les Syriens se retirent, pensez-vous que les élections législatives auront lieu à la date prévue ? C?est à souhaiter, parce que le Parlement est la pierre angulaire de l?édifice libanais. On ne joue pas avec l?institution-mère. Il y a des délais constitutionnels, il y a des principes, il y a des traditions. Il ne faut transgresser ni la Constitution, ni nos principes, ni nos traditions. Il faudrait impérativement que les délais constitutionnels soient respectés, si on veut vraiment préserver le système démocratique au Liban et les traditions démocratiques ; il n?y a aucune raison de retarder ces échéances. La sécurité est assurée sur tout le territoire. Il n?y a aucune raison sécuritaire pour retarder les élections. L?actuel pouvoir a la majorité au Parlement. Donc, il peut hâter le processus de formation du gouvernement et du vote de la loi électorale. Là aussi, il n?y a aucune raison de retarder et je crois qu?il est dans l?intérêt de tout le monde de hâter la tenue de ces élections, parce que, en plus, c?est consacrer l?importance de ces élections sur le plan démocratique. En plus, ces élections vont tout de suite ouvrir la voie à un véritable dialogue sain et constructif pour envisager le devenir du pays. A partir de ces élections, on pourra envisager une véritable réconciliation et un véritable dialogue. Parce que ces élections, les premières élections libres et démocratiques depuis très longtemps, feront surgir de nouvelles élites, de nouveaux cadres politiques et représentatifs des aspirations du peuple libanais et c?est à partir de là qu?un véritable dialogue pourra s?établir entre les représentants légitimes et véritables de la population libanaise. Après l?assassinat de Rafic Hariri, les Libanais ont su montrer qu?ils sont en mesure de dépasser le confessionnalisme et le communautarisme à travers de grandioses manifestations. Pensez-vous que cet esprit va perdurer ? Nous avons pris conscience, nous Libanais, de l?importance du consensus, de l?importance de cette union nationale, de l?importance de ce grand rassemblement autour de principes universels de démocratie et de liberté. Cela est très positif et je crois que cette prise de conscience est en profondeur et elle ne peut que perdurer et se renforcer. C?est pourquoi, je maintiens que ces nouvelles élections pourraient être vraiment la consécration de cette prise de conscience et les Libanais de toutes les confessions ne cherchent qu?à dépasser les anciennes querelles, dépasser les anciennes pratiques désuètes et envisager l?avenir dans une logique transcendantale. Croyez-vous qu?Israël va profiter du retrait syrien pour tenter de se réimposer au Liban ou d?influencer la politique libanaise ? C?est fini. L?ère israélienne est dépassée au Liban. Israël est conscient que le Liban n?appartient qu?aux Libanais. Le Liban est un pays arabe, solidaire avec son environnement arabe, et tant qu?il n?y a pas entre les Arabes et Israël la paix dans des conditions tout à fait dignes et qui préservent les intérêts vitaux de la nation arabe, il n?est pas question pour nous d?entamer n?importe quelle relation dans n?importe quel domaine avec Israël, de même qu?Israël n?aura à aucun moment pied au Liban. On parle beaucoup de désarmement du Hezbollah. Est-ce un sujet qui risque d?envenimer les relations interlibanaises ? Dans l?histoire d?un pays, ou la marche contemporaine du pays, il faut bien qu?il y ait des points de discorde. L?amour platonique n?existe pas dans les relations nationales. Et le rôle du Hezbollah au Liban est actuellement un des sujets conflictuels. Personne ne le nie. Il y a ceux qui sont inconditionnels de l?action du Hezbollah au Liban, indépendamment de tout autre considération nationale, régionale, sécuritaire ou politique. Il y en a d?autres qui sont plus réservés et qui considèrent qu?il y a des impératifs de la souveraineté et de la sécurité nationale qui doivent être pris en ligne de compte. Donc, sur ce plan-là, il y a sûrement conflit. Mais ce qui nous réconforte, c?est que la presque totalité des Libanais cherche à régler ce conflit par les moyens pacifiques. Je parle de dialogue. Et aucun pays ne veut transposer la solution de ce conflit sur le terrain ou par une confrontation, quelle qu?elle soit. Le Hezbollah a réalisé un objectif national historique qui est la libération du territoire, et nous lui sommes tous redevables. Il a payé le prix de sang et de larmes. C?est cette grande réalisation nationale. Par ailleurs, depuis que le Liban a été libéré et qu?Israël s?est retiré en 2000, il est indispensable de revoir la stratégie nationale en ce qui concerne le Sud-Liban et la situation à la frontière libano-israélienne et cela devrait se faire dans un dialogue constructif, serein, entre nous. Je crois que nous sommes tous conscients de la gravité de la situation. Le Liban est en confrontation avec la communauté internationale depuis le vote de la résolution 15-59 du Conseil de sécurité qui demande le désarmement du Hezbollah. Au Sud, aussi, il y a cette confusion au niveau de l?autorité entre les forces de l?ordre libanaises et les combattants du Hezbollah. Donc, il y a des problèmes réels sur le terrain. Il est tout à fait normal de se mettre à table et de dialoguer avec le Hezbollah sur le meilleur moyen de rétablir la sérénité, la loi et l?ordre officiels dans cette région du Liban. Voilà en ce qui concerne le Hezbollah. Mais les ingérences iraniennes peuvent-elles être dangereuses pour influencer le cours des événements ? Je n?ai pas voulu parler de cette dimension iranienne du problème. Il y a la dimension iranienne, il y a aussi la dimension syrienne, puisque le Hezbollah ne cache pas son alliance avec l?Iran et avec la Syrie. Mais commençons d?abord par dégager un consensus national à l?intérieur, largement représentatif et à partir de là, le Hezbollah qui, comme je le disais, est un parti libanais. C?est vrai qu?il a des relations étroites avec l?Iran et la Syrie, et le Hezbollah discute avec l?Iran et avec la Syrie sur la meilleure façon de se désengager et de redevenir un parti libanais à part entière, en ayant à c?ur les intérêts supérieurs du Liban, et que les intérêts supérieurs du Liban priment tout autre considération. Le Liban n?est pas en guerre contre l?Iran ou contre la Syrie. Bien au contraire. L?Iran et la Syrie sont des pays amis du Liban. Je crois qu? eux aussi ont tout intérêt, surtout dans la conjoncture régionale internationale actuelle, et après ces grandes manifestations libanaises qui clament l?unité et la souveraineté, l?indépendance et la liberté, à aider à la consécration d?un consensus libanais qui ne peut se réaliser que dans la préservation des intérêts nationaux libanais, lesquels intérêts doivent primer tout autre considération. Et c?est dans la mesure où la Syrie et l?Iran aident à la réalisation de ces principes qu?ils peuvent renforcer les relations amicales et étroites avec, non seulement le Hezbollah chiite, mais avec toutes les autres factions libanaises. Je ne pense pas qu?une relation privilégiée de n?importe quel pays étranger avec une faction libanaise déterminée peut aider au renforcement des relations entre ces pays et le Liban tout entier. L?Iran et la Syrie devraient renforcer leurs relations avec toutes les composantes de la société libanaise et non pas avec une faction déterminée. Donc à partir de là, je crois que ces pays ont dû prendre conscience de ces réalités et nous aider à aller dans le sens de la normalisation entre Libanais et de la consécration du droit des Libanais à être unis et libres sur leur territoire. Repères Liban (République du). Etat d?Asie occidentale, limité au nord et à l?est par la Syrie, au sud par Israël et bordé à l?ouest par la Méditerranée. 10400 km2 ; 4,1 millions d?habitants (estimation 1999). Capitale Beyrouth. Nature de l?Etat : république de type présidentiel. Langue officielle : arabe . Monnaie : livre libanaise 2000. Religions : christianisme (30 %, maronites majoritaires) ; islam (70 %, chiites pour près de la moitié, sunnites et une minorité druze) 1995. Avant 1975, on parlait de miracle économique libanais et le pays était une place financière de premier plan au Proche-Orient. Ruiné par quinze années de guerre qui ont démantelé les infrastructures et précipité l?expatriation des élites et des capitaux, le pays doit aujourd?hui importer 85% des produits de première nécessité et vit d?une économie souterraine et du marché noir qui se sont développés pour pallier la ruine de l?économie légale.


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