Algérie

Ameziane Ferhani, auteur de 50 ans de bande dessinée algérienne



Ameziane Ferhani, auteur de 50 ans de bande dessinée algérienne
A travers l'entretien qui suit, Ameziane Ferhani, auteur de l'ouvrage, 50 ans de bande dessinée algérienne. Et l'aventure continue (éditions Dalimen), propose une rétrospective de l'histoire de cet art né après l'indépendance.
La Nouvelle République : Comment l'idée de ce beau livre qui traite de l'histoire de la bande dessinée algérienne sur une période de cinquante années, a-t-elle été cheminée ' Ameziane Ferhani : En fait, j'y avais pensé à plusieurs reprises. Mais cela restait un vague projet et je l'avais même oublié ces dernières années. Puis, lors de la quatrième édition du Festival international de la bande dessinée d'Alger en 2001, la commissaire de la manifestation et directrice des éditions Dalimen, Dalila Nadjem, m'avait proposé de présenter à Alger, Benoît Peeters et François Schuiten, les auteurs des «Cités Obscures». Lorsqu'elle a découvert ma vieille passion pour cet art, elle m'a proposé de réaliser ce livre. La bande dessinée s'est constituée ex-nihilo, affirmez-vous. Quelles sont les influences dominantes internes et externes qui ont favorisé l'émergence du neuvième art ' Je parle d'une naissance ex-nihilo parce que la bande dessinée ne disposait d'aucune filiation, héritage ou repère antérieur. En la présentant dans l'histoire culturelle du pays, j'ai constaté que tous les arts préexistaient avant la colonisation : la musique, la danse, l'art pictural, le théâtre dans ses formes populaires anciennes comme les gouals (ou diseurs), griots du Maghreb, ou la halqa (séance), la littérature qui remonte à Saint-Augustin mais, surtout, à celui que l'on considère comme le premier romancier de l'humanité, Apulée de Madaure. Mais la bande dessinée nationale est née après 1962. C'est pourquoi je la nomme «la fille de l'indépendance». Les illustrés de petit format des années cinquante ont constitué la lecture BD essentielle de la génération d'enfants de la guerre d'indépendance : «Rodéo», «Zembla», «Mandrake le Magicien»... «Blek le Rock», trappeur américain d'origine bretonne qui luttait contre les Anglais pour l'indépendance des Etats-Unis et créé par des Italiens en 1954, année du début de la guerre en Algérie a, par «transfert» symbolique, été «vu» comme un héros anticolonialiste algérien. Il y a eu aussi les comics américains traduits en français. La première BD, «Naar et les sirènes de Sidi-Ferruch» de Aram (1967), présente une sorte de Superman algérien aux prises avec ces belles créatures du cosmos. Le premier chapitre est consacré à une présentation générale des différents arts existant en Algérie. Comment cette partie s'intègre-t-elle dans le cadre de l'histoire de la bande dessinée ' J'ai voulu situer la BD algérienne par rapport à l'ensemble de l'histoire culturelle de l'Algérie. Après un demi-siècle, une telle amplitude de vision était nécessaire. Et j'ai pu montrer que non seulement, l'évolution de la BD était liée à l'histoire moderne du pays mais que la BD partage avec les autres arts un destin commun, des similitudes même, des périodes identiques, des passerelles parfois. Quel a été le rôle d'Internet dans la vulgarisation et la promotion du neuvième art ' Internet joue un rôle essentiellement pour les nouveaux auteurs. Ils sont branchés sur tous les réseaux. Ils y diffusent leurs créations à travers des blogs ou sites. Parmi les anciens, certains utilisent également cet univers virtuel. Quels sont les autres moyens qui favorisent la création, la diffusion, voire la popularisation de la ban de dessinée en Algérie ' Le Festival international de la BD d'Alger (FIBDA), 5e édition en 2012, a joué un rôle décisif, salvateur même, car la discipline était en perdition. En exposant les anciens et en leur rendant hommage, en lançant les nouveaux créateurs, en invitant de grands noms de la BD mondiale, le FIBDA a rouvert la boîte de Pandore du 9e art algérien. Dans son sillage, une dynamique est née, des revues, des maisons d'édition... Mais il reste énormément à faire. Le marché du livre est encore faible et peu structuré, ce qui touche aussi la BD. La question des scénarii et des scénaristes reste un talon d'Achille mais des progrès sont enregistrés. Vous répertoriez deux générations de bédéistes, de l'indépendance à nos jours. Quels sont les critères de cette classification générationnelle ' Une génération démographique ne correspond pas toujours à une génération artistique ou culturelle, ni même sociologique puisque pour une génération sociologique, on ajoute aux critères démographiques, le partage d'évènements, de valeurs etc. Tandis qu'une génération artistique peut recouvrir plusieurs générations démographiques et/ou sociologiques puisqu'une tendance artistique peut se prolonger au-delà du cycle de renouvellement de la population ou au-delà d'une forme dominante d'organisation de la société. Il y a toujours un décalage, rarement une superposition des trois... J'ai travaillé sur les trois types en tentant d'y classifier les bédéistes. Pour déterminer des repères de lecture et d'interprétation de cette histoire, j'ai défini deux générations de créateurs en retenant deux critères : celui de la naissance, avant ou après 1962, et celui des premières publications ou apparitions publiques, selon qu'elles aient eu lieu avant ou après 1988, date fondamentale dans la compréhension de l'Algérie actuelle car les émeutes d'octobre 1988 ont entraîné des changements importants. Quelles sont les caractéristiques des bédéistes de la première génération ' Née avant 1962, la première génération partageait l'idéal de l'Indépendance. Sa formation de base est livresque ou littéraire acquise en langue française et enracinée dans la culture populaire algérienne. Concernant le 9e art, les albums des années cinquante ont dominé leurs sources artistiques. Certains ont lu «Tintin» ou d'autres BD de l'époque. Ils ont participé à l'aventure de la revue «M'Quidech», un formidable canal de diffusion et une école d'apprentissage de leur art (de 1969 à 1974). Elle a été arrêtée insidieusement car elle gênait les conservateurs. Après cette formidable percée, unique dans le monde arabe, musulman et africain, les auteurs ont été livrés à eux-mêmes dans un contexte de monopole étatique sur l'économie et la culture. Qu'en est-il de la secon de génération ' Née après l'indépendance, cette génération a grandi durant la décennie noire, période de terreur et de paralysie quasi-totale de l'activité culturelle et d'enfermement chez soi : état d'urgence, couvre-feu... Dans ce désert mortifère, se développe «la culture d'appartement». La télévision s'ouvre aux chaînes satellitaires apportant le monde à domicile. Puis, il y a l'informatique domestique, les magnétoscopes, les DVD, Internet. Dans ce déluge intime d'images, le film d'animation a nourri les enfants et les jeunes. Japonais souvent, doublé en arabe. Peu d'entre eux ont découvert le 9e art par l'album imprimé. La première manifestation de résurgence de l'activité bédéiste est apparue sous la forme de «DZ-manga» et a donné lieu à une revue, une maison d'édition, «Z-Link». Cette génération de l'image garde un attachement moins fort que leurs aînés à l'histoire nationale et à ses valeurs. L'esprit est critique, voire caustique assumé avec une inclination pour revendiquer des changements. La première génération n'a pas été plus conciliante mais elle a exercé dans des conditions épouvantables de création et un bâillonnement de l'expression. Cette deuxième génération a été soutenue par le FIBDA et a des références internationales plus grandes, du fait de la mondialisation et des nouvelles technologies de communication.


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