Algérie

AMAR AZOUAOUI, ÉCRIVAIN ET ANCIEN COMBATTANT



AMAR AZOUAOUI, ÉCRIVAIN ET ANCIEN COMBATTANT
«Le colonel Mohand Oulhadj est une grande figure de l’histoire»
«Ce qui m’a motivé à écrire ce livre, c’est aussi la situation anarchique et spéculative qui exige le témoignage de tout Moudjahid encore en mesure de le faire.» Amar Azouaoui vient d’éditer chez «El Amel» un livre remarquable sur le colonel Mohand Oulhad,j Mohand Oulhadj face aux crises internes. Dans cet entretien, il revient sur la personnalité du colonel, l’opération «Jumelles», sur les crises internes de l’ALN...L’Expression: Comment est née l’idée d’écrire ce livre sur le colonel Mohand Oulhadj?Amar Azouaoui: D’abord le peu d’attention accordée à l’écriture de l’histoire sur la vie au maquis par les organismes concernés et le manque d’efficacité dans la démarche. Pratiquement, rien n’est sérieusement organisé pour être conservé et exploité. Le peu qui a été fait durant les premières années n’apparaît plus. Quelques musées annexes, régionaux tentent aujourd’hui de sauver la situation, mais malheureusement presque tous les moudjahidine (officiers et djounoud) de l’intérieur, qui ont vécu la guerre de très près, les armes à la main, ne sont plus de ce monde et la plupart n’ont pas trouvé de cadre approprié au moment voulu pour écrire leurs mémoires. Les quelques écrits disponibles émanent pratiquement d’artisans français qui étaient seuls sur le terrain à l’aise pour déformer la réalité, influencés par les données négatives et inappropriées de l’armée française.Ce qui m’a motivé à écrire ce livre, c’est aussi la situation anarchique et spéculative qui exige le témoignage de tout Moudjahid encore en mesure de le faire. Par ailleurs, les propos que m’a tenus le défunt colonel Si Mohand Oulhadj lors de notre première rencontre à mon arrivée au PC de wilaya, n’ont pas quitté ma mémoire, je cite: «Je suis fier d’avoir un jeune comme toi à mes côtés - tu rapporteras fidèlement aux jeunes de ton âge les hauts faits de notre révolution et les sacrifices de leurs aînés.» Ces propos me rappellent ce devoir de mémoire sacré envers les nouvelles générations et sans hésiter, malgré mon handicap, je me suis mis à écrire le peu de souvenirs que je garde encore dans ma mémoire. Le colonel Si Mohand Oulhadj est une grande figure de l’histoire, il a été le chef de la Wilaya III durant les 4 années de braise, il a su déjouer toutes les manoeuvres de l’ennemi et a su faire survivre la Wilaya 3 devant le rouleau compresseur que fut l’opération «Jumelles», il ne mérite pas l’oubli profond. Il devra constituer un repère historique pour les générations futures.Dans votre ouvrage, vous revenez sur un épisode important de la guerre d’Algérie, à savoir l’opération «Jumelles». Est-ce que vous pouvez nous en parler?A la mort d’Amirouche, une grande offensive était en préparation par l’armée française. Vers juillet 1959, plus de 60.000 soldats ont été déployés vers la seule Wilaya III afin de ratisser systématiquement l’ensemble des monts et montagnes (appuyés par les services de renseignements du 2e bureau) pour éradiquer totalement l’ALN par des combats continus et des poursuites à vue quotidiennes jusqu’à extermination. Tous les moyens terrestres, navals et aériens sont mobilisés, des hélicoptères pour déplacer les troupes pour d’éventuels encerclements sont constamment sur le qui-vive. Les heurts se succèdent et font des milliers de victimes de part et d’autre.Parallèlement, des dispositions sont prises pour isoler l’ALN des populations (quadrillage de tous les villages avec ouverture de postes militaires avancés et contrôle des entrées et sorties par les éléments de l’autodéfense.Ce procédé devra permettre de mettre également fin à l’organisation civile.Le commandement de la Wilaya III réagit immédiatement et répartit les grandes unités en petits groupes commandos affectés dans les secteurs et limite les regroupements à quatre ou cinq pour éviter les combats et les poursuites à vue quotidiennes. Il enrôle tous les moussebline pour les soustraire à l’armée française dans les villages et les remplace par des femmes qui passent inaperçues pour jouer ce rôle.Par ailleurs, le commandement de wilaya donne ordre d’infiltrer les autodéfenses par des militants de l’organisation FLN, pour faciliter le contact. Toutes ces dispositions prises se sont soldées très vite par l’enlèvement de plus de vingt (20) postes avancés par les commandos de l’ALN, d’où la récupération de lots d’armes et de munitions très importants qui soulagent quelque peu les djounouds au niveau de la wilaya.Votre livre évoque également des diverses crises internes au sein de l’ALN. Pourquoi voulez-vous aborder ce côté délicat?J’ai abordé cet aspect, certes délicat mais très important. Il y a le devoir de mémoire en tant que jeune acteur de l’époque que je dois accomplir, pour parer aux spéculations vis-à-vis des générations futures sur ces problèmes internes. C’est ma contribution et mon humble témoignage destiné à ces hommes avides d’écrire l’histoire sans plus tarder et sous tous ces aspects, étant convaincu bien sûr de la justesse de mes propos.De longs passages de votre livre sont autobiographiques. Il ne s’agit pas uniquement d’un livre sur Mohand Oulhadj?Dans le premier chapitre, j’ai tenu également à mettre en relief mon parcours et celui de deux de mes compagnons pour pouvoir rejoindre le maquis, alors très jeune (16 ans et demi), ainsi que les péripéties que nous avons vécues dans notre environnement. Mon court passage dans le secteur 4 (Ath-Idjeur) où j’ai relaté la vie de maquis à la base sous les effets de l’opération «Jumelles», avant de rejoindre le PC de wilaya.Avez-vous eu recours aux témoignages de vos compagnons de guerre qui vous avaient été d’un apport certain pour vous rafraîchir la mémoire?L’apport de mes anciens compagnons du secteur 4 (Ath- Idjeur) m’a été très appréciable pour les faits relatés dans ce livre, notamment celui de Akli Makhlouf, garde rapproché du colonel Mohand Oulhadj, pour ce qui concerne le PC de wilaya et son environnement.De nombreux épisodes du livre se déroulent dans la région d’Azazga. Pouvez-vous résumer le rôle joué par cette localité durant la guerre de libération?La région d’Azazga a joué un rôle très important de par les forêts denses qu’elle recèle (l’ Akfadou et Bounamane) et qui s’étalent jusqu’à Béjaïa. Le poste de commandement de wilaya y est installé. C’était la région 3, elle constitua la plaque tournante de la zone 3 et de la Wilaya III avec la convergence périodique pratiquement de l’encadrement des différentes zones et de lieux de stationnement d’unités importantes. L’armée française y concentre souvent ses unités pour ratisser la région dans l’espoir de découvrir notamment le PC de wilaya, sans résultats, notamment vers la fin 61.Quel est le rôle joué par Mohand Oulhadj dans le règlement des crises internes?Les quatre années de combat du colonel Si Mohand Oulhadj à la tête de la Wilaya 3, durant les années 1959 à 1962, ont été vécues effectivement dans des circonstances très pénibles; c’était la croisée des chemins, et il a dû faire face à diverses crises profondes. D’abord les séquelles de la mort d’Amirouche qui a fait l’objet d’une vaste propagande des services secrets français, d’appels à la reddition etc. La vigilance du colonel Si Mohand Oulhadj a su déjouer ces manoeuvre et à mettre un terme en lançant un tract qui a rapidement parcouru villes et villages, monts et montagnes «Amirouche est mort, nous sommes tous des Amirouche», tract qui a rehaussé le moral des djounouds qui se ressaisissent et ont continué le combat plus décidés que jamais. Les séquelles de la bleuïte qui ont fléchi quelque peu les rangs de l’A.L.N, a vu un redressement progressif, par une vaste campagne de sensibilisation et la libération définitive des quelques retenus. Par ailleurs, De Gaulle, ayant initié, engagé par l’intermédiaire des services secrets (2e bureau) la «paix des braves», s’est heurté au refus de Si Mohand Oulhadj qui a, d’ailleurs, dissuadé le chef de la Wilaya 4 Si Salah Zaâmoum et a su régler, en bon père de famille, l’affaire des officiers dissidents et mettre ainsi un terme aux manoeuvres de l’ennemi.Dans l’une des photos figurant dans votre livre, on y voit Mohand Oulhadj en compagnie de Krim Belkacem. Quelle était la nature de leurs relations?Krim Belkacem était le fondateur de la Wilaya III historique, c’est par ses contacts et ses recherches avec l’aide de ses premiers compagnons de Novembre qu’il a, dès le début de l’année 1955, trouvé en Si Mohand Oulhadj la personnalité idéale pour l’impulsion de la voix de Novembre. Il avait avec lui des relations de travail, en tant que membre du gouvernement provisoire. Il fut accueilli officiellement avec la délégation conduite par le Président Youcef Benkhedda à l’aéroport le 3 juillet 1962, puis à Tizi Ouzou où le GPRA a été reçu cordialement et avec tous les honneurs.Dans un autre chapitre, vous revenez sur le fonctionnement du PC de la Wilaya III. Parlez-nous en...J’ai consacré effectivement un chapitre au fonctionnement et à l’organisation du poste de commandement de wilaya qu’un grand nombre de personnes ignore. Tout d’abord la stratégie de son emplacement: en été, installé à l’Akfadou, à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau du village M’haga (Ath-Idjeur) qui comportait d’importantes unités de l’armée française qui ratissaient sans cesse le périmètre. En hiver, à Bounamane, dans une position analogue également, il était installé à quelques centaines de mètres du village Azouza (Ath-chafaa) connu pour ses fameuses batteries d’artillerie lourde et son apparence majestueuse, à proximité du village.Sa structure et ses moyens étaient deux formes de baraque de branchages et une quarantaine de djounouds, dont: le colonel et le comité de wilaya, une section de garde d’une vingtaine de personnes, un staff technique de quatre à cinq personnes, un service général de trois à quatre personnes. Enfin, une troisième baraque servant de boîte aux lettres, située à quelques kilomètres et destinée à recevoir le courrier, différentes liaisons et passagers, gérée par un élément du service général.Le comité se réunit chaque fois que cela est nécessaire pour étudier les situations, prendre les décisions, et les commandants repartent chacun vers une zone pour superviser la lutte sur le terrain. Seul, le colonel reste sur place pour faire face aux aléas du jour. La réunion du conseil est élargie aux capitaines et chefs de zones lorsque la situation l’exige.


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