Algérie

Amar Abba, ancien ambassadeur et auteur, à L’Expression «Notre diplomatie n’a jamais manqué de réalisme»



Publié le 16.01.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Brahim Takheroubt

L'Expression: L'édition d'un livre est le genre d'information qui fait plaisir. Après un livre consacré au grand poète Lounis Ait Menguellet, vous «récidivez» avec un autre ouvrage consacré cette fois-ci à la diplomatie. La frontière entre poésie et diplomatie est-elle si peu étanche?
Amar Abba:J'ai toujours aimé écrire. Écrire -et publier- c'est aller vers les autres, les prendre à témoin, leur communiquer ses interrogations et partager avec eux ses passions, mais aussi ses manières de voir et son expérience, quelle qu'elle soit. Chez Ait Menguellet, j'aime la maîtrise des mots et le choc des sons et des sens. Pas vraiment de frontière entre poésie et diplomatie? Je n'irai pas jusque-là. Mais si on veut chercher un terrain de rencontre entre les deux, c'est certainement le travail sur le mot. Poète et diplomate veillent à aller vers un choix très précis des mots qu'ils utilisent. Avec des objectifs très différents: le poète veut nous émouvoir et susciter en nous le plaisir esthétique et le diplomate souhaite exprimer la position la plus équilibrée possible et qui soit au plus près des intérêts de son pays.


Vous avez été Directeur général des Relations multilatérales au ministère des Affaires étrangères et vous avez représenté notre pays en qualité d'ambassadeur en Tanzanie, en Grèce, en Russie et, enfin, en Grande-Bretagne. Peut-on dire que votre deuxième livre sur la politique étrangère de l'Algérie est un balayage, voire une analyse de tout votre parcours professionnel?
Il est certain que mon parcours professionnel a été la matière première principale qui m'a permis d'écrire cet ouvrage et que les différentes étapes et expériences qui ont jalonné ce parcours ont indiscutablement nourri et construit ce travail, de même qu'elles ont contribué à lui donner le contenu et la forme qui sont les siens. C'est ainsi que mon expérience aux Nations unies m'a familiarisé avec ce que l'on appelle aujourd'hui «les défis globaux» (désarmement, développement, environnement), mes séjours en Afrique subsaharienne avec les problématiques de notre continent, au Brésil avec la relation particulière qu'ont toujours entretenue les pays de l'Amérique latine avec les Etats-Unis, au Royaume-Uni avec l'insularité des Britanniques...
Mais mon livre est loin d'être un balayage complet ou une analyse de mon parcours professionnel.
Des développements de ce type auraient probablement plus leur place dans des Mémoires. Un jour, peut-être.
De plus, ce n'était nullement mon objectif. Mon but, comme je le dis clairement dans l'avant-propos de l'ouvrage, était de tenter d'expliquer ce qu'est la politique étrangère d'un pays et d'appliquer les réponses à cette question à la politique étrangère de notre pays depuis l'indépendance, et ce au bénéfice surtout des étudiants en relations internationales et, pourquoi pas, du grand public.

Truffé d'informations, doublées d'analyses pertinentes, votre livre nous offre des clés de lecture des situations et conflits prévalant dans le monde d'aujourd'hui. Pourriez-vous nous restituer, de manière succincte, la profondeur des grands enjeux internationaux de ces 60 dernières années, objet de votre ouvrage?
Le monde a traversé plusieurs étapes tout au long de ces 60 dernières années. Lorsque nous avons conquis notre indépendance, en 1962, deux grandes réalités historiques marquaient notre temps: la décolonisation et la guerre froide. D'un côté, des dizaines de pays accédaient à l'indépendance et se libéraient du colonialisme, principalement en Afrique, et de l'autre, le monde était divisé en deux camps antagonistes, qui se faisaient la guerre par procuration, l'un dirigé par les Etats-Unis et l'autre sous la houlette de l'Union soviétique. Pour échapper à cette rivalité mortifère, les pays nouvellement indépendants avaient choisi de mettre en place le Mouvement des pays-non-alignés pour promouvoir la paix, conjurer le péril nucléaire et encourager l'adoption de politiques d'indépendance nationale.
L'effondrement de l'Union soviétique en 1991 remit en grande partie en cause la validité du non-alignement: il n'y avait plus de camps. Certains ont très naïvement cru à la fin de l'histoire et au triomphe de la démocratie libérale et de l'économie de marché, avec la domination incontestée de l'hyperpuissance américaine, championne d'un monde unipolaire.
Mais, le redressement de la Russie et la montée en puissance de la Chine à partir des années 2000, de même que l'émergence économique d'autres puissances telles que l'Inde, le Brésil et la Turquie, vont progressivement introduire des facteurs de changement et de remise en cause du système international. La Chine ambitionne de se hisser, à court terme, à la place de première économie du monde, qu'elle a occupée par le passé. Les États-Unis n'entendent pas renoncer aux nombreux privilèges que leur procure leur puissance, en particulier leur monnaie.
Aujourd'hui nous sommes véritablement à un tournant. Le monde est caractérisé par une grande instabilité et, pourquoi le nier, par une indéniable dangerosité parce que le système bipolaire est mort en 1991, le système unipolaire a eu une existence relativement brève et le système multipolaire ne s'est pas encore vraiment mis en place. Et puis, et je le dis quelque part dans mon livre, l'histoire nous enseigne que le système multipolaire n'a jamais été synonyme de paix, loin de là. Les deux Guerres mondiales du XXe siècle ont eu lieu dans un monde multipolaire!

La politique étrangère est un aspect important de la gouvernance d'un pays. Mais l'opinion publique algérienne n'a qu'une idée approximative de ses valeurs, voire principes. Pourriez-vous nous en dire plus sur ses fondements, les objectifs qu'elle se fixe et les moyens qu'elle utilise?
Il faut partir d'une définition simple et claire de la politique étrangère: c'est l'ensemble des idées et des actions mises en oeuvre par un pays en vue de la défense de ses intérêts nationaux. Cela étant dit, les intérêts nationaux d'un pays, essentiellement politiques, sécuritaires et économiques, il faut les rechercher d'abord dans son voisinage géographique. On dit qu'un État fait la politique de sa géographie. Lorsque l'on applique cette règle, trois zones s'imposent d'emblée comme celles où nos intérêts sont les plus significatifs: le Maghreb, le bassin occidental de la Méditerranée (Espagne, France, Italie) et le Sahel. Ce sont des priorités stratégiques par le voisinage. D'autres priorités, non moins stratégiques, sont issues de notre partenariat avec des pays dont la puissance, l'influence et le rôle sur la scène internationale sont déterminants: Chine, Russie, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni. Nous défendons également nos intérêts grâce à notre insertion dans / ou notre association à des organisations régionales: Union africaine, Ligue des États arabes et Union européenne. Ceci sur le plan bilatéral et régional.
Sur le plan multilatéral, et en particulier à l'ONU et ses institutions spécialisées, nous essayons d'apporter notre contribution à la gestion des interdépendances et des défis globaux, ces défis et menaces que les États ne peuvent affronter qu'ensemble. Par exemple: réforme du système des relations économiques internationales, atteintes à l'environnement, criminalité transnationale et terrorisme. Sur tous ces thèmes, la diplomatie algérienne a été d'un extraordinaire dynamisme tout au long de ces 60 années.
En dehors de ces priorités stratégiques, il faut noter que la politique étrangère de l'Algérie a été profondément marquée par les idéaux de la Révolution, c'est-à-dire l'appui systématique aux mouvements de libération nationale.
Ce n'est guère étonnant, c'est dans son ADN, l'Algérie s'étant elle-même libérée par l'une des luttes de libération les plus emblématiques dans le monde, avec celle du Viet Nam. Cette politique n'a cependant jamais été dénuée de réalisme et de pragmatisme, l'Algérie ayant toujours pratiqué une politique équilibrée, inspirée du non-alignement, qui a toujours sauvegardé ses intérêts les plus essentiels aussi bien avec le camp socialiste qu'avec les grandes puissances occidentales, notamment sur le plan commercial. Pour parler de manière triviale, elle n'a jamais mis tous ses oeufs dans le même panier. Sur le plan des moyens, l'instrument principal de mise en oeuvre de la politique étrangère est la diplomatie: c'est le ministère des Affaires étrangères avec ses représentations diplomatiques et consulaires à l'étranger.
Le rôle quotidien qu'exerce le ministère des AE et les ambassades dans la coordination des activités des autres ministères à l'international est absolument essentiel pour donner toute sa cohérence à l'action extérieure de notre pays. Il y a d'autres instruments au service de cette politique comme l'aide publique ou les autres formes de diplomatie comme les diplomaties économique, parlementaire, culturelle, sanitaire, sportive... Sur ce dernier point, l'organisation d'évènements sportifs internationaux comme les Jeux méditerranéens d'Oran ou les compétitions africaines de football, participent à la bonne image de notre pays et donc à notre politique étrangère.
À signaler, enfin, le recours au soft power qui se révèle d'un apport de plus en plus décisif au service de la politique étrangère de certains États. Sur ce plan, l'exploitation du soft power de notre pays (histoire, paysages, cuisine...) reste malheureusement bien en deçà du rendement potentiel qui pourrait être le sien.



Bonjour, j'ai eu l’occasion d'avoir un exemplaire de ce magnifique ouvrage que je considère comme un dictionnaire de la diplomatie algérienne, aient l'objectif de devenir diplomate j'était toujours attiré par la carrière de Mr. Abba, qui est sans doute l'un des meilleurs diplomates algériens.
Mohamed ouchene - étudiant en Relations Internationales - Batna, Algérie

04/06/2023 - 555085

Commentaires

Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)