Algérie

Altercations




Paris, neuvième arrondissement. Le motard dévale le boulevard Montmartre, passe à l'orange au carrefour Drouot puis accélère en s'engageant sur le boulevard Haussmann. C'est là, à quelques mètres de la station de métro Chaussée d'Antin, qu'une flaque d'huile délayée par une petite averse matinale manque de le faire déraper. Geste sec du coude gauche, coup de talon sur le bitume, la machine tangue, penche dangereusement, chasse de l'arrière puis finit par se redresser. Pas pour longtemps. Un taxi blanc, une Citroën, lui coupe la route en se rabattant vers la droite. La moto pile sec. Nouvelle glissade, odeur de caoutchouc brûlé, nouveau rétablissement spectaculaire et jurons qui fusent à travers le casque. «Ta race ! P... de ta race !». Le motard se place à la hauteur du taxi et donne un coup de poing sur le capot. «T'es aveugle ou quoi espèce d'abruti !», rugit-il. C'est au tour de la Citroën de freiner. Elle se range ensuite sur la droite tandis que la moto grimpe sur le trottoir, gaz coupés. Les passants s'arrêtent devinant qu'un peu d'action s'annonce. Le motard met son engin sur béquille et, sans enlever son casque, fond d'un pas résolu sur le taxi..., d'où sort le sosie de Schwarzenegger, autant de centimètres que l'Arnold mais avec beaucoup plus de gras au bide et un jet continu de postillons qui accompagnent ses injures. «Ma race ? Elle est mieux que ta race, espèce de minable ! Si tu sais pas conduire une moto, paie-toi une trottinette !», hurle-t-il à l'adresse de celui qui, deux bonnes têtes et une trentaine de kilos en moins, a stoppé net sa marche courroucée. Le taxieur s'en aperçoit, s'échauffe et menace de lui flanquer quelques torgnoles. L'autre, moins vaillant mais bien obligé de faire face pour ne pas la perdre, essaie tout de même de l'impressionner en menaçant d'appeler la police. «Vas-y, appelle aussi ta soeur et ta mère pendant que t'y es ! Ma race, hein ? Je vais t'arranger la tienne. Tu dis plus rien ? T'as la trouille ? Allez, va, moi j'ai de l'argent à gagner», rigole le colosse qui s'en retourne vers sa voiture. Au moment où il ouvre la portière, il se rend compte que le motard - stupide erreur de sa part - a sorti un calepin de son blouson pour noter le numéro d'immatriculation du taxi. «Tu fais quoi là, petite merdouille ?», gronde-t-il en revenant sur ses pas. Un clou enfoncé par un marteau. Ou, pour être plus précis, un clou enfoncé en un clin d'oeil dans de l'aggloméré. Quand le gorille assène un coup de poing sur le crâne du motard, c'est cette image qui s'impose aux spectateurs de ce match inégal, parmi lesquels une flopée de Chinois sortis en courant d'une parfumerie aux produits détaxés. Knock-out fulgurant, combat arrêté à la cinquième seconde. Alors que le chauffeur de taxi s'en va en riant, quelques âmes généreuses aident l'infortuné à se relever. On lui enjoint de retirer son casque, ce qu'il refuse. En titubant un peu, il finit par remonter sur sa machine et repart en direction des grands magasins, vers là où on aperçoit encore l'arrière de la Citroën. «Il cherche la fessée», commente sobrement un costume-cravate. Paris, premier arrondissement. Le bus roule sur l'avenue de l'Opéra et va bientôt entrer dans le deuxième arrondissement. Lecteurs électroniques à la main, des contrôleurs, trois hommes, deux femmes, montent à l'arrêt Pyramides. Contrôle des billets, s'il vous plaît ! Comme c'est presque souvent le cas, tout le monde n'est pas en règle. A l'arrière, trois adolescentes n'ont pas de tickets et affirment ne pas avoir de papiers d'identité sur elles. Tactique habituelle mais qui, ces dernières années, s'avère des plus dangereuses, surtout pour les plus bronzés. Il fut un temps où il suffisait de donner une adresse bidon et les hommes en vert-marron, pourtant pas dupes, s'en contentaient. Ce n'est plus le cas, car ne pas payer et refuser de donner une preuve de son adresse peut mener directement au poste de police. «Vous réglez l'amende maintenant ou c'est le commissariat», menace justement l'un des contrôleurs. On le sent un peu excédé, pourtant la journée ne fait que commencer. «Tu y tiens à ta prime pour les vacances, hein ?», lui demande la plus âgée des contrevenantes, quinze ans au maximum, piercing sous la lèvre inférieure et tee-shirt à la gloire du groupe 113. «J'ai un ticket-restaurant, ça t'suffit ?», surenchérit l'une de ses copines. Rires parmi les passagers. Il est ainsi des professions qui n'attirent guère la sympathie. Pourtant, neuf Parisiens sur dix trouvent normal que l'on fasse la chasse aux resquilleurs mais dans le même temps, rien n'est plus désagréable que de tomber sur des contrôleurs au détour d'un couloir avec leur « éclaireur » en poste avancé dont la « mission », toujours prise au sérieux par l'intéressé (signe d'une vocation de pandore contrariée ?), est d'appréhender les pauvres hères qui font demi-tour en espérant échapper à l'amende. Les contrôleurs... On n'a pas vraiment envie de les saluer et l'on peut même soupirer bruyamment en les croisant, à condition, bien sûr, d'être en règle, numéro de carte orange bien inscrit à l'encre indélébile pour empêcher qu'un coupon serve à toute une famille... A l'arrière du bus, le ton monte. Cris, menaces, injures. « Ta race de contrôleur », est une expression qui s'ajoute à d'autres un peu plus fleuries. Décidément... Inquiets, les autres passagers ne rient plus mais regardent plutôt leurs pieds. « Dès que tu en voies une, tu t'arrêtes », ordonne un contrôleur au chauffeur. Le bus ralentit mais repart car la voiture de police garée le long du trottoir opposé est vide. A l'arrêt Opéra-Quatre-septembre, la plus âgée des gamines force le passage et s'échappe en courant. L'un des contrôleurs fait mine de la poursuivre puis revient sur ses pas. « Vous allez payer pour elle », lance-t-il à l'adresse de ses deux camarades. « On la connaît pas, on vient juste de la rencontrer », pouffent-elles. Nouveaux hurlements. Mais l'autobus s'arrête quelques mètres plus loin. Des policiers montent par la porte de devant, la seule à avoir été ouverte. Au fond du bus, les gamines ne rient plus.


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