Algérie

Alloula, le porte voix du petit peuple



Alloula, le porte voix du petit peuple
Alloula, le porte voix du petit peuple
L’ignorance crasse d’un terrorisme aveugle a abattu un fleuron du théâtre algérien, mis fin bestialement au parcours flamboyant d’un homme de culture profondément enraciné dans son terroir. Abdelkader Alloula est assassiné un 10 mars 1994, de triste mémoire. La décennie noire ne l’a pas épargné ainsi que tant d’autres braves. Peu importait aux sicaires qu’il soit un célèbre dramaturge, qu’il ait monté des pièces du vaste répertoire universel, qu’il soit familier de Gorki, Goldoni, Gogol, Tchékhov ou Dostoïevski, qu’il ait consacré sa vie entière au théâtre, qu’il voulait comme un vecteur de combat contre l’arriération, le sous développement, les traditions archaïques. Alloula s’est beaucoup investi au service d’une culture qui éclaire les esprits. Il a contribué à la création et au fonctionnement de l’Institut national d’art dramatique de Bordj El Kiffan. Acteur de talent, il joua dans «Roses rouges pour moi», d’Allel El Mouhib, «la Mégère apprivoisée», mis en scène «L’ogresse», «le sultan embarrassé», interpréta et réalisa des pièces de Sophocle, Shakespeare, Aristophane. Il a écrit «El Alleg» (les sangsues), «El Khobza», «Homk Salim» (premier monologue théâtral algérien), «le journal d’un fou», «Hout Yakoul hout», «Hammam Rabi», «El Adjouad», «El Litham»… Alloula fut aussi sollicité par le cinéma en interprétant divers rôles sous la conduite de réalisateurs réputés. Son théâtre est le témoin d’une générosité à fleur de peau, d’une écoute attentive des préoccupations de la société, à qui il donna la parole. Doté d’un caractère entier, Alloula a longtemps animé un théâtre imprégné des pulsions de la cité, maniant, avec dextérité, l’arabe populaire qu’il a constamment défendu. Il n’hésitait pas à faire du théâtre un domaine interactif, dans lequel il invite des intellectuels, des universitaires et des journalistes à débattre. Dans une interview accordée à M. Djellid, Alloula fournit les raisons qui le poussent à écrire. «J’écris pour notre peuple, avec une perspective fondamentale : son émancipation pleine et entière. Je veux lui apporter des outils, des questions, des prétextes, des idées, avec lesquels, tout en le divertissant, il trouve matière et moyens de se ressourcer, de se revitaliser, pour se libérer et aller de l’avant. Mes héros sont des hommes de tous les jours, des gens du commun.» Il met en exergue l’importance du rôle d’éveil civique de l’activité théâtrale. Celui qui se voyait déjà héritier d’Ould Abderrahmane Kaki et Kateb Yacine avait «mis en place une réelle réflexion théorique sur le théâtre algérien, saisissant dès le départ la nécessité d’adapter sa formation effectuée selon des méthodes occidentales, à sa propre culture. Il était soucieux de donner au quatrième art les outils didactiques nécessaires qui lui permettent de répercuter sur les planches la réalité et les préoccupations de la société algérienne.
La Halqa, essence du théâtre algérien
Abdelkader Alloula parvient, après de longues recherches, à la conception d’une scénographie minimaliste, quasiment sans décor, faite d’une combinaison judicieuse de la «halqa» et l’architecture du théâtre à l’italienne. La disposition du public en forme de cercle l’incitera à tirer profit de cette proximité pour créer le personnage du «Gouwal», qui apparaît après un brouhaha provoqué par des comédiens se déplaçant dans tous les sens, puis, qui s’arrêtent et se taisent brusquement. Dans ce bel élan, il ira jusqu’à faire participer quelques spectateurs, auxquels seront confiées les premières répliques du spectacle qui poseront les termes du sujet à traiter et le mettront en situation. Alloula va aussi s’investir dans l’un des plus importants chantiers de son œuvre, la quête de la langue intermédiaire, à travers une recherche approfondie et minutieuse de la parole juste, puisée du terroir et à la portée de tous. Le drame interviendra, alors qu’il était en train de terminer une adaptation du «Tartuffe» de Molière. Il est victime d’un attentat perpétré par un tueur fanatisé, sur le chemin du Palais de la culture à Oran. Alloula devait figurer en tant que conférencier. C’était un soir de ramadhan, après le f’tour. Il fut enterré le 16 mars 1994. Oran est sortie pour son fils prodigue. Des gens sont venus de tous les coins d’Algérie pour lui dire adieu, pour condamner le crime abject.
M. B.
El Moudjahid



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)