Algérie

Allaoua Mouhoubi, enseignant en économie et plusieurs fois élu, à L'Expression «La gouvernance locale fait sa mue»



Allaoua Mouhoubi, enseignant en économie et plusieurs fois élu, à L'Expression «La gouvernance locale fait sa mue»
Publié le 10.09.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Arezki SLIMANI

Ayant accumulé plusieurs mandats d’élu local, souvent comme responsable des finances. Allaoua Mouhoubi a suffisamment d’expertise et d’expérience dans la gestion financière locale pour s’exprimer sur les textes qui encadrent les collectivités locales, notamment dans le volet lié aux finances. Nous l’avons rencontré à Béjaïa et il a bien voulu nous éclairer davantage sur la réforme de la comptabilité publique, la loi sur les règles de la comptabilité publique et de la gestion financière promulguée très récemment et, en particulier, son impact sur la gestion communale.
L'Expression: Vous avez été enseignant des années durant en sciences économiques et de gestion et vous avez assumé la responsabilité des finances au sein de l'APC de Béjaïa. Vous êtes de ce fait bien placé pour comprendre la portée de cette la loi sur les règles de la comptabilité publique et de la gestion financière. Que pouvez-vous dire à ce propos?

Allaoua Mouhoubi: Pour mieux saisir la portée de cette loi, il faut au préalable situer le contexte de sa promulgation: il s'agit des normes de transparence de la gouvernance publique et de la réédition des comptes fixées par la Constitution, du mouvement universel de normalisation et de modernisation des comptabilités publiques, des grands changements budgétaires des finances publiques introduits dans la loi de finances 2023 sur la base de nouveaux paradigmes d'objectifs, de résultats et d'indicateurs de performance et le caractère totalement obsolète du cadre comptable en vigueur depuis la loi de 1990. On constate une nette volonté de l'État d'améliorer la gestion des finances publiques. On passe ainsi d'une «‘'révolution budgétaire'' à une'' révolution comptable ‘'».

Pouvez-vous préciser ses principales innovations?
La nouvelle loi sur la comptabilité publique est un chantier d'envergure nationale qu'il est complexe de cerner en globalité. On citera les axes novateurs majeurs et leurs incidences sur la gestion financière communale. C'est avant tout une «révolution comptable lexicale» avec des concepts nouveaux, inconnus dans le jargon de la gestion comptable classique. À savoir les mots: performance, sincérité financière, image fidèle, contrôle interne, comptabilité patrimoniale et analyse des coûts. Contrairement à la loi de 1990, un titre entier est consacré à la tenue de la comptabilité publique déclinée en trois types: la comptabilité budgétaire existante, la comptabilité générale et la comptabilité de gestion c'est-à-dire l'analyse des coûts. Le changement notable est l'intégration de la comptabilité en droits constatés en parallèle de la comptabilité de caisse existante. Celle-ci signifie que la transaction de recettes ou de dépenses est enregistrée uniquement lorsque respectivement l'encaissement ou le décaissement est effectué. La situation financière manque d'exactitude de ce fait puisqu'elle ne reflète pas la réalité des opérations. En comptabilité en droits constatés, les opérations sont rattachées au contraire à un exercice comptable dès la naissance du droit ou de l'obligation, indépendamment du moment de règlement. L'enregistrement de la créance et de la dette entraîne un changement important en matière de «sincérité financière».

Vous évoquez la notion de comptabilité patrimoniale, pouvez-vous l'expliquer davantage?
C'est un aspect très important. Un principe d'importance significative est clairement énoncé, à savoir que l'objet de la comptabilité est de présenter des états financiers reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat. La comptabilité retrace toutes les opérations avec les tiers, l'inventaire des stocks, des biens immobiliers et mobiliers ainsi que les amortissements rattachés à l'exercice. Ce dernier aspect ne manquera pas d'avoir des retombées sur l'administration communale qui doit tenir convenablement les registres d'inventaires et transmettre des données fiables au comptable public. La Cour des comptes a souvent relevé, dans ses rapports, une connaissance lacunaire par les collectivités de la composition de leur patrimoine. Une autre innovation majeure apportée par la nouvelle loi porte sur l'obligation de la tenue d'une «comptabilité de gestion». Celle-ci permet la connaissance et l'analyse des coûts de réalisation des différents services publics. C'est indispensable compte tenu de la propension de la commune à concéder certains de ces services comme l'entretien des réseaux de voirie, d'éclairage public, la gestion des espaces verts et des déchets ménagers.

- Qu'en est-il du système de contrôle?
C'est précisément une disposition très importante de la nouvelle loi qui recommande la mise en place du contrôle interne ou dit plus simplement l'autocontrôle. Ce qui existe en partie avec le maintien de la séparation de l'ordonnateur et du comptable public. Le contrôle financier depuis 2011 a contribué aussi grandement à la régularité des engagements de dépenses dans le respect des crédits alloués. Ce type de contrôle gagnerait cependant à évoluer vers un partenariat de conseil et d'audit avec la commune. La responsabilité du comptable public qui doit désormais, prêter serment est quelque peu allégée dans la nouvelle loi dans la mesure où l'obligation de vérifier la conformité des dépenses aux lois et règlements est annulée. Les procédures de contrôle interne à mettre en place selon des référentiels et des normes sont indispensables pour la conformité aux règlements, la fiabilité des informations produites, les processus internes pour la préservation du patrimoine et la réduction des risques de fraude.

Compte tenu de votre expérience, quelle peut être l'utilité de cette mesure de contrôle interne?
La mise en oeuvre du contrôle interne est indispensable pour mettre un terme à des situations incohérentes constatées. À titre d'exemple et pour être concret, il supprime la situation qui fait qu'un seul agent puisse décider concomitamment de l'imputation budgétaire, du lancement de la commande et de la validation du service fait. C'est aussi le cas de l'agent qui élabore le cahier des charges et qui est en même temps responsable des consultations de marchés publics. Le contrôle interne identifie et sépare les fonctions incompatibles et instaure des sécurités administratives. Comme l'exigence d'un visa juridique préalable avant la signature par l'ordonnateur d'un contrat de location d'un bien immobilier de la commune pour éviter des irrégularités qu'elles soient intentionnelles ou non. En quelque sorte, c'est mettre fin à ces positions de juge et partie.

Au final, quelle est la portée de cette loi sur l'organisation de la commune?
Bien plus qu'une réforme technique, la loi sur la comptabilité publique constitue une opportunité de «changement» et de «modernisation» de l'administration communale qui doit être réorganisée en centres de responsabilité. La mise en oeuvre de la loi passe certainement par un vaste programme de formation, ce qui va favorablement impacter les ressources humaines et le management de la commune. D'autre part, la loi sur la comptabilité trace des perspectives. La mise en place des procédures de contrôle interne ouvre la voie à une possible certification des comptes publics par les professionnels externes. L'analyse des coûts constitue aussi une étape pour l'implantation du contrôle de gestion adapté aux spécificités des missions de service public de la commune. C'est en d'autres termes une transposition des principes de la LOLF (Loi Organique des Lois de Finances) pour moderniser la commune au même titre que l'État.

Vous êtes donc optimiste en matière de gouvernance?
La loi sur la comptabilité publique est un grand pas pour rénover la gouvernance publique. Il faut relever, également, la nouvelle législation relative aux marchés publics qui introduit des dispositions destinées à améliorer la transparence par la numérisation. Tous ces changements vont être intégrés dans la loi fondamentale de la commune et de la wilaya dont l'examen serait inscrit au programme de l'actuelle session parlementaire. Au niveau local, la consolidation de la gouvernance mérite la mise en place d'un observatoire de la gestion des finances publiques avec la mission de fournir à l'État toutes les analyses utiles sur la situation financière des collectivités et l'évaluation des pratiques de gestion.



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