Ceux qui détiennent la semence alimentaire détiennent le monde. L'Algérie joue au feu en cédant ces semences dans un échange inégal contre des technologies factices.
Amina Younsi, présidente de l'association de la protection des ressources génétiques algériennes, monte au créneau. Dépit et cote d'alarme.
«J'ai beaucoup lu sur les pistes à prendre en cas d'épuisement du pétrole. Les avis des experts différent, mais aucun d'entre eux n'a parlé du pétrole vert vers lequel le monde entier s'est tourné tout au long du vingtième siècle. La conscience qu'il fallait sauver sa richesse en diversité génétique des espèces de variétés cultivées et variétés proches de celles-ci, existe depuis de nombreuses décennies ailleurs dans le monde. Ces variétés seront les armes du futur beaucoup plus puissantes que le nucléaire. «Ceux qui détiennent la semence alimentaire détiendront le monde ». Les faibles sont mis à l'écart. Il nous ait demandé depuis 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro de mettre en place toutes les politiques et les jurisprudences nécessaires pour protéger la souveraineté nationale en matière de ressources phylogénétiques et génétiques de manière générale. 21 ans plus tard, nous n'avons rien fait. C'est frustrant! L'Algérie a signé la convention sur la diversité biologique en 1993, et d'autres protocoles de mise en œuvre. Mais on ne sait pas ce qu'on a signé! C'est là le drame! Le protocole de Cartagena, le protocole de Nagoya, le traité sur les ressources phylogénétiques! Savons-nous ce qu'il y a dans ces accords de mise en œuvre? Tout ce qui hypothèque l'Algérie. Qu'importe maintenant, ce qui est fait est fait! Mais s'il y a une intention réelle que l'Algérie préserve sa souveraineté nationale! il est urgent de commencer à déployer le plan D! Pour sauver ce qui reste et négocier ce qui parti. Ce projet de souveraineté alimentaire nécessite une qualité humaine spéciale et typiquement algérienne pour réussir, une qualité que je ne retrouve plus aujourd'hui je suis désolé de le dire ainsi. Il s'agit d'un enjeu qui commence par une simple graine et qui finit dans les accords ADPIC de l'OMC que nous sommes en train de négocier. Je dois malheureusement le répéter, cette partie inhérente à notre arme alimentaire est mal prise en charge par les institutions concernées Quand la convention sur la diversité biologique CDB est entrée en vigueur le 29 décembre 1993, elle est devenue un instrument principal et international pour étudier toutes les questions sur la diversité biologique. Un de ses articles adopte une approche globale à l'égard de la conservation, de l'utilisation durable des ressources naturelles et un autre article parle des partages équitables et justes découlant des ressources génétiques».
PERSONNE N'A REAGI A LA SIGNATURE DE LA CDB ET DE CARTAGENA
«l'Algérie aurait du, dès ce moment là, mettre en place un conseil national au plus haut degré de contrôle de gestion des ressources génétiques et un comité chargé du suivi de la mise en œuvre de ces questions. On aurait pu déjà en 1993 mettre en place une loi pour la protection des ressources génétiques qui aurait eu des intéractions extra-ordianaires avec une loi sur la propriété intellectuelle appliquée au commerce,» et une loi sur le développement rural et une dernière sur la mise à jour de la loi protection de l'environnement. Rien de tout ca n'a été fait».
En 2000 un nouvel accord est apparu , celui de CARTAGENA, il découle de la CDB, de l'article sur les biotechnologies, (technologies du vivant, puisqu'il s'agit de semences, de gènes, de souches, de brin d'ADN, etc
) où il reconnait les bienfaits et les risques associés aux biotechnologies et demande aux Etats parties contractantes de mettre en place les mesures nécessaires pour protéger la santé humaine et l'environnement des produits issues des biotechnologies par rapport à leurs effets méconnus et des risques de dissémination volontaires ou involontaires. C'est un instrument international réglementaire qui permet aux Etats de mettre en place les procédures consensuelles entre les impératifs commerciaux et la protection de l'environnement.
En Algérie ni la santé, ni l'agriculture, ni l'environnement, ni la défense nationale n'ont pris en charge cette question. Pourtant si cet accord est né, c'est parce que réellement un risque important existe. Nous consommons aujourd'hui des OGM, ils sont partout et arrivent dans les semences que nous importons, dans les produits transformés, sous produits de la céréaliculture, viandes, laits et dérivés, etc
Nous le savons, en 2006 il y a eu un arrêté du ministère de l'agriculture pour dire que l'Algérie interdit les OGM, mais le problème c'est comment les contrôler? Y a t-il eu des laboratoires dotés d'équipements d'analyse d'ADN pour le bénéfice de la répression des fraudes? Rien. La loi sur les biotechnologies non plus n'existe pas»
«Le Protocole de Nagoya a été adopté à la dixième réunion de la Conférence des Parties, le 29 octobre 2010, à Nagoya, au Japon, après six ans de négociations, donc, une fois que les biotechnologies étaient bien avancées au niveau mondial, il fallait mettre en œuvre un article important de la CDB qui est le partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques. Les pays industrialisés savent que cette richesse se trouve dans les pays en développement qui ne détiennent pas la technologie, et ils reconnaissent que cette richesse appelée les ressources génétiques sont le carburant des biotechnologies. Il fallait créer un cadre réglementaire pour échanger ces ressources contre ces technologies. Troisième Ecart de l'Algérie. Elle s'est engagée dans des voies de transfert de biotechnologie mais aucune loi n'a été mise en place pour la mise en œuvre du protocole de Nagoya. Tout reste dans le flou. Cela veut dire que n'importe qui peut prendre ou exploiter nos ressources sans que notre Etat s'en aperçoive parce que les souches algériennes ne sont pas protégées. Les pays développés n'entendent pas échanger les gènes qui se trouvent dans leurs banques, ce qui est évident commercialement! Mais alors, pourquoi nous avons ratifié cet accord?»
DES SEMENCES CONTRE DE LA TECHNOLOGIE PERISSABLE?
«Après analyse de la CDB et du protocole de Cartagena, nous aurions du développer une stratégie pour faire de l'Algérie un grenier des semences et un vrai réservoir de diversité de plantes qu'elle pourra utiliser à court, moyen et long terme. En collectant toutes les variétés locales, et semences de pays dont disposaient nos agriculteurs à une époque. Nous aurions du construire un réseau de banque nationale de semences qui nourrissent le pays. Ces semences sont notre seul échappatoire pour manger sans tendre la main un jour. Elles sont véritablement les matériaux dont on a besoin aujourd'hui pour créer de nouvelles variétés algériennes adaptées à nos conditions climatiques et édaphiques ; ces semences sont utilisés pour leurs différentes caractéristiques codés par des gènes comme: la qualité des protéines, la réponse à la sécheresse, la résistance dans des sols pauvres. Elles sont stockées autrement dans les pays industrialisés dans des banques de gènes. Ces banques sont devenus l'apanage des biotechnologies et par conséquent seuls ceux qui détiennent ces gènes pourront utiliser les biotechnologies. L'Algérie fait partie de ces pays qui nourrissent ces banques internationales de semences. Comment sommes nous réduits à croire que nous n'avons pas besoin de nos magnifiques blés, nos orges, nos plants d'arbres fruitiers, de vignes, les biotechnologies sont là et elles font l'objet de transfert à des conditions de faveur (voir la CDB)! Comment peut-on échanger une technologie périssable contre un ADN reproductible? N'est ce pas, là l'échange inégal. On nous parle aujourd'hui d'un partenariat avec les américains dans les biotechnologies ; je suis sceptique ! Pas par rapport au partenariat, mais par rapport à la mince assise qu'offre l'Algérie pour réussir ce projet en équilibre «win to win». Imaginez qu'il soit question de l'industrialisation d'une souche productrice d'anticorps, ou productrice d'antibiotiques, comment allons-nous profiter de ce partenariat si nous ne sommes pas capables de décrire les matériaux origine Algérie? Sans législation nationale sur la protection des ressources génétiques et sans le travail de collecte qui l'accompagne nous allons continuer de donner l'essentiel pour recevoir l'accessoire »
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Posté Le : 12/02/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: fr.123rf.com ; texte: Hafida Saidoune
Source : Le Quotidien d'Oran du mardi 12 février 2013