Algérie

Ali Mouzaoui. auteur-réalisateur



« La liberté de création a un prix... » Auteur iconoclaste, réalisateur, anticonformiste, Ali Mouzaoui allie l?usage de la caméra à celui de la plume. Son parcours professionnel bien que parsemé d?embûches lui sert comme une source de motivation pour la création en indépendant. Regards multiples sur ses déceptions et ses ambitions. Des romans écrits, des films réalisés, d?autres en projet. Les conditions de création sont-elles favorables pour vous ? Des conditions favorables pour la création n?existent pas. Je n?attends cependant pas l?amélioration de mes conditions pour travailler. Je risque d?attendre trop longtemps et ne rien voir venir. Tout artiste, tout intellectuel s?adapte aux pires réalités qui accompagnent sa vie. De grands hommes ont créé des chefs-d??uvre dans des conditions inhumaines - le goulag. Il n?en demeure pas moins que leurs ?uvres ont fortement influé sur le cours de l?histoire, fouetté la conscience universelle. Ceci dit, je ne pense pas qu?il faille soumettre les artistes, les écrivains ou les poètes à la torture pour voir naître des ?uvres majeures. C?est Dostoïevski qui affirmait un jour que : "Dans une chambre étroite, nous réfléchissons étroitement. Cette vérité assenée avec peu de mots par l?auteur de ??L?idiot?? suffit à démonter la théorie de l?artiste martyre. La misère est loin de favoriser la création. Autrement, la recette serait simple. Il m?est arrivé de dormir sur le sable d?une plage et de me retrouver sur un plateau de tournage le matin. Etre en mission était un luxe. Cela signifiait disposer d?une chambre d?hôtel pendant quelques jours. Cette galère n?est pas sans conséquences. Probablement, elle a freiné nos élans, ralenti notre productivité... Seulement, nous avons travaillé dans la dignité, sans renoncer à un idéal qui ne pouvait que nous desservir dans l?immédiat. Aujourd?hui, je ne regrette rien. Je me sens bien dans mes petits souliers et je continue de rêver sans bride et sans aiguillette. La liberté de création a un prix. Vos films touchent généralement à des sujets considérés comme tabous. Qu?en pensez-vous ? Il fut un temps où l?on programmait les cinéastes selon les idéologies en vogue. Cela va d?un panarabisme décousu à un socialisme spécifique. Les cinéastes sont affectés comme des factotums, tel filmera la prière de l?Aïd à partir de la mosquée d?El Biar, tel ira sur les stades... Un jour, un dirigeant cerbère, dans un excès de zèle, nous imposa le ??pointage?? - un procédé appliqué, autrefois, aux métayers qui ne devaient pas relever la tête. En solitaire, j?ai refusé de retransmettre les prières et les matchs. En solitaire, j?ai préparé ma démission pour ne pas pointer. Le cerbère en question, qui savait fort bien que je ne vivais pas en parasite, que je gagnais honnêtement mon bout de pain, a préféré fermer les yeux devant mon comportement réfractaire à l?ordre découlant d?en haut. Je n?ai filmé que ce que j?ai choisi, thème et sujet. Et mon choix est de lever le voile sur ce qui paraît, a priori, dérangeant. Le documentaire ??Je suis chrétien??, le film ??Portrait de paysagiste??, la série ??Ombres et mémoire?? n?ont jamais connu de programmation par la télévision algérienne. Pourtant, la plupart sont produits avec les deniers de l?Etat, donc l?argent du contribuable. ??Portrait de paysagiste?? a été sélectionné par plusieurs festivals, entre autres l?Egypte, Florence, Ouagadougou...Comme ce film pose la problématique ??Pouvoir - liberté de création??, il est mis définitivement au placard. Le film de Si Mohand U M?hand est devenu un feuilleton suite à la controverse avec Yazid Khodja. Est-ce l?épilogue ? Si Mohand n?est pas la propriété exclusive des Kabyles. Se le réserver exclusivement serait un tort, une mise en ghetto de sa poésie. Personnellement, je ne me vois pas comme un gardien du Temple. Si j?ai choisi de récupérer le texte Comme un petit nuage sur la route - scénario consacré au poète et à son ?uvre, je l?ai fait sans contrainte. Chacun est libre de choisir ses collaborateurs pour mener à bien un projet. La période où l?on nous ficelait une équipe sur mesure est révolue. La création est un acte de liberté. Pour aboutir, il faut des assurances, des affinités...Le projet sur Si Mohand U M?hand n?est pas enterré. Il peut y avoir autant de cinéastes que de versions. Nous reprendrons ce film avec mon ami Y. Adli dès que les conditions seront réunies. Quant au passé, il n?est plus question de s?engluer dans des polémiques byzantines. Le projet de faire un film sur Fadhma n?Soumer, où en est-il ? Le projet a été soumis à Madame la Ministre. Nous avons eu une réponse favorable en toute célérité. Tous les documents sont en notre possession. Un accord ferme nous a été transmis avec des termes sans équivoque : ??Nous finançons??. Nous avons remis un scénario et un devis tels qu?ils nous ont été demandés. Et puis, le silence... que la Ministre n?est pas tenue de justifier. Quelle est votre approche sur l?utilisation des langues dans le cinéma ? Lorsque nous faisons un film, nous le destinons au plus large public. Le but est que ce film soit vu par le maximum de spectateurs. C?est ce qui garantit la survie d?un cinéma. Il faudrait que l?argent qui a servi à produire un film revienne par la billetterie. Donc un film se conçoit systématiquement en plusieurs langues, d?où la nécessité de la VI (version internationale). Quant au deuxième point que soulève indirectement votre question, à savoir le droit à la version en langue amazighe, je pense qu?il n?est plus tolérable qu?une partie de la population algérienne soit exclue du bonheur de voir un cinéma dans sa langue. L?Etat algérien est toujours embourbé dans un unicisme castrant. Il retarde son émancipation pour perdurer médiocrement. Autrement, qu?attendent nos dirigeants pour ouvrir le champ de l?audiovisuel ? Tamazight, langue nationale qui trouve plus de terrain d?expression sur des télévisions étrangères qu?en Algérie, place nos dirigeants dans une situation burlesque. Mais sont-ils, déjà, sensibles au ridicule ?


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