Ali Kichou a quitté le pays avec le sentiment de réussir et de revenir un jour rendre service aux siens. Comme lui à l’étranger beaucoup d’Algériens qui ont eu le mérite de s’imposer dans différents domaines caressent le même rêve. Ils ont réalisé des choses extraordinaires parfois dans des conditions de concurrence difficiles qu’ils ont surmontées avec succès.
Le mérite leur revient surtout lorsqu’on sait que même dans les pays civilisés qui nous ont fascinés, des corporations bloquent l’accès au travail à des étrangers. Mais le talent pur, l’intelligence et la volonté brisent tous les obstacles et captent l’attention des autres. Les préjugés cèdent la place aux intérêts et à l’émerveillement.
En Italie, il y a la pizza, le football et les musées partout. Dans ce pays, on ne confie pas un poste dans une équipe à n’importe quel joueur, ni la restauration d’une oeuvre d’art à n’importe quel peintre. Avec Ali Kichou les données changent. En 12 ans, l’Algérien a marqué l’histoire de la peinture italienne. Ce n’est pas Michel-Ange ni Léonard de Vinci, mais comme eux il figure dans le dictionnaire de la plus importante encyclopédie de «la pittura in Italia» consacrée aux illustres artistes italiens du 12ème siècle à nos jours.
Enrico Crispolti, l’auteur de l’encyclopédie publiée en 1994, est l’un des meilleurs critiques d’art en Italie. Et s’il a inclus Ali Kichou dans son ouvrage, c’est que l’Algérien a apporté quelque chose de nouveau en Italie et en Europe. C’est un exploit d’autant plus que Ali, contrairement à d’autres, n’a résidé que quelques années en Italie avant d’émigrer au Canada en 1995. Son apport à la peinture universelle est appréciable d’autant plus que sa valeur mesurée à ses contemporains reste à déterminer. Les spécialistes se sont déjà penchés sur son travail. Selon la critique d’art italienne, Simonetta Serangeli, «les oeuvres de Ali Kichou naissent d’un entrelacement persistant de forces arcanes, de vérité et de magie. Ces libres agrégations de symboles disposés de façon conceptuelle constituent une extraordinaire source d’enchantement poétique».
L’histoire de l’art nous apprend que les peintres rebelles ont apporté beaucoup de changements aux arts plastiques. Ali Kichou fait partie d’eux. En Italie, l’Algérien rompt avec la peinture traditionnelle, abandonne la toile comme support de travail et compose avec de nouveaux matériaux des installations qui diffèrent d’une oeuvre à une autre. Parfois il rajoute du son pour donner vie aux couleurs et aux formes. «Mon travail, ma démarche artistique, dit-il, sont des remises en cause constantes des techniques usuelles, conformes et par là même historiques.»
Ses études et voyages à l’étranger, ses expériences artistiques, le mènent à faire un retour jusqu’aux sources du patrimoine culturel algérien à la recherche de l’âme de son oeuvre. Dessins du Tassili, signes artisanaux berbères et calligraphie vont alimenter son travail. «L’artiste est porteur de ce qu’il ne renie pas: ses origines, les traditions populaires desquelles il est issu et sa formation culturelle personnelle», rajoute Simonetta Serangeli.
On est en Italie, à Rome, berceau de l’art en Europe, chaque coin de rue est une oeuvre d’art abandonnée à la curiosité des touristes. Il y a tellement d’artistes brillants italiens et étrangers qu’il est difficile d’émerger du lot surtout lorsqu’on vient d’un pays sans grandes références artistiques.
Diplômé de l’Ecole nationale des Beaux-Arts d’Alger, avec mention, Ali Kichou, natif de Béjaïa, Algérie, quitte le pays pour l’Italie, en 1982, avec sa femme, l’artiste peintre Hadjira Preure. Après six mois de langue à Perrugia, il décroche le prix de la photo avant d’entrer à l’Académie des Arts de Rome où il obtient quelques années plus tard une maîtrise en arts plastiques. En 1985 et 86, l’Algérien obtient deux autres prix: le Lion de Monza, réservé aux jeunes peintres italiens, et le prix de la gravure à Brissighecca. Un éditeur italien a retenu une de ses peintures pour illustrer le livre de l’écrivain marocain Tahar Benjelloun, Moha le fou Moha le sage. Et voilà que toute l’Italie découvre à travers la littérature son travail inspiré des signes et alphabets nord-africains. En 1987, il est assistant du grand sculpteur romain, Tito. Enfin, un petit travail pour oublier les années de galère où la bourse était versée aux étudiants avec beaucoup de retard.
A l’époque, l’artiste italien réalisait une grande peinture pour le compte du Vatican. Malgré son expérience et sa grande carrière artistique, Tito ne figure pas dans l’encyclopédie. C’est pendant l’exécution de cette grande toile que l’Algérien s’est fait remarquer par un des grands restaurateurs d’oeuvres d’art en Italie qui l’engage dans un prestigieux chantier. C’est le début d’une merveilleuse aventure au contact d’oeuvres exceptionnelles qu’il avait l’habitude de voir dans les livres d’histoire, d’artistes célèbres tels Donatelli, Pommarancio et Bernini.
Les oeuvres à restaurer sont exposées dans l’église Ara Coeli fondée au Xe siècle par des moines byzantins. «Du point de vue affectif, affirme l’Algérien, Ara Coeli est pour les Romains plus importante que la bâtisse du Vatican». Durant cette expérience, Ali Kichou travaillera sur des oeuvres du 12ème et du 14ème siècle. Période importante dans l’histoire de l’art en Italie. Giotto di Bondone (1267-1337) est le peintre qui a marqué le plus cette époque puisqu’il est considéré comme le précurseur de la renaissance italienne, celui qui a rompu avec l’art byzantin.
En Italie, l’artiste algérien est apprécié pour son savoir-faire qu’il a étalé devant ses collaborateurs. Parmi eux, le restaurateur officiel du Vatican, Paolo Violini. Ce dernier a retouché des tableaux de Michel-Ange et de Léonard de Vinci. Quant à Ali Kichou, il a travaillé aussi sur des oeuvres de deux célèbres peintres, Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) et Peter Paul Rubens (1577-1640).
En 1989, Ali Kichou s’est retrouvé au centre d’une polémique l’opposant aux habitants d’Arpino, ville natale du célèbre avocat romain, Cicéron. Chaque année, la ville devient un chantier livré aux artistes invités qui ont le choix d’intervenir n’importe où. Avec l’accord des autorités locales, l’Algérien choisit la statue de Cicéron comme support à son travail.
Personne avant lui ne s’est attaqué au monument cher aux Arpinois. Le lendemain, la sculpture de l’avocat est méconnaissable. Remontés, les villageois s’en prennent verbalement à l’Algérien qui se défend comme il peut. En tous les cas, la statue est décorée provisoirement pour quelques jours et les gens d’Arpino le savent. Comme c’est une fête qui ressemble à une foire culturelle, la musique et les interventions des animateurs de la radio ambulante sont diffusées en direct dans tout le village à travers des haut-parleurs installés dans tous les coins de rue. L’occasion pour l’Algérien d’expliquer publiquement son intervention plastique contestée. Ses arguments sont peu convaincants mais au milieu de la foule, des inconnus prennent sa défense, la plupart sont des personnes âgées qui ont des liens historiques avec les Algériens. Durant la Seconde Guerre mondiale, ils ont combattu à Monte Cassino derrière les célèbres Tabors marocains qui comptaient parmi eux beaucoup d’Algériens. L’un d’eux a même fait de la prison avec l’ex-président Ahmed Ben Bella.
L’Algérie a formé de grands artistes qui ont fini leur formation supérieure à l’étranger et qui n’ont pas donné signe de vie depuis longtemps. Parmi eux, un certain Tsaki de Bel-Abbès qui a fréquenté dans les années soixante-dix l’Ecole des Beaux-Arts d’Oran. Il avait la main d’un génie, capable en quelques minutes de reproduire avec une précision inouïe n’importe quelle figure. Il était encore plus fort lorsqu’il dessine à partir de son imagination. Un jour à main levée, entre collègues, il avait illustré d’après la chanson de Khelifi Ahmed, l’histoire de Hizya. C’était du grand art à la lecture du graphisme varié et bien réparti.
Posté Le : 26/10/2007
Posté par : nassima-v
Ecrit par : Omar Abdelkhalek
Source : www.algeroweb.com