Algérie

Ali Kahlane, président de l'AAFSI: le retard dans le lancement de la 3G en Algérie a un coût



En Algérie, on parle de "départ", de "faillite" et de "découragement" d'opérateurs de l'Internet, alors que ce domaine crée de la valeur ajoutée et fait le bonheur de milliers d'entreprises dans le monde et chez nos voisins. L'Internet ne se porte pas bien en Algérie, mais l'espoir et la demande, professionnelle et sociale, sont persistants. Ici le constat de Ali Kahlane*, président de l'Association des providers Internet en Algérie (AAFSI).

Le retard pris dans le lancement de la 3G de la téléphonie mobile a-t-il un coût ? Si oui, à combien l'estimez-vous ?

L'immense majorité des forces vives de la nation est privée d'une infrastructure essentielle: le moyen d'accéder à l'Internet. Le retard est tout simplement incommensurable car il s'additionne à celui que nous avons dans les TIC et que nous traînons depuis au moins deux décennies. De nos jours, l'Internet est à l'économie et à l'éducation ce que l'énergie est à l'usine et au transport ! Beaucoup de nos PME/PMI vivent dans le moyen âge numérique. Des millions de travailleurs, d'enseignants, d'étudiants et de lycéens sont privés d'un moyen essentiel à leurs activités et à leur épanouissement.

Compte tenu de l'étendue du territoire et de la complexité des schémas urbains, seule la connexion sans fil comme la 3G et + pouvait accélérer le déploiement massif de l'accès à Internet. Le constat est là et il est dramatique. Nous pourrions facilement évaluer la perte du Trésor public en terme de taxes directes et indirectes, de redevances dues à la régulation et de reversement au titre du Service universel (quelques milliards USD). Nous pourrions aussi évaluer le manque à gagner des opérateurs (quelques milliards USD) et le nombre d'emplois directs et indirects que ces derniers auraient créés (quelques milliers) ainsi ce que la Sécurité sociale aurait engrangé en cotisations et primes de retraites.

Nous pourrions tout aussi bien évaluer le nombre d'entreprises qui auraient pu être créées suite au lancement effectif de la 3 G. Mais le plus dur reste pour nous d'évaluer en imaginant ce qu'auraient pu rapporter au pays 1000 jeunes Algériens à qui nous aurions permis de développer, chacun à son niveau et à sa manière, un produit numérique (application ou contenu) d'usage universel qui aurait pu être commercialisé entre 5 et 10 dollars au niveau mondial, soit 100 à 200 millions de clients potentiels… Je vous laisse faire les deux ou trois multiplications pour illustrer ce manque à gagner.

En plus de cette impatience pour la 3G, beaucoup s'interrogent si le débit et le prix seront au rendez-vous ? Autrement dit, l'Internet mobile haut débit sera-t-il à la portée de tout le monde ?

La demande en bande passante s'accroît partout dans le monde, ici comme ailleurs. Elle dépasse actuellement les 100% par an et ce n'est pas près de s'arrêter. Dans un récent entretien, j'expliquais qu'il n'existait pas de problème particulier quant à la disponibilité du débit adéquat pour la 3G.

Dans de nombreux pays comparables au nôtre, le nombre de connectés au moyen de la 3G a très largement dépassé celui de ceux qui le sont par l'ADSL. Dans un pays en particulier (le Maroc, ndlr), ce chiffre a déjà dépassé les 80% avec près de 3 millions d'internautes connectés au moyen de la 3G. Comment est-ce possible demanderiez-vous, alors que nous, en Algérie, n'arrivons toujours pas à dépasser le million depuis le lancement de l'ADSL en 2003 ? C'est la facilité de connexion qui le permet car une clef 3G ou un smartphone suffit pour établir une connexion en haut débit. Malgré les apparences, les prix ont tendance à baisser lorsque le nombre d'abonnés augmente et que le coût de la bande passante baisse aussi.

 L'impatience dont vous parlez est tout à fait légitime et compréhensible. Le développement du mobile en général et de l'Internet mobile en particulier a changé le rythme de tous les secteurs économiques et impacté d'une manière irréversible celui de l'Algérien moyen. En effet, compte tenu du retard que avons accumulé et de l'urgence, seul un sursaut en rupture totale avec tout ce qui s'est fait jusqu'à présent pourrait nous sortir de cette spirale infernale qui se nourrit uniquement de ces annonces et de leurs effets, sans aucune prise avec la réalité.

Dieu seul sait, pourtant, que ni les moyens humains ni les moyens financiers ne nous manquent, il suffirait de lancer la 3G, y croire et surtout avoir la volonté de s'y tenir. Serions-nous de nouveau capables de reprendre notre rôle de leader régional, comme au bon vieux temps de l'Informatique de Papa. Qu'à cela ne tienne, l'Etat subventionne déjà le pain et le lait, ajoutons-y l'Internet !

Où en est le projet de Partenariat public-privé que devait conclure l'AAFSI avec Algérie Télécom ?

Le rôle bien compris d'Algérie Télécom serait de s'équiper et de s'organiser pour fournir toutes les capacités et les facilités pour la couverture la plus large et la plus efficiente possible du pays. La pleine satisfaction des usagers et le développement durable en matière d'Internet sont une nécessité. Algérie Télécom ne doit pas être exclusivement guidée par la seule logique mercantile. Elle doit en priorité assumer le service public dont elle a la charge et ne doit pas s'égarer dans des activités annexes. Ceci dit, nos discussions avec Algérie Télécom ont repris. Nous sommes toujours dans l'attente que des entreprises nationales professionnelles des TIC puissent enfin entrer en partenariat avec Algérie Télécom, pour encore mieux servir le citoyen. L'opérateur historique avoue lui-même avoir besoin de ce partenariat pour l'aider dans une tâche qu'il déclare ne pas être capable d'assumer seul, vu les délais fixés par le président de la République pour atteindre ces objectifs.

Nous sommes, bien sûr, toujours aussi confiants que le premier jour… c'était en 2002 à la création d'Algérie Télécom. Avec le temps, nous avons appris à dompter notre optimisme et à contrôler notre enthousiasme.

Faut-il comprendre par ce partenariat que le monopole d'AT sur la bande passante sera brisé ?

Non, pas du tout. Algérie Télécom est l'opérateur historique légitime pour gérer les actifs nationaux, la bande passante en fait partie. Quant aux ISP (fournisseurs de services Internet, ndlr), nous sommes toujours aussi bien placés et prêts à valoriser la connexion Internet offerte par AT ou un opérateur alternatif, avec du contenu et des services à valeurs ajoutées.

L'avènement de la 3G serait une aubaine pour les ISP, elle devrait offrir de nouveaux services. Êtes-vous prêts ?

Nous sommes prêts depuis des années. Malgré le retrait de leur licence pour non activité à beaucoup de nos confrères, le départ des uns et la faillite des autres et surtout le découragement de plus en plus important de la plupart. Nous sommes toujours disposés à offrir le meilleur des creusets aux nombreux talents algériens, jeunes diplômés et férus des TIC qui ne demandent qu'à s'exprimer et autant que possible, dans leur pays.

Il ne faut pourtant pas grand-chose pour cela ; un véritable cadre de coopération et une relation de confiance entre les entreprises professionnelles des TIC d'un côté et les pouvoirs publics et l'opérateur historique de l'autre. Cela permettra aux premiers de développer des applications et de nouveaux services et aux seconds de les offrir au citoyen pour une amélioration de son cadre de vie et de travail. Les m-éducation, m-santé, m-banque et autres m-gouvernement dont on parle tant, pourront enfin être une réalité de tous les jours.

*Ali Kahlane est président de l'Association Algérienne des Fournisseurs de Services Internet (AAFSI – www.aafsi.dz), il est membre ès qualités du Comité Sectoriel Permanent de la Recherche pour le Développement des TIC (MPTIC), il est membre de la Commission nationale du haut et très haut débit, il est ancien professeur à l'Ecole Militaire Polytechnique (ex-ENITA) et Docteur en informatique (Ph.D, UK).




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