Algérie

Ali Kader écrivain, à L’Expression «Je raconte un événement dramatique»



Publié le 22.09.2024 dans le Quotidien l’Expression

Ali Kader est l'auteur de plus de dix romans en français, en tamazight et en arabe. D'amour et de sang est son tout nouveau roman paru aux éditions Talsa. Le livre paraît simultanément en français et en arabe.
L'Expression: Pouvez-vous nous dire comment est née l'idée d'écrire ce livre?

Ali Kader: L'idée d'écrire ce livre ne date pas d'aujourd'hui, elle est assez ancienne. L'année 2012 m'a fait découvrir la région dans laquelle avait eu lieu le dramatique événement que je raconte. Au détour d'une visite commémorative à Aïn Aden, en compagnie des autorités locales, je ne pus réprimer mes larmes devant la stèle édifiée sur les hauteurs de Sfisef. Qu'ils furent vifs et tristes ce moment de recueillement et l'évocation de ces braves gens, éducateurs de leur état, qui eurent à affronter courageusement, les yeux dans les yeux, et la mort et leurs bourreaux.

Est-ce que le fait d'avoir travaillé et vécu à Sidi Bel Abbès est pour quelque chose dans le choix de ce thème?

Je crois que, d'une manière ou d'une autre, l'idée était en moi. J'aurais écrit ce livre tant il me tenait à coeur. Ce ne fut que partie remise tant cet événement tragique m'avait marqué déjà du jour où il fut commis. Ce jour-là, il est vrai, j'étais loin, à des centaines de kilomètres d'Aïn Aden lorsque la presse nationale avait rapporté cet abject drame. J'étais complètement retourné et révolté. Tout le monde était ému et ne croyait pas que cela pouvait arriver. S'en prendre à onze femmes et un homme, des enseignants qui avaient le courage et la volonté d'aller travailler à une quinzaine de kilomètres de chez eux, des personnes qui ne faisaient que semer l'espoir et la connaissance dans les petits coeurs d'écoliers innocents de ce grand bout d'Algérie, une campagne reculée, est un acte innommable, immonde, même si tout acte ôtant la vie à autrui est odieux. Naturellement, le fait d'avoir eu la chance et l'honneur de travailler à Sidi Bel Abbès, une immense et splendide région, de connaître des gens humbles et magnifiques, m'a grandement aidé.

Comment avez-vous procédé au travail de collecte des témoignages?

La première fois où j'avais voulu me lancer dans l'écriture de ce livre en 2014-2015, je n'avais pas eu la réussite escomptée. Cela ne fut pas couronné de succès. Les contacts que j'avais eus à travers mes propres connaissances furent un échec. On disait oui puis, au moment voulu, on se rétracte. Ce n'est pas grave, car la chance allait me sourire au détour de rencontres au Sila où des personnes de la région, éprises du même désir que moi, avaient pris à coeur de me présenter les deux témoins principaux (il y en a d'autres, naturellement). Il s'agit d'une enseignante qui n'a eu la vie sauve que grâce au retard de la voiture du clandestin qui convoyait son groupe et au chauffeur de la 404 (photo en médaillon en quatrième page de couverture) ayant assisté de bout en bout à l'horrible massacre. Ces deux personnages clés ont eu le courage et la bienveillance de m'entretenir de cet événement pendant des heures à Sfisef, puis au téléphone pour des compléments d'informations lors de la rédaction de l'ouvrage. Qu'ils trouvent ma gratitude renouvelée à travers les lignes de cet entretien.

Dans quelle ambiance se sont déroulés les entretiens ayant constitué la matière de votre récit en sachant à quel point les événements en question sont traumatiques?

Naturellement, vous aurez compris que l'émotion était à son comble lorsque les deux narrateurs déroulaient l'événement. Un exercice difficile, car il est évident que, presque trois décennies après cette tragédie, les deux personnes avaient la gorge nouée. Moi-même et les autres femmes et hommes présents aux entretiens eurent des pincements au coeur et la chair de poule lorsque le chauffeur de la 404 s'était mis à raconter d'une manière détaillée la manière dont fut assassiné l'enseignant d'abord et, comble de l'horreur, celle avec laquelle furent froidement égorgées les onze enseignantes. Il est indéniable que de tels évènements aussi traumatiques que ceux vécus par ces acteurs laissent des séquelles des années après. Nous en étions fortement imprégnés lors des discussions.

Vous êtes-vous limité aux faits réels pour écrire votre roman ou avez-vous ajouté un peu d'imagination?

Tout d'abord, permettez-moi d'apporter une précision importante aux lecteurs. Cet ouvrage n'est pas un livre d'histoire. Loin s'en faut, il n'a pas cette prétention. C'est un roman, comme tous les autres romans qui naissent. Un jour, peut-être, arrivera où les historiens vont se pencher sur cette période des plus tragiques que notre pays a traversée. J'ai laissé voguer mon imagination au gré de mon inspiration et des descriptions de lieux et des personnages qui n'ont aucun lien avec l'environnement immédiat de l'histoire. Pour donner de la contenance au livre et offrir au lecteur un vécu aussi poignant que réel de la situation de l'époque, j'ai transposé des faits ayant réellement eu lieu ailleurs, mais pas nécessairement dans la région.

Pourquoi avoir traduit votre livre en arabe et choisi de l'éditer en même temps dans les deux langues?

La traduction faite par Omar Tabek s'est imposée d'elle-même afin d'offrir un ouvrage qui relate des faits que tout le monde connaît superficiellement mais, surtout, aussi, afin que celui-ci soit à la portée de tous. En français ou en arabe, j'espère que tout un chacun pourra le lire.

Quel est votre objectif en écrivant ce livre?

Sans prétention aucune, ce livre est écrit uniquement pour rendre hommages aux victimes de la barbarie et perpétuer les idéaux de ceux qui se sont sacrifiés pour que vive notre pays.
L'amnésie est la pire des choses. «Il est des balles qui tuent. Et des silences aussi.» J'espère que cette petite tirade insérée en tout début de l'ouvrage D'amour et de sang répond amplement à votre interrogation.

Aomar MOHELLEBI



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