Fils de Baba Ali kaïd du Sébaou.
Turc d'origine, fut pris dans les rangs de l'Oudjak. Il eut pour mission impérative de marcher contre le bey de Tunis et d'y mettre tous les moyens pour venger l'affront que venait de subir l'armée algérienne.
Dès son installation donc, Ali Bey se mit aux préparatifs de cette expédition. Rien ne fut négligé pour que la réussite fût complète. Les hommes abondamment approvisionnés en munitions et vivres, reçurent des bonifications à leur solde. L'ordre dans lequel les troupes devaient se mettre en marche était réglé, et l'on était à la veille du départ, lorsqu'un messager extraordinaire vint annoncer l'arrivée très prochaine du bach agha Hussein, avec des renforts et des vivres en quantité importante. Contre ordre fut aussitôt donné pour retarder le départ.
Ce contretemps inattendu fut fatal pour tous. Deux incidents, dont l'un fut la cause principale d'événements tragiques, bouleversèrent totalement l'ordre des choses.
Après la défection de certains chefs au combat de l'Oued Serrat, Mustapha Ben Achour, accusé de traître, s'était enfui dans les montagnes du Ferdjioua, où il se maintint en état d'hostilité ouverte. Son cousin Smaïl Ben Chelghoum avait été nommé cheikh à sa place, et naturellement la guerre éclata entre eux. Aidé par les janissaires du bey, Smaïl réussit à battre son rival à Merdj Sahel, chez les Beni Bedjaled, et le força à se retirer dans les montagnes des Babor. Désirant, cependant se réconcilier avec Ali Bey, Mustapha Ben Achour, profita du passage, dans les plaines de Sétif, du bach agha Hussein pour présenter sa soumission et lui demander l'aman.
Le bach agha, touché de son repentir et des précieux cadeaux qu'il lui offrit, lui accorda sa grâce et lui promit de s'employer auprès du bey pour le réhabiliter. Ben Achour, confiant en cette haute protection, n'hésita pas à se présenter à Ali Bey sans attendre aucune explication de sa part, il le fit arrêter et mettre aux fers. Quand le bach agha l'apprit, il reprocha au bey ce comportement vis à vis d'un homme auquel il avait accordé protection. Ali Bey lui fit comprendre que « cet homme était un traître condamné à mort par le dey. Non seulement, il s'était enfui pour échapper à la sentence, mais aussi, il avait pris les armes contre l'autorité turque. Son repentir apparemment sincère ne pouvait être qu'une supercherie cachant des intentions perfides ». Le bach agha n'insista pas mais n'en garda pas moins une certaine rancoeur à l'égard du bey.
Le bey informa, tout de même, le dey de cet incident de crainte qu'on lui déformât les événements. Le dey approuva sa décision en ces termes : « Que Dieu t'accorde ses récompenses pour le bien que tu as fait en emprisonnant ce traître, ce débauché qui a nom Mustapha Ben Achour, celui là même qui a jeté la perturbation dans la province, qui a excité à la guerre civile et allumé l'incendie de la révolte avec tous les malheurs qu'elle entraîne. Depuis que tu lui as mis les fers aux pieds, la province a repris son calme habituel » (1).
(1) « Le dernier Bey de Constantine » par Vayssettes. Revue Africaine 22e année, 1878. (Voir lettre ci après).
Lettre de Ahmed Pacha à Ali Bey.
« Louange à Dieu. A celui dont les racines et les rameaux augmentent sans cesse dont la race s'est conservée pure dans tous les temps ; dont la libéralité a atteint la limite extrême ; à celui qui a été abreuvé aux eaux de la science trône magnifique et lumineux, trésor précieux et incomparable ; à notre illustre fils, notre ami le plus cher et le plus aimable ; à Si Ali Bey de Constantine, salut. Que Dieu vous accorde sa bénédiction et vous comble de sa faveur et de ses grâces.
« Nous avons reçu votre bien aimée lettre dont nous avons admiré la précision et l'élégance. Puisse le Dieu de bonté vous venir en aide dans l'accomplissement de tous vos desseins, qu'il prolonge les jours de votre seigneurie et qu'il vous accorde ses récompenses, pour le bien que vous avez fait en emprisonnant ce traître, ce débauché, qui a nom Mustapha Bon Achour ; celui-là même qui a jeté la perturbation dans la province, qui a excité à la guerre civile et allumé l'incendie de la révolte, avec tous les malheurs qu'elle entraîne après elle. Depuis que vous lui avez mis les fers aux pieds, la province, nous dites-vous, a repris son calme habituel. Que Dieu vous accorde ses bénédictions pour le bien que vous avez fait, et qu'il vous seconde dans vos projets.
« N'oubliez pas, mon cher fils, vous l'homme généreux, Sincère, obligeant, zélé, que vous êtes le chef de la province, que vous tenez dans vos mains la vie de vos sujets, que pas un ne doit se soustraire à votre commandement, ni s'opposer à ce que vous jugez convenable. Mais souvenez vous aussi que si nous vous avons investi d'une si haute puissance, ce n'est que pour que vous l’employiez à la pacification complète du pays. Si nous avons accumulé sur votre tête toutes les affaires de l'Etat, si nous vous permettons d'y introduire telles réformes que vous suggérera votre esprit, à notre tour nous espérons que vous ne tromperez point la confiance que nous avons dans la sagesse et la droiture de votre jugement.
Sachez aussi, Illustre seigneur et notre fils bien-aimé, que ce que nous désirons de vous et ce que nous vous recommandons particulièrement, c'est qu'après avoir imploré l'assistance de Dieu, notre maître et celui de toutes les créatures, vous vous portiez sans retard et par une marche rapide à la conquête de ce pays (Tunis). Enflammez par votre zèle le courage de vos troupes, et qu'une sainte ardeur anime tous vos soldats.
Vivez en paix avec votre frère Hossein Agha ; soyez pour ainsi dire deux âmes en un seul corps. Consultez vous mutuellement dans tous ce que vous entreprendrez. Admettez dans vos conseils les hommes renommés par leurs capacités, leur instruction, leur fermeté, leur audace et leur longue expérience des affaires. Veillez à ce que rien ne manque aux soldats, aux goums et aux axillaires. Soyez bienveillant pour tous et en particulier pour les chefs des contingents arabes. C'est le plus sûr moyen de vous les attacher solidement.
« Si vous atteignez bientôt le but de vos désirs et que vos ennemis, battus, fuient de toute part, par les mérites de notre Seigneur Mohamed, qui a reçu du Ciel le sublime Coran, que Dieu répande sur vous et sur votre madjlis ses faveurs et ses grâces ».
Ecrit par ordre du magnifique, du magnanime et du très élevé Si Ahmed-Pacha. Puisse Dieu lui accorder tous les biens qu'il désire».
Traduction de E, Vayssettes, professeur au Collège Arabe Français. Revue Africaine n° 21 traitant de l'Histoire des derniers beys de Constantine, p. 201.
A cette époque, vivait à Qacentina, un ancien chaouch du dey nommé Ahmed Chaouch Bou Tortoura dit Ahmed El Kebaïli, expulsé d'Alger à la suite d'un complot ourdi contre le dey auquel il avait pris une part active. Après six années de pérégrination en Kabylie : Bejaia, El Koll, Jijel, d'où son surnom, il échoua à Qacentina. Il s'établit près de la caserne des janissaires de Rahbet El Djemal, cachant ses véritables desseins il se montra avec tous : affable, généreux, grand seigneur. Au bout d'un certain temps, il s'acquit des amis parmi les janissaires et noua de bonnes relations avec d’autres Turcs et bourgeois constantinois dont les Ben Djelloul auxquels il donna sa fille en mariage à l'un de leurs fils. Il s'acoquina aussi avec certains cadets de familles kurughlis avides de plaisirs et d'aventures. Peu à peu il découvrait son jeu. Il réussit à créer autour de lui une ambiance hostile au bey et à convaincre certaines personnalités et officiers de la milice de s'en débarrasser. Il prit contact avec Mustapha Ben Achour au fond de son cachot pour l'informer de sa prochaine libération et lui faire promettre 1’appui de ses partisans.
La trame du coup d'Etat fut si bien tressée, le secret si bien gardé par les conspirateurs que rien ne parvint aux oreilles d'Ali Bey, et, on n'attendit plus que le moment propice pour passer à l'action.
A la nouvelle de l'arrivée de Hassan Agha, le bey partit au devant de lui au camp de Feskia, près de Djebel Guérium. Ils regagnèrent ensemble la capitale laissant leurs troupes en campement non loin de la ville.
Ahmed Chaouch profita de leur absence pour pénétrer dans le camp où la plupart des officiers et janissaires le connaissaient. Profitant de l'attroupement qui s'était fait autour de lui, avec une éloquence brutale qui plaît et fait impression sur les masses, il harangua la troupe. Il réussit, en peu de temps, à bouleverser l'opinion en faisant ressortir l'inutilité de cette guerre, les dangers que chacun encourait, le peu de bénéfice que les rescapés en tireraient, alors que lui offrirait des avantages considérables à tous s'ils l'appuyaient dans son coup d'Etat. Ses paroles produisirent l'effet attendu. Acclamé, porté en triomphe, il fut proclamé bey de Qacentina.
L'insubordination gagna rapidement les autres corps de troupes, Et, comme pour servir de prélude au drame sanglant qui allait se jouer, un grand nombre de janissaires se répandirent dans la ville, pillant les boutiques, envahissant les marchés, faisant main basse sur tout. Les goumiers à leur tour suivirent le mouvement. Le désordre et la confusion étaient au comble. Hadj Ali et Ali Bey, après de délicates et pénibles tractations avec les officiers et les chefs de goums, réussirent à rétablir le calme et à obliger les troupes à regagner leur campement, mais les plus résolus et les principaux meneurs demeurèrent dans l'ombre, décidés à aller jusqu'au bout de leur dessein. Le calme apparemment rétabli, le bach agha et le bey fixèrent la date de départ au vendredi après la prière.
Ce jour là, tous les chefs se rendirent à la mosquée de Souk El Ghezal. Au moment où l'imam s'apprêtait à prononcer sa khotba, les conjurés se précipitèrent dans la salle et fermèrent les portes, Des coups de feu, fusant de toutes parts, abattirent plusieurs hommes désemparés et sans armes, Le bach agha fut tué aux premiers coups ; ses vêtements arrachés en lambeaux, son corps fut jeté dans la rue. Le bey réussit à s'échapper par Bab Derroudj. Il alla se réfugier dans la maison de Namoun, beau père de Mustapha Khodja, dans le quartier de Ghedir Belghatas ; or, ce dernier, jaloux de la fortune de Ali Bey, le haïssait. Aussi alla t il immédiatement informer l'usurpateur de la cachette du fugitif.
Arrêté, durement malmené, Ali Bey réussit, tout de même à échapper à ses gardes alors qu'ils le traînaient vers Dar el Bey. Il se réfugia dans une maison voisine appartenant au boulanger Messaoud bien connu de lui. Mais il fut vu par le milicien Bel Atrache au moment où il y entrait. Ce dernier, grimpant à la terrasse attendit qu'il se découvrit et l'abattit de sang froid. Le corps décapité, entièrement dépouillé de ses vêtements, fut jeté dans la rue, et la tête remise comme trophée à Ahmed Chaouch (2).
(2) Cherbonneau, dans la Revue Orientale de décembre 1852, p. 398, rapporte les faits de la manière suivante :
« Ali Bey crut d'abord qu'il était victime d'une trahison de la part du bach agha à la suite de l'incident de Mustapha Ben Achour. Il s’élança sur un des chaouchs algériens qui se tenaient à la porte d'honneur et le tua ; mais ayant rencontré les soldats apostés là, prêts à faire feu, il s'enfonça, tête baissée, dans la foule, et gagna une autre issue, dite Bab Douroudj (la porte des escaliers). Puis se glissant dans la maison de Namoun, il conjura les femmes et les serviteurs de l'y cacher. Mais Ahmed El Kebaili, n'avait pas perdu un Instant. Pendant que ses complices envahissaient la mosquée, Il s'était emparé facilement de Dar el bey. Mustapha Khodja, qui devint plus tard Agha à Alger, s'y rendit et le trouva assis sur la doukana, siège d'honneur qui servait de trône dans les jours de solennité. Il lui baisa les mains avec une vivacité obséquieuse, le félicita de sa nouvelle fortune, et s'empressa de lui dénoncer la retraite de Ali Bey. Aussitôt des mesures furent prises pour investir la demeure de Namoun et des rues adjacentes. En même temps, Mustapha Khodja, l'ennemi secret de Ali Bey, vint lui conseiller de sortir de chez son beau-père Namoun.
A peine Ali Bey eut il mis pied sur la seuil de la skifa, que les gens embusqués firent une décharge sur sa personne ; quoique blessé, il eut le bonheur d'arriver jusqu'au bout du boulanger Messaoud. La force de son bras tint ses agresseurs à distance et lui donna le temps de s'esquiver en reculant le long du mur, dans l'intérieur de la maison ; déjà plusieurs hommes l'avaient escaladée et s’étaient établis sur le toit. L'un d'eux, kabyle de la tribu des Zouaoua, nommé Ahmed Bel Atrache, inscrit sur les rôles de la milice turque, écarta quelques tuiles, et ajusta presque à bout portant Ali Bey, blotti sous les combles. Son crime ne devait pas lui profiter. Plus tard, il devint aveugle et passa le reste de ses jours à Constantine, sans autres ressources que la charité des passants».
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Posté Le : 06/06/2009
Posté par : nassima-v
Ecrit par : M. Chetti
Source : beystory.free.fr