Gaz de schiste, révision de la loi fondamentale, maladie du Président, gestion du dossier du FIS dissous et l’AIS, conférence nationale, double discours de l’opposition et baisse du prix du pétrole sont autant de thèmes abordés par cette ex-magistrate d’un ton qui tranche avec celui de la langue de bois.
- Liberté: Que pensez-vous de la gestion gouvernementale de la fronde contre le gaz de schiste?
Zoubida Assoul (photo): Le moins qu’on puisse dire est que la gestion de la question du gaz de schiste s’est faite dans la clandestinité et l’opacité la plus totale, pour preuve: les contradictions relevées dans les interventions du Premier ministre, le ministre de l’Énergie et le P-DG de Sonatrach. Certains propos du ministre de l’Énergie sont graves. Il brandit la menace contre ceux qui ne partagent pas l’avis des officiels, les qualifiant d’ennemis de l’Algérie, oubliant au passage que le pays a changé et que le peuple s’est ouvert sur le monde. Le manque de transparence dans la gestion de ce dossier et le passage en force du gouvernement s’apparentent au “fait du prince” pouvant entraîner bien plus de foyers de tension que l’Exécutif ne s’imagine. Les revendications des populations du Sud tranchent singulièrement avec celles connues jusqu’alors pour être éminemment politiques, écologiques et non socioprofessionnelles. Le pouvoir devra revoir sa copie pour éviter le pire.
- Vers quoi pourrait évoluer la situation qui prévaut dans le Sud?
Les protestataires ne s’inscrivent pas dans une démarche de déstabilisation du pays ou de scission. Bien au contraire, ils agissent en prenant soin de ne pas porter atteinte à l’unité du pays. C’est ce qui est très positif. Il y a une maturité qui se dégage de ce mouvement de contestation. Toutefois, comme je viens de le dire, la situation risque de dégénérer à tout moment, si le gouvernement s’entête à ignorer les revendications des citoyens du Sud. Car nos richesses internes conventionnelles ou non conventionnelles sont la propriété de plusieurs générations et non pas seulement de cette génération. Aujourd’hui, il est établi que l’exploitation du gaz de schiste est une démarche non fiable. Elle fait l’objet de nombreuses polémiques, y compris aux États-Unis. Et puis pourquoi se précipiter vers le gaz de schiste, alors qu’il y a le tourisme, l’agriculture et l’énergie solaire à développer. L’énergie solaire, par exemple, est une énergie durable. Selon plusieurs études, si l’énergie solaire est bien développée, le pays pourra à terme alimenter toute l’Europe.
- Ce n’est pas l’unique dossier au centre d’une polémique aujourd’hui. Il y a aussi celui de la Constitution, du FIS dissous et la santé du Président. Le pouvoir s’obstine à entretenir un climat de tension dans un contexte qui ne lui est pas du tout favorable et je ne parle pas seulement de la baisse du prix du pétrole. Pourquoi?
Vous avez tout à fait raison. Comme vous le savez, j’ai eu à débattre avec Madani Mezrag récemment. Il a dit devant tout le peuple algérien qu’il avait négocié avec le pouvoir pour que l’AIS investisse la scène, en créant un parti politique. Il a même déclaré devant 40 millions d’Algériens que l’AIS active depuis l’année 2000 et pas seulement aujourd’hui. L’AIS le fait dans l’illégalité la plus totale, alors que des partis démocratiques, agréés par l’État trouvent toutes les difficultés pour réunir leurs militants ou engager un débat qui intéresse les citoyens. C’est le drame de nos dirigeants. Par leur façon d’agir, ils semblent nous dire: “Dites ce que vous voulez et nous on fait ce qu’on veut.”
C’est peut-être parce qu’ils savent que la population n’adhère pas à leurs décisions. À défaut, ils versent dans le mensonge. Pourtant la Charte pour la paix et la réconciliation nationale dans son article 26 stipule clairement que ceux qui sont mêlés à des assassinats, à des explosions et qui ont les mains tachées du sang des Algériens n’ont pas le droit de faire de la politique. Madani Mezrag était là sur cette chaîne de télévision pour rappeler au pouvoir sa promesse qui se concrétise d’ailleurs déjà sur le terrain puisque l’AIS a pu tenir son université d’été en août 2014. Le mensonge d’État continue, même si je pense qu’aujourd’hui le pouvoir est dos au mur. Quand j’ai été reçue dans le cadre des consultations autour de la Constitution par M. Ouyahia, je lui ai proposé l’idée d’une conférence nationale qui regroupe l’ensemble de la classe politique et j’ai insisté pour que le débat soit accessible à tous les citoyens pour connaître ce que chaque formation politique propose pour la sortie de crise. C’est de la transparence dont nous avons le plus besoin. C’est ce qui va sauver le pays. Car beaucoup de personnes affectionnent le double discours: un discours public et un autre pour les coulisses. Il est temps aussi que le pouvoir manifeste un signe de bonne volonté pour régler cette crise. Nous avons besoin d’atteindre ce degré d’unité nationale pour éviter à notre pays d’autres dérives plus gravissimes, au moment où la situation sécuritaire est inédite à nos frontières. Nous n’avons pas le droit de rater cette opportunité d’organiser cette conférence nationale de sortie de crise.
Le Président est malade et on nous cache cette vérité par des moyens qui sont devenus avec le temps à la limite du loufoque. La réalité est que le chef de l’État ne peut même pas s’adresser à son peuple. Il n’a pas dit un mot depuis deux ans. Les institutions sont bloquées ou ne fonctionnent pas convenablement. Le dernier rapport de la Cour des comptes est dans ce sens éloquent. Nous, à l’UCP, considérons qu’un débat national sans exclusive est le seul moyen de régler nos problèmes. Seul le dialogue est à même de régler toutes les crises. L’histoire est là pour en attester. Le pouvoir ne devrait pas s’obstiner à poursuivre une politique de déni dans un contexte explosif.
- Pensez-vous vraiment que cette conférence nationale va réussir là où d’autres initiatives ont échoué?
Le pouvoir doit participer à cette conférence nationale, mais sans imposer son agenda. Il n’a plus le choix. La manne financière s’est tarie et il n’a plus les moyens d’acheter la paix sociale en distribuant tous azimuts les lots de terrain, les logements ou en finançant divers mécanismes de création d’emplois. Même le peuple doit prendre conscience qu’on ne peut plus se permettre de dépenser sans mesure. Sans entreprendre une évaluation de tous les mécanismes et projets engagés. Pour l’Ansej, par exemple, les experts parlent d’un taux de réussite de 8%. Je demande une évaluation de tous ces dispositifs par une institution indépendante pour que le pouvoir ne soit pas à la fois partie prenante et juge. L’administration ne doit plus rester le pourvoyeur d’emplois. C’est aux entreprises de le faire pour peu qu’on leur crée l’environnement favorable.
- Quelles pourraient être les étapes suivantes?
Il faut, bien entendu, organiser cette conférence nationale et aussi élaborer une loi fondamentale pour l’Algérie et non pas sur mesure pour un pouvoir ou un parti politique. Une Constitution qui renforcera les libertés individuelles et collectives optera pour un système semi-présidentiel et un Parlement doté de plus de prérogatives. Un Exécutif à deux têtes: un président qui sera l’arbitre et le garant de la Constitution et un chef de gouvernement issu de la majorité parlementaire, comptable devant le peuple de ses choix politiques, économiques et surtout de sa gestion. En deuxième lieu, il faut aller vers le renforcement des contre-pouvoirs, élargir la saisine du Conseil constitutionnel aux formations politiques et aux citoyens et consacrer l’indépendance de la justice. Le Conseil supérieur de la magistrature ne doit plus être présidé par le chef de l’État mais par un magistrat de haut rang élu par des pairs. Il faut assainir l’environnement de l’entreprise, encourager les gens à produire et non à importer, lever la main sur l’administration. En d’autres termes, la politique ne doit plus interférer dans l’économie. L’économie doit être gérée par des règles économiques et certainement pas par des décisions politiques. Pour finir, en ces temps d’austérité, le citoyen a besoin d’un leader qui lui donne l’exemple. On s’attendait avant la signature de la loi de finances 2015 que le chef de l’État déciderait de diminuer son salaire, celui des membres du gouvernement, des parlementaires, des retraités de l’armée et tous les cadres supérieurs de l’État. Une baisse de 10 à 15%. Ce n’est évidemment pas ce geste qui va remplir les caisses publiques. Néanmoins, il constituerait un geste fort envers le peuple. L’austérité doit être un effort partagé par tous. Le gouvernement qui est la cause de toutes ces crises ne peut, de ce fait, être la solution.
Nissa Hammadi
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Posté Le : 18/01/2015
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: ©D. R. ; texte: Entretien par Nissa Hammadi
Source : liberte-algerie.com du dimanche 18 janvier 2015