Algérie

Algérie - Slimane Bedrani. Professeur à l’école nationale supérieure d’agronomie (ENSA) «La prudence dans l’exploitation de l’eau au Sahara doit être de mise»



Algérie - Slimane Bedrani. Professeur à l’école nationale supérieure d’agronomie (ENSA) «La prudence dans l’exploitation de l’eau au Sahara doit être de mise»




- Avec les annonces portant sur les projets en partenariat dans l’agriculture, peut-on parler d’engouement des étrangers pour le secteur en Algérie?

On ne peut pas parler «d’engouement» des étrangers pour l’agriculture algérienne. Le terme est, en effet, trop fort quand on fait le bilan de ce qui existe en ce domaine. Pour le moment, on ne connaît que trois cas: celui de promoteurs algériens aidés par des Espagnols dans la région d’Adrar (qui a échoué et a été arrêté en 2007), celui de la société publique AGRAL relevant de la Société de gestion des participations de l'Etat Développement agricole (Sgp/Sgda) qui prévoit de réaliser avec la société espagnole d'engineering de projets LIC une exploitation d'une superficie de 150 hectares à M'sif (wilaya de M'sila) pour la culture intensive d'oliviers et celui – en projet – prévu par Tifralait et Lacheb avec des «investisseurs» américains sur une superficie de 25.000 ha à Adrar et El Bayadh. Aucune information n’a encore été donnée par le ministère de l’Agriculture quant aux résultats de l’appel d’offres qu’il a lancé aux investisseurs étrangers pour la prise en charge de 28 fermes pilotes (propriétés de l’Etat).

- Quel avenir pour les grandes exploitations agricoles en Algérie?

Le modèle californien de mégafermes ne peut pas être reproduit tel quel en Algérie parce que l’environnement de ces mégafermes en Algérie est radicalement différent de celui de la Californie. La «greffe» ne prendra certainement pas parce que le milieu ne peut pas lui fournir tout ce qui lui est nécessaire pour se réaliser pleinement (environnement administratif, technologique, économique et social). L’une des contraintes majeures que rencontreront les mégafermes dans le Sahara est celle de la main-d’œuvre, qu’elle soit banale ou qualifiée. Faut-il rappeler que les agriculteurs se plaignent constamment depuis quelques années de la pénurie d’ouvriers agricoles?

Que ce soit sur le plan agronomique ou économique, les méga-fermes sahariennes trouveront d’énormes obstacles à leur rentabilisation.

L’expert Ferhat Aït Ali en a apporté des éléments de preuve à propos du projet Tifralait avec les Américains (cf. Maghreb Emergent du 12-2-2017 (1*) ). En tout état de cause, le gouvernement – avant de donner son feu vert – a tout intérêt à mener une étude fine (et indépendante) de tout projet de ce genre pour en identifier les avantages et les inconvénients (particulièrement en termes d’utilisation raisonnée de l’eau d’irrigation et en termes de balance-devises).

- Quelles sont les conditions à assurer pour développer l’agriculture saharienne?

Certes, l’agriculture saharienne devra se développer, y compris avec des étrangers associés à des investisseurs algériens si besoin est, mais sous des conditions impératives. Les exploitations agricoles doivent systématiquement:

• utiliser les dernières techniques d’irrigation économes en eau ;

• présenter une balance devises favorable à l’Algérie ;

• produire dans une proportion raisonnable des produits agricoles jugés stratégiques par le pays.

Auparavant, il serait urgent que les spécialistes des eaux souterraines, les agronomes et les économistes déterminent pour chaque zone saharienne les quantités optimales à prélever chaque année en tenant compte du renouvellement des nappes (qui est peut-être faible, mais qui existe néanmoins) et du coût de la mobilisation (profondeur des forages et traitement des eaux chaudes et chargées). Il faut répondre à la question: jusqu’où pouvons-nous vider les nappes «fossiles» pour préserver les droits des générations futures au cours des trois prochains siècles?

En attendant, la prudence dans l’exploitation de l’eau au Sahara doit être de mise. Il n’y a pas urgence à développer beaucoup plus l’agriculture saharienne. En effet, il vaut mieux exploiter les réserves de productivité existant dans le Nord du pays (on a des rendements moyens trop faibles par rapport à ce qui peut être techniquement et économiquement faisable) : ce sera moins coûteux en termes de devises et sans conséquences pour la préservation des ressources en eau des nappes fossiles sahariennes.

L’irrigation d’appoint (puisque la pluie pourvoit – souvent en grande partie – aux besoins des plantes) dans le Nord du pays pratiquée de façon économe permettra de diminuer significativement – et surtout de façon plus sûre – la dépendance alimentaire que ce soit en matière de céréales, de lait, de viande, voire d’oléagineux.


(1*) Tayeb Otmane et Yaël Kouzmine, Bilan spatialisé de la mise en valeur agricole au Sahara algérien, Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, document 632, mis en ligne le 19 février 2013, consulté le 30 mars 2017.

URL: http://cybergeo.revues.org/25732 ; DOI : 10.4000/cybergeo.25732


Samira Imadalou



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