- Face à la crise, le gouvernement veut se tourner vers les secteurs porteurs, notamment l’agriculture. Qu’a-t-on fait et qu’a-t-on récolté alors dans les précédents programmes lancés depuis 2000?
Il est difficile de répondre à cette question du fait de l’indigence de données fiables disponibles, que ce soit pour les productions, le financement, les moyens de production ou l’emploi. En effet, en matière de production, par exemple, les chiffres publiés officiellement ne sont pas produits grâce à des méthodes scientifiques de collecte et de traitement des données. De ce fait, on peut penser que ces chiffres pêchent sans doute par un excès d’optimisme.
Autre exemple, en matière de financement de l’agriculture, que ce soit à travers les ressources publiques ou grâce aux ressources privées, aucun chiffre n’est publié qui puisse permettre de donner un avis objectif sur l’évolution du montant des ressources dont a bénéficié le secteur agricole.
Particulièrement l’accès aux chiffres portant sur les montants et la nature des dépenses réelles faites sur les différents fonds destinés au secteur agricole (FNRDPA, FNDIA,…) et sur les budgets d’équipement du secteur, cet accès relève quasiment du domaine de l’impossible. Bien qu’on puisse estimer peu fiables les données sur les productions agricoles, il est indéniable que depuis 2000 les productions ont augmenté de façon significative.
Les bases de données de la FAO indiquent que l’indice de la production agricole de l’Algérie (base 100 = moyenne 2004-2006) est passée de 69,4 en 2000 à 158,4 en 2013. Cependant, quoi qu’on ait fait et quoi qu’on ait récolté depuis 2000, il apparaît que la dépendance alimentaire du pays reste très importante, ainsi qu’on le voit dans le tableau 2, qui montre la part des importations dans la ration alimentaire moyenne des Algériens. En moyenne quinquennale, l’Algérie importe presque les deux tiers de la nourriture de sa population.
- Quelles sont les principales contraintes à prendre en charge pour relancer réellement l’agriculture?
La relance de l’agriculture passe nécessairement par la relance de l’investissement dans ce secteur. Contrairement à ce que certains affirment, les ressources financières qu’accorde l’Etat à ce secteur restent très insuffisantes par rapport aux besoins et aux risques que courent les agriculteurs (risques climatiques et risques de marché), outre le fait que l’utilisation de ces ressources est à l’origine de bien des gaspillages. Dans un pays aride comme l’Algérie, le facteur principal d’augmentation des rendements est l’eau d’irrigation. Aussi, les investissements doivent-ils toucher prioritairement la mobilisation et l’utilisation rationnelle des ressources en eau.
De ce point de vue, les politiques menées restent insuffisantes.
a) Les subventions aux équipements d’irrigation (forages, kits d’aspersion, pompes, kits d’irrigation localisée, …) apparaissent bien faibles par rapport aux importantes dépenses dédiées à la production d’eau potable par dessalement.
b) Les autorisations administratives pour la réalisation de forages par les agriculteurs ne peuvent se justifier que dans les nappes connues pour être surexploitées. Or, ces autorisations sont exigées quel que soit le lieu où se situe le forage. Outre la petite corruption qu’entraînent ces autorisations, la mobilisation de l’eau de très nombreuses nappes par les moyens peu coûteux de la petite et moyenne hydraulique (PMH) est inutilement freinée.
Il importe donc qu’une mesure de suppression de ces autorisations de forage soit adoptée (excluant bien sûr, les nappes surexploitées comme celles de la Mitidja).
c) L’électrification des zones irriguées permet de diminuer les coûts de production par rapport à l’utilisation du diesel. Bien que l’électrification progresse significativement en milieu rural, les efforts en ce domaine devraient être plus conséquents pour satisfaire une demande croissante. D’autres contraintes que les investissements dans l’eau d’irrigation existent qui empêchent une meilleure expression des potentialités agricoles de l’Algérie.
Parmi ces contraintes, sans être exhaustif, on peut citer:
a) Les difficultés qu’ont les agriculteurs à s’approvisionner en engrais et à bénéficier effectivement de la subvention accordée à ce type d’intrants (souvent accaparée par le distributeur) ;
b) La difficulté pour beaucoup d’agriculteurs travaillant en tant que concessionnaires ou en tant que bénéficiaires d’APFA à obtenir des titres de concession ou de propriété définitifs;
c) Les «coûts de transaction» élevés que subissent les petits et moyens agriculteurs pour bénéficier des quelques avantages que leur offre l’Etat du fait de l’éloignement des centres de décision (multiples déplacements) et de la petite corruption endémique, si bien que les crédits «Rfig» et «Ettahadi», par exemple, ne sont pratiquement utilisés que par quelques gros exploitants ;
d) La faiblesse, pour ne pas dire l’inexistence, d’un service public d’alerte aux agriculteurs (stations d’avertissement agricole) en cas d’apparition de maladies de cultures, d’attaques parasitaires ou d’évènements climatiques particuliers ;
e) Le niveau technique maigre de beaucoup d’agriculteurs (particulièrement les néo agriculteurs installés depuis quelques années sur les terres publiques, mais pas seulement eux) est une contrainte importante au développement agricole. Il n’est pas compensé par des services de vulgarisation au personnel bien formé et fortement motivé ;
f) L’inorganisation des marchés agricoles qui laisse les petits et moyens agriculteurs et éleveurs à la merci des intermédiaires, les privant ainsi d’une meilleure valorisation de leurs produits et obérant donc leur capacité à investir;
g) La faiblesse des moyens matériels (particulièrement les moyens de locomotion) mis à la disposition de l’administration agricole au niveau des communes, des daïrates et des wilayates. Au lieu de maintenir des effectifs pléthoriques -donc financièrement coûteux-, il serait plus utile de consacrer plus de ressources à doter de plus de moyens et de compétences techniques et organisationnelles un effectif moindre. Une administration agricole dont les membres sont compétents et motivés est un outil incontournable de développement agricole.
- Le déficit en main-d’oeuvre qualifiée pose sérieusement problème. Ne pensez-vous pas qu’on a encouragé tout au long des années les jeunes à fuir l’agriculture?
Il est vrai que les agriculteurs se plaignent depuis de nombreuses années du manque de main-d’œuvre agricole. Il n’y a pas de doute, non plus, que les opportunités qu’a offertes l’Etat aux jeunes en matière d’emploi hors de l’agriculture ont entraîné beaucoup de ces derniers à délaisser les travaux agricoles. Mais ce n’est pas le seul facteur explicatif. Les recrutements massifs dans la Fonction publique et les opportunités d’emploi dans les secteurs économiques autres que l’agriculture sont aussi des causes importantes du délaissement des travaux agricoles par les jeunes.
Ces derniers comparent les rémunérations des différents secteurs, le degré de pénibilité des travaux qu’on leur demande, les avantages sociaux offerts et d’autres conditions (par exemple l’éloignement des centres urbains où ils peuvent trouver un minimum de distractions). Il n’y a pas de doute que les conditions du milieu agricole restent encore très insuffisantes. Les hausses de salaire agricoles que constatent les agriculteurs depuis quelques années ne compensent pas encore les désavantages du travail agricole. Les agriculteurs trouveraient plus de salariés s’ils consentaient à mieux les rémunérer en acceptant de diminuer leur profit.
C’est ce que font certains de façon indirecte: au lieu de recruter des salariés, ils s’associent à des travailleurs qui apportent leur force de travail en contrepartie d’une part négociable des bénéfices réalisés sur l’exploitation. Cependant, beaucoup d’agriculteurs optent de plus en plus pour une plus forte mécanisation. Malheureusement, le secteur industriel algérien ne répond que faiblement à la demande croissante en ce domaine, laissant le champ libre aux constructeurs étrangers. Encore une fois, la demande algérienne sert à créer des emplois dans les pays producteurs et non pas en Algérie.
- Le conseil supérieur de l’agriculture sera prochainement installé. Une telle instance apportera t-elle un plus au secteur?
Un tel conseil est nécessaire pour conseiller les décideurs et orienter les politiques agricoles vers une meilleure efficacité. Composé –on n’en doute pas – de membres d’une grande probité et d’une compétence certaine, il ne se contentera pas d’applaudir aux décisions du ministre de l’agriculture du moment en échange de quelques prébendes distribuées à quelques exploitants agricoles bien placés dans les rouages administratifs et politiques, ni de défendre des intérêts corporatistes étroits aux dépens de l’intérêt général.
Soucieux de fonder leurs recommandations, ses membres susciteront des études techniques et socioéconomiques à chaque fois que les problèmes abordés dépasseront leur compétence. Un tel conseil, par exemple, ne répétera pas l’erreur -plusieurs fois faite- de recommander la suppression des dettes de tous les agriculteurs, sans faire aucune distinction entre les différents types d’agriculteurs…
Samira Imadalou
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Posté Le : 25/09/2015
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: El Watan ; texte: Entretien par Samira Imadalou
Source : elwatan.com du lundi 21 sept 2015