Algérie

Algérie - Slimane Bedrani. Directeur de recherche au Cread: "La situation du foncier agricole autour des villes est alarmante"



Algérie - Slimane Bedrani. Directeur de recherche au Cread:
Slimane Bedrani est professeur à l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ENSA). Il est également directeur de recherche au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). Il nous apprendra dans cet entretien que les superficies prises sur les terres agricoles sont les meilleures et elles produisent des cultures à haute valeur ajoutée. La distraction de ces terres cultivables accroît, selon lui, les incertitudes sur l’avenir alimentaire du pays.

-Les terres arables en Algérie sont une ressource rare et pourtant le gouvernement a décidé le déclassement de parcelles du foncier agricole pour la réalisation de logements et d’équipements publics. Quel est l’impact d’une telle mesure sur la production agricole?

L’impact sur la production agricole dépendra de l’importance des superficies qui seront concernées ainsi que de leur fertilité, de leur topographie et de leur possibilité d’être irrigables. Souvent, les superficies prises sur les terres agricoles sont les meilleures: généralement choisies parce qu’elles sont profondes et plates, elles ne demandent pas de frais pour leur nivellement par les promoteurs immobiliers. Situées généralement dans les environs immédiats des villes, elles produisent des cultures à haute valeur ajoutée qui approvisionnent ces villes en produits frais (principalement maraîchage : salade, poivrons, tomates…). Diminuer ou supprimer ces ceintures maraîchères des villes entraînera en toute logique une hausse des prix de ces produits du fait qu’on ira les chercher plus loin.

-Est-ce qu’une telle décision du gouvernement n’est pas de nature à démotiver les autres agriculteurs qui voient la menace d’une expropriation planer sur leurs exploitations?

Cette décision n’est pas de nature à démotiver les autres agriculteurs : il est de leur intérêt de continuer à produire tant que l’expropriation éventuelle ne se réalise pas. Mais, peut-être, seront-ils moins motivés à préserver durablement la fertilité des terres dont ils craindraient une expropriation probable. Ils seraient tentés de les exploiter de façon minière, en y dépensant le moins possible pour maintenir et augmenter la fertilité (amendements, fumure organique).

-Cela ne va-t-il pas accentuer les incertitudes qui pèsent sur l’avenir alimentaire du pays?

Tout ce qui a un effet négatif sur les terres cultivables (particulièrement les plus fertiles et les plus arrosées) et sur les ressources en eau accroît les incertitudes sur l’avenir alimentaire du pays.

-L’utilité publique peut-elle supplanter la sécurité alimentaire?

Le déclassement (ou l’expropriation) pour cause d’utilité publique s’avère nécessaire quand toutes les possibilités pour l’éviter à un coût raisonnable (pour la nation) ont été explorées. Par exemple, construire une école peut nécessiter le déclassement d’une terre agricole (donc, «diminuer» la sécurité alimentaire) quant il n’y a vraiment aucune autre possibilité. Malheureusement, dans notre pays, ce n’est pas le cas : très souvent, on déclasse pour faire des constructions horizontales, gaspilleuses d’espace, au lieu de faire des constructions en hauteur (verticales) à faible emprise sur le sol.

-Quelle est la situation du foncier agricole en Algérie notamment après l’adoption de la loi sur l’orientation agricole qui contient des articles visant à protéger cette ressource?

Les informations sur la situation du foncier agricole au niveau national sont inexistantes ou, si elles existent au ministère de l’Agriculture, impossibles à obtenir pour le vulgum pecus (et surtout pour les chercheurs universitaires qui travaillent sur les problèmes de l’agriculture) sauf à le demander au ministre en personne (et encore !)(1). Il y a quelques bribes d’informations qu’on peut glaner de temps en temps sur la presse nationale.

Ainsi, apprend-on par El Watan (18-12-2005) que le ministre de l’Agriculture de l’époque donnait le chiffre de 120 à 130.000 ha de terres agricoles urbanisées depuis 1962 (dont seulement 1.500 ha par le privé). Ainsi, apprend-on, toujours par El Watan (11-12-2010), que 8.000 ha de superficie agricole utile (SAU) ont été utilisés pour réaliser des projets publics pour la seule période de décembre 2005 à avril 2008. Ainsi apprend-on par Forum Algérie (3-7-2010) que 11.900 exploitants font face à la justice pour «mauvaise exploitation et… détournement du foncier agricole relevant du domaine privé de l’Etat vers d’autres utilisations».

Mais jusqu’aujourd’hui, aucune information n’a filtré sur ce qu’il est advenu de ces poursuites. Le même média cite le ministre de l’Agriculture qui se désole que «cette situation a causé une grande perte pour le pays et a mis en danger la sécurité alimentaire de l’Algérie». De façon générale, la situation du foncier agricole autour des villes est alarmante. Les riches terres maraîchères des domaines anciennement autogérés du littoral algérois (Chéraga et jusqu’à Tipaza, Bab Ezzouar, Bordj El Kiffan, Tamentefoust, et encore au delà(2)…), par exemple, ont été couvertes de béton (et toujours avec un urbanisme horizontal, gaspilleur de terres) au cours des années 90 et 2000 malgré les lois et règlements protégeant les terres agricoles, sans que la justice ne soit saisie ou ne condamne quand elle l’est, sans qu’aucun responsable concerné du ministère de l’Agriculture ne proteste vigoureusement contre un tel mépris de la loi (en démissionnant par exemple!).

Le gaspillage du foncier agricole – qui perdure - n’est pas dû au manque de lois et de règlements. Il est dû au fait que les lois et les règlements sont ignorés par beaucoup de ceux-la mêmes qui sont chargés de les faire respecter, au fait que l’Etat de droit n’existe pas pour les détenteurs du pouvoir et leurs clientèles.

Note :

(1)Ne cherchez pas sur le site web du MADR, il est inatteignable quasi en permanence et quand on peut l’avoir, d’une pauvreté affligeante en matière d’informations statistiques de toute nature.

(2)Mais il ne faut pas oublier les scandales fonciers de la région oranaise et des régions côtières de l’Est algérien.

Nora Boudedja


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