Algérie

Algérie - Sekhri Sofiane. Docteur en sciences politiques, professeur à Sciences-Po de Dély Ibrahim: «Le peuple doit recouvrer sa souveraineté»


Algérie - Sekhri Sofiane. Docteur en sciences politiques, professeur à Sciences-Po de Dély Ibrahim: «Le peuple doit recouvrer sa souveraineté»


Elu doyen par les enseignants de la faculté de Dély Ibrahim, l’administration a refusé son installation en raison de ses positions politiques. Actuellement, Sofiane gère un master en relations internationales après avoir été à la tête d’un programme de master en études sécuritaires. Sofiane, qui est né le 6 août 1975 à Alger, a obtenu son diplôme de doctorat au Pays de Galles.

– Comment êtes-vous venu à la politique?

J’ai toujours été intéressé par la politique nationale et internationale, vu que mon domaine d’études et de recherches s’articule autour des sciences politiques et des relations internationales. Mais j’ai commencé la pratique politique en adhérant au parti Jil Jadid en 2012, juste après l’ouverture politique qu’a connue le pays suite au Printemps arabe. C’était par le biais d’un ami qui a contacté le président de Jil Jadid, qui avait annoncé sa volonté d’ouvrir le parti aux jeunes cadres afin d’insuffler une nouvelle dynamique. Cet ami, Amine Belhocine, m’avait encouragé, car au départ je ne croyais pas trop aux partis politiques.

Finalement, il a réussi à me convaincre. En 2012, j’ai participé à la vie du parti en tant que militant et pris part au congrès fondateur. J’étais membre du conseil politique. J’ai occupé le poste de chargé de la communication, puis nommé porte-parole du parti duquel j’ai démissionné en 2015. Actuellement, je milite en tant qu’électron libre. Ce que je constate, c’est qu’il y a un pouvoir qui veut imposer une feuille de route contre la volonté populaire. Le peuple est résolu et déterminé à exercer son droit dans l’élaboration de la décision politique et en pensant à son avenir, et ce, depuis le 22 février.

– Comment interprétez-vous l’obstination de l’état-major à appliquer coûte que coûte sa volonté d’organiser des élections dans un laps de temps court et dans un climat peu apaisé?

Il y a un pouvoir qui veut une sortie pour des groupes d’intérêts ou des clans. Il y a la majorité du peuple guidé par une classe politique intègre qui veut une sortie de crise pour le pays, en préservant l’Etat et ses institutions.

Pour aboutir à son objectif, le pouvoir de fait veut imposer un processus électoral dans la précipitation, quoique les conditions d’élections transparentes ne sont pas réunies et malgré le climat de tension avec les atteintes à la liberté d’expression, la liberté de circulation, le droit constitutionnel de protestation, etc. Il faut juste souligner, et ce, contrairement à la machine de propagande, que soit sur les réseaux sociaux ou par les médias audiovisuels publics et privés, que le peuple est pour un processus électoral propre et transparent.

– Alors que les étudiants manifestent chaque semaine, le CNES rame à contre-courant et se propose d’accompagner la feuille de route imposée. Qu’en pensez-vous?

Le pouvoir a toujours voulu écarter l’université du dialogue politique et sociétal, alors que l’université reste un espace de production morale et matérielle. Pour appliquer cet agenda, le pouvoir a préfabriqué des syndicats et des mouvements qui ne reflètent pas l’état d’esprit des étudiants et du corps enseignant et qui sont des appareils au service du pouvoir et pas au service de l’université et de la science. A ce titre, je peux citer comme exemple une stratégie qui a été mise en branle pour fermer la spécialité des sciences politiques de l’ancien ministre qui avait même déclaré, comble du ridicule, que l’université est apolitique.

En même temps, il a encouragé la création d’un mouvement étudiant dénommé Jil Bouteflika pour soutenir le fiasco du 5e mandat. L’après-22 février 2019 a prouvé l’échec de cette manipulation, car les étudiants ont démontré une conscience politique et un haut niveau de militantisme et de savoir, faisant ressortir qu’ils sont la locomotive de cette révolution, soit dans les sorties du mardi et du vendredi. Ce qui donne un grand espoir pour l’avenir du pays, car on a une élite jeune qui peut gérer et mener l’Algérie nouvelle.

– Les étudiants sont à l’avant-garde des luttes. Sont-ils l’alternative immédiate pour la nation?

Ils en sont très capables, la preuve, on a une diaspora à l’étranger qui est bien établie et qui est bien intégrée dans le domaine de la science et de la technologie, parce que les conditions y sont réunies pour le succès. L’université algérienne, malgré les restrictions, les problèmes, le manque de moyens, et la manipulation du pouvoir, a pu produire des élites dans tous les domaines et ce sont le véritable capital de l’Algérie. S’il y avait une stratégie d’Etat intelligente qui est en mesure d’exploiter cette richesse humaine et jeune et la fusionner avec la richesse du pays, on pourrait faire de l’Algérie un Etat fort et respecté.

– Quel est votre sentiment à propos de l’opposition? Est-elle dans son rôle, ou est-ce une remorque du pouvoir?

Je pense que le Président déchu a pu contrôler l’Etat en créant un système d’appareils politiques et non de partis politiques. Dans ce système, le pouvoir a appliqué une stratégie de contrôle basée sur la distribution de la rente, sur le clientélisme, sur les quotas et les rôles. Dans la distribution des rôles (avec mon respect aux militants engagés dans plusieurs partis politiques), ceux-ci ont été affectés aux partis de l’allégeance et de l’opposition.

Mais le pouvoir a toujours dessiné une cartographie politique à travers les élections truquées, où la majorité et la décision finale sont attribuées aux partis de l’allégeance. Si on veut construire une Algérie nouvelle avec des partis forts et solides qui ont une assise populaire et jouant leur rôle en tant que forces de proposition et un canal de communication entre le gouvernant et le gouverné, il faut restructurer radicalement le système des partis en Algérie. C’est un immense défi et un grand chantier pour le prochain Président élu véritablement par le peuple.

– L’élite algérienne joue-t-elle réellement son rôle de catalyseur et de phare de la société?

On ne peut pas considérer chaque détenteur de diplôme comme membre de l’élite, car celle-ci est une minorité exceptionnelle et influente dans son domaine, qui participe à la fabrication de l’opinion nationale dans un contexte éthique et objectif. Malheureusement, le système de la rente et du clientélisme a fait que de nombreux universitaires et soi-disant compétences ont choisi de vendre leur CV au pouvoir au lieu d’être proches du peuple.

Autrement dit, ils veulent être «élite du pouvoir» et pas élite du peuple. Dans la plupart des cas, en insultant la science, la logique et l’objectivité. Je dois toutefois saluer les membres de l’élite engagés qui ont préféré continuer le combat et le militantisme près du peuple et qui ont joué un rôle majeur dans la construction de l’état d’esprit de citoyenneté qui a déclenché cette révolution.

– Que pensez-vous du rôle négatif qu’on fait jouer aux médias et leur impact sur la société?

Je pense que parmi les stratagèmes de la contre- révolution, c’est la manipulation malsaine des médias à la solde du pouvoir qui sont forcés à jouer et à exercer une propagande qui vise l’essoufflement de cette révolution populaire pacifique.

Au-delà de la chaîne publique qui n’est plus dans son rôle, les chaînes dites privées et qui émettent de l’étranger ont démontré qu’elles sont le fruit d’une fusion entre un pouvoir illégitime et des cercles d’une mafia politico-financière qui gèrent ses affaires par l’argent sale. En réalité et dans un contexte normal et éthique, le rôle des médias est l’objectivité de l’information et l’analyse et pas la désinformation et la propagande propres aux régimes fermés et dictatoriaux.

– La reproduction du système ne va-t-elle pas aggraver la crise et plonger le pays dans un climat aux conséquences imprévisibles?

Je pense qu’avec ce forcing et cette précipitation pour les élections dans un climat d’incertitude et de terreur et de rejet populaire, on risque d’aller vers un affrontement violent et une instabilité politique durable qui va mettre la sécurité nationale en danger.

Pour cela, il est encore temps de temporiser et travailler pour créer de meilleures conditions qui vont faire du processus électoral une fête démocratique et populaire et un début de solution pour les problèmes de l’Algérie au niveau interne et externe et pas un rendez-vous imposé au pas de charge. On ne peut pas établir un dialogue sans écouter la voix du peuple et on ne peut pas organiser des élections sans la participation du peuple.

– Ce statu quo mortifère n’est assurément pas de nature à faire avancer les choses…

Pour un bel avenir du pays, il faut que le pouvoir sache que le peuple est devenu un acteur crucial dans la vie politique algérienne. Il est essentiel de satisfaire ses revendications légitimes et cela nécessite un consensus national sur une charte qui détermine les conditions et les principes pour aller à des élections transparentes. Je souligne que l’Algérie a besoin de programmes, de projets loin des conflits idéologiques et de calculs d’intérêts personnels et de groupes.

L’Algérie a besoin d’une bonne gouvernance chapeautée par les compétences du pays, que ce soit en Algérie ou au sein de la diaspora pour transformer les ressources humaines et matérielles qui existent en forces réelles.

Dans cet ordre d’idées, j’appelle au report du rendez-vous du 12 décembre 2019 et de travailler dur pour rétablir le climat de confiance entre le pouvoir réel et le peuple. Je suis rassuré qu’il y a des patriotes et des hommes libres au sein des institutions de l’Etat en mesure de faciliter la réalisation de cette tâche, car le peuple et l’Etat ont besoin d’un vrai Président soutenu par le peuple et la légitimité populaire. L’ère des présidents marionnettes n’est pas dans l’esprit de la nouvelle Algérie.

Hamid Tahri
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