- Saïd Slimani, qu’est-ce que la dendrochronologie et la dendroclimatologie, vos domaines de recherche?
La dendrochronologie (du grec dendron = arbre, chronos = temps, logos = science) est une science qui repose sur la mesure des largeurs des cernes annuels de croissance et sur leur datation précise. L’arbre étant considéré comme une archive naturelle, plusieurs disciplines de la dendrochronologie s’intéressent aux «expériences environnementales» enregistrées dans ses cernes de croissance. La dendroclimatologie est l’une de ces disciplines. Elle repose sur l’analyse de la relation cerne-climat pour reconstruire (reconstituer) et étudier la variabilité des climats présents et passés.
- Quelles observations avez-vous déjà tiré de vos recherches et à quelles conclusions définitives ou préliminaires êtes-vous déjà arrivés?
Des résultats de nos analyses à long terme de la variabilité climatique dans le nord-ouest africain, je mettrais plutôt ces deux éléments en exergue:
– la région est caractérisée par une forte variabilité climatique (succession des événements extrêmes humides et secs), mais la plus forte variabilité est enregistrée à partir de la 2e moitié du XXe siècle. Cela montre à quel point notre climat devient de plus en plus imprévisible (inondations et sécheresses récurrentes).
– Une tendance nette vers des conditions de plus en plus sèches. Les épisodes de sécheresse les plus sévères ont caractérisé les dernières décennies. A plusieurs égards, l’épisode de sécheresse pluriannuelle ayant sévi sur la période 1999-2002 paraît être le plus sévère depuis au moins la moitié du XVe siècle.
- Peut-on dire de manière formelle que le climat de l’Afrique du Nord se réchauffe et que, par conséquent, la région est appelée à devenir un désert à plus ou moins long terme?
Le réchauffement global est une réalité et la région méditerranéenne est l’un des hotspots de ce changement climatique. Ceci dit, ce phénomène est cyclique. Ce serait imprudent que d’avancer ce genre de conclusions avec des résultats couvrant des périodes sur quelques siècles, ce qui est insignifiant devant ce qu’est l’histoire du climat de la Terre.
- Les incendies de forêt étaient-ils aussi répandus dans le passé qu’ils le sont de notre temps?
Ici aussi, il y a deux éléments de réponse pertinents: en considérant les surfaces incendiées, les feux les plus étendus ne sont pas récents et ceci n’est pas seulement dû aux fameux grands incendies au napalm… Par contre, oui, la fréquence des incendies ne cesse d’augmenter et le lien entre les épisodes de sécheresses sévères et le départ d’incendies est confirmé.
- Le cèdre de l’Atlas, espèce endémique et emblématique de la région, est-il en train de disparaître?
Le cèdre de l’Atlas est endémique de l’Algérie et du Maroc et es réintroduit avec succès en Tunisie. Il est aussi introduit un peu partout dans le monde et il se porte à merveille.
Il y a lieu de souligner que l’épisode de dépérissement qui a eu lieu entre la fin du XXe et le début du XXIe siècle n’est pas le premier du genre. Deux autres épisodes – au moins – ont été enregistrés vers la fin du XIXe (fin des années 1870 et début des années 1880) et, un siècle plus tard, au début de la 2e moitié du XXe siècle (fin des années 1970 et début des années 1980).
Il est clair que ce sont plutôt les cédraies de l’Atlas saharien qui ont le plus souffert du dernier épisode de dépérissement… et encore, l’hécatombe du Belezma n’est pas observée dans les autres cédraies méridionales (Chélia, Ichmoul, Theniet El Had…) où le taux de dépérissement est de très loin inférieur ; l’impact sur les cédraies de l’Atlas tellien (Babors, Djurdjura et Chréa) a été plutôt très faible. Ceci dit, si l’évolution de la variabilité climatique continue sur la tendance actuelle, des régions plus ou moins éloignées connaîtront des conditions climatiques de plus en plus similaires (de plus en plus sèches).
Ceci pourrait mener à une modification profonde, voire à la disparition, par endroits, de conditions écologiques locales (microclimats) permettant la subsistance du cèdre de l’Atlas dans plusieurs de ses «refuges» naturels. A ce titre, certaines études soulignent ce risque sur nos cédraies – spontanées – pendant que l’espèce se porterait de mieux en mieux vers des latitudes de plus en plus hautes (jusqu’en Europe du Nord).
Photo: Saïd Slimani. Docteur en sciences biologiques, maître de conférences à l’université de Tizi Ouzou
Entretien par Djamel Alilat
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Posté Le : 13/03/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Entretien par Djamel Alilat
Source : elwatan.com du mercredi 10 mars 2021