Dans cet entretien, le président du Syndicat national des agences de voyages jette un regard de professionnel sur l’activité touristique dans notre pays. Il esquisse, même brièvement, un constat faisant ressortir une jachère. Il partage aussi ce qu’il pense être un moyen de faire revivifier un secteur peu pris en charge, un secteur, comme d’autres, victime de la gouvernance rentière.
- Liberté: Quels enseignements tirez-vous de cet éductour exploratoire?
Saïd Boukhlifa: Tout d’abord, il faudrait souligner que cet itinéraire, sur le plan paysage fantastique, reste inédit. C’est la première fois qu’un groupe d’Algériens le visitent et l’explorent. En l'occurrence, notre délégation constituée de journalistes, de propriétaires d’agences de voyages et d’experts dans le domaine. Cet éductour, même s’il fût un peu éprouvant et fatigant, il était donc enrichi par la découverte de sites grandioses, jusque-là jamais visités par des touristes algériens.
- Le potentiel semble pourtant énorme…
En un demi-siècle nous n’avons exploité qu’entre 10 et 15% du Tassili. Et la majorité des sites explorés est visités jusque-là relèvent du parc de l’Ahagar. Les étrangers étaient de loin plus nombreux que les Algériens à avoir visiter ces sites. Mais hormis le parc de l’Ahagar, tout le reste du grand Tassili est encore méconnu et pour les touristes étrangers et, surtout, pour les Algériens.
- A combien estimez-vous, en tant qu’expert et ancien cadre du ministère du Tourisme, le nombre de touristes étrangers à avoir visité la région du Sud en particulier et l’Algérie en général?
En un demi-siècle nous avons reçu moins de 200.000 touristes dans le grand Sud qui comprend l’Ahaggar Tassili dans l’extrême Sud et la Saoura (Taghit, Timimoune, Béchar, Béni-Abbès) dans le moyen Sud. Et l’ensemble de la destination Algérie, balnéaire et tourisme culturel inclus, n’a pas dépassé les 500.000 touristes reçus depuis l’indépendance.
Ce sont les statistiques réelles recensées dans le cadre du Touring (tour-opérateurs) et les agences de voyages. Autrement dit, les vrais touristes.
- Donc, les pouvoirs publics qui avancent des chiffres beaucoup plus élevés, nous mentent quelque part?
Tout à fait. Mais à la limite c’est de bonne guerre. Les pouvoirs publics se basent sur les entrées qui sont fournies par les fiches de police y compris celles établies pour les Algériens de la diaspora qui rentrent au pays.
Donc, le ministère du Tourisme se complaît à exploiter ces chiffres où sont inclus même les réfugiés syriens qui fuient le massacre, et les subsahariens qui fuient la misère ainsi que les Turcs et les Chinois qui viennent pour travailler.
Or, les références de l’organisation mondiale du tourisme expliquent bien que les étrangers résidents ne doivent pas être considérés comme des touristes.
Le ministère du Tourisme balance, bon an, mal an, parfois jusqu’à 900.000 touristes étrangers reçus. Ces chiffres ne sont pas crédibles pour être la référence pour les chercheurs et les experts en tourisme. Ce sont les touristes reçus dans le cadre des voyages organisés via les tour-opérateurs étrangers qui déterminent si une destination est solide et affirmée.
- Depuis des années, et plus particulièrement depuis, 2014, première année du déclin des recettes pétrolières, les pouvoirs publics insistent, du moins dans le discours, sur la nécessité de développer le tourisme. Existe-t-il réellement une volonté politique?
Non. Celle-ci est plutôt verbeuse. C’est une sémantique creuse et verbeuse, et qui n’est pas factuelle, c’est-à-dire exprimée par les faits. Effectivement, en 2014 à la suite de la chute des prix des hydrocarbures, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika avait chargé le Premier Ministre de l’époque, en l’occurrence Abdelmalek Sellal, de réanimer les secteurs de l’agriculture et du tourisme. Trois ou quatre mois après, il y avait eu un remaniement du gouvernement et le changement du Premier ministre Sellal et son remplacement par Abdelmadjid Tebboune. Qu’a-t-on fait alors pour encourager ce secteur ?
Eh bien, le gouvernement a fait tout le contraire de ce qui devait permettre la relance du secteur, en décidant de dissoudre le ministère du Tourisme pour le rattacher à celui de l’Environnement alors qu’on devait le renforcer et lui attribuer un budget plus conséquent. C’est un insigne que, finalement, le pouvoir demeure indifférent par rapport à ce secteur.
De nos jours, le ministère du Tourisme est revenu à son entité entière, mais depuis le discours du président, cela fait bientôt quatre ans, le budget du ministère du Tourisme, déjà insignifiant, n’a fait que diminuer.
Par exemple, les directions régionales du tourisme ne disposent, aujourd’hui, que d’un seul véhicule!
- Que préconiseriez-vous pour la relance de l’activité touristique dans notre pays?
Le secteur doit se réapproprier cette volonté politique qui a existé dans les années 70 où j’étais témoins et acteur.
Il y avait réellement une volonté politique basée sur la charte du tourisme de 1966 qui avait projeté les grands axes de développement. Autrement dit, l’investissement dans la construction des hôtels, dans la formation de l’élément humain. À ce titre, il y avait eu l’ouverture des instituts de Boussaâda et de Tizi-Ouzou, et l’École supérieure de management de l’hôtel El-Aurassi. Il y avait eu aussi, l’ouverture de cinq représentations à l’étranger chargées de faire la promotion de la destination Algérie alors émergente.
- La destination Algérie peut-elle encore être attractive?
Bien sûr. Il suffit d’une véritable politique touristique, celle-ci qu’on a eu à vivre par le passé et qui avait entraîné avec elle une adhésion citoyenne. Il y avait des offices locaux et des syndicats de tourisme dynamiques alors pris en charge par des bénévoles, issus de la société civile. Ces derniers étaient animés par leur seule volonté et leur amour à faire la promotion de leur localité, de leur ville et de leurs traditions.
- Quel type de tourisme doit-on encourager en priorité?
De l’autre côté de la Méditerranée, l’Algérie dégage une image d’une destination saharienne. Et c’est forcément le cas tant qu’on sait que 80% du territoire algérien est désertique et saharien. Donc, le tourisme saharien doit constituer notre priorité. Ensuite, il faut encourager le tourisme culturelle parce que notre pays recèle au moins 20 sites romains dont les plus connus à l’instar de Tipasa, Djamila, Timgad, etc.
Donc, nous devons faire la promotion de ces destinations, encourager l’investissement privé national à construire des gîtes sahariens de petites capacités d’accueil qui seront essaimées à travers le grand et le moyen Sud. Il faut privilégier les matériaux locaux pour leur construction telle que la pierre pour ne pas dénaturer le milieu d’accueil.
La capacité d’accueil dans le Sud atteint actuellement à peine 10.000 lits, hôtels et camping compris. Une certaine catégorie de touristes locaux se réfugie souvent chez les habitants autochtones dont la capacité d’accueil ne dépasse pas 2.000 lits. D’où, il faut également inciter et encourager les investisseurs privés à investir dans l’infrastructure hôtelière et para-hôtelière. Par ailleurs, les pouvoirs publics doivent prendre des mesures incitatives et encourageantes pour accompagner les voyagistes et les hôteliers.
Ce qui se répercutera positivement sur les prestations offertes aux touristes locaux et étrangers. Cela permettra également de réinculquer crescendo la culture du tourisme que nous avions dans les années 70 mais que nous avons, hélas, perdue au cours des 25 dernières années.
L’Algérie savait faire du tourisme à l’époque mais elle a désappris. On ne sait plus accueillir, on ne sait plus servir et on ne sait plus sourire dans nos hôtels!
Farid Abdeladim.
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Posté Le : 18/02/2018
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Farid Abdeladim.
Source : liberte-algerie.com du samedi 17 février 2018