Dans cet entretien, Dr Sabrina Rahmani, médecin spécialiste, explique comment l’exploitation de gaz de schiste peut être néfaste sur la santé publique. Elle met également en relief les risques de contamination des nappes phréatiques et albiennes.
- Dans vos écrits, vous considérez l'exploitation de gaz de schiste dangereuse pour la santé. Pourquoi et comment?
L’exploitation des gaz de schiste est effectivement nocive pour la santé publique, car sont incriminés la toxicité des produits utilisés dans le fluide de fracturation (agents de soutènement, réducteurs de friction, surfactants, gélifiants, inhibiteurs de corrosion, antimousses...) dont certains sont cancérogènes (benzène, formaldéhyde, naphtalène...), neurotoxiques (aluminium, hexane, acrylamide, toluène, xylène...), ou toxiques pour la reproduction (acide borique, toluène). Certaines substances considérées comme des perturbateurs endocriniens sont également utilisées (phtalates, butoxyéthanol...)". La toxicité de certains éléments naturels remontés en surfaces par les boues (métaux lourds, produits hautement radioactifs, bactéries anaérobies qui au contact de l’air produisent un gaz asphyxiant qui explique les oiseaux morts aux abords des gisements), en plus de la pollution de l’air. Les conclusions sur les expériences actuelles dans les pays qui ont fait le choix de l’exploitation des gaz de schiste sont alarmantes et unanimes quant à leur dangerosité.
- Quelles sont vos références?
Dans la majorité des cas, les études épidémiologiques manquent de recul (études sanitaires non systématiques et ou trop récentes, manque de transparence des sociétés exploitant les gisements sur la nature et la concentration des produits chimiques ajoutés a l’eau de fracturation). Néanmoins, aucunes de ces études ne remet en question le danger réel de l’exploitation des gaz de schistes sur la santé. Ce ne sont pas les publications qui manquent. J’en citerai particulièrement une, celle de l’Association Toxicologie-Chimie (ATC-France), car synthétique et didactique pour les profanes que nous sommes. Dans son rapport publié en mai 2011, l’ATC signale que sur les 2.500 mélanges chimiques retrouvés dans les fluides de fracturation, plus de 650 contiendraient des produits potentiellement nocifs pour l’Humain (effet neurotoxique, hémato toxique, hépatotoxique, néphrotoxique, reprotoxique). Parmi ces derniers, 22 sont classés comme cancérogènes, dont certains sont à éliminer impérativement, car ils sembleraient être responsable d’effets irréversibles, comme le benzène, le formaldéhyde, l’oxyde d’éthylène. D’autres considérés comme préoccupants pour la santé devraient être remplacés par des produits moins toxiques.
C’est l’exemple des éthers de glycol, des composés du bore, des formamides. La population exposée comme les travailleurs sur les gisements et les riverains avec des pics de niveau de pollution au niveau des sites d’activité extractive. L’apparition de symptômes, troubles respiratoires, allergies, maux de tête, saignement de nez, spasmes musculaires, étourdissements, diarrhées ainsi que l’apparition de pelades et de décès prématurés de bétail et l’apparition surprenante de pluies d’oiseaux morts ont incités les services sanitaires à des analyses de l’air puis à des analyses de sang dans lesquels des taux largement supérieurs à la norme ont été signalés.
L’étude entreprise dans le Colorado, auprès de 5.000 personnes vivant pour la plupart dans un rayon de 200 m autour des puits, a conclu à une exposition significative aux polluants, à des impacts psychologiques (dépression, stress), et à des accidents. Les investigateurs ont proposé plus de 70 recommandations pour réduire ces impacts, mais le rapport n’a jamais été finalisé du fait que la société d’exploitation contestait les conclusions de ce rapport. L’exposition se fait en contact de l’air et de l’eau potable pollués. L’air est contaminé par évaporation des substances chimiques incorporées dans les liquides de diffraction au cours des différentes étapes d’exploitation des gisements. Sont retrouvés dans l’air des polluants atmosphériques divers, comme les hydrocarbures, NOx, SOx, O3, les particules variées. L’air est aussi contaminé par les torchères, par la fuite des gaz au niveau des sites d’extraction et lors de leur acheminement dans les pipelines. La voie principale de contamination par l’air est l’inhalation, mais la pénétration par la peau n’est pas à négligée pour certaines substances. Des accidents peuvent aussi survenir, comme les explosions (exemple : Pennsylvanie), et le déversement accidentels de produits chimiques hautement toxique.
- Quelles seront les retombées négatives sur l’environnement?
L’impact est désastreux sur l’environnement. En Pennsylvanie, des forêts entières ont été dévastées et sont devenus des forêts fantômes en raison de la contamination des nappes phréatiques et à cause de la pollution de l’air. Dans le rapport de l’ACT figure la constatation suivante: «Les industries énergétiques majeures comme l’extraction des gaz et huiles de schiste ou hydrocarbures de roche-mère entraînent sur les communautés humaines un effet dénommé outre-atlantique « boom town». Cet effet «boom town» conjugue les effets positifs (développement économique) et les effets négatifs sur la population (Institut National de la Santé Publique du Québec, novembre 2010). Aux Etats-Unis, dans ce contexte, les effets à long terme sur la qualité de la vie, la santé psychologique et sociale, sur les communautés peuplant les zones d’extraction de gaz ou huiles de schiste ou hydrocarbures de roche-mère sont selon les rares études disponibles globalement négatifs. Ce qui n’est certainement pas encourageant pour les futurs pays qui veulent entreprendre l’exploitation de gaz de schiste. Il faudrait au préalable, si l’exploitation est lancée, une commission indépendante pour le suivi du déroulement des explorations.
- Comment expliquez-vous que ce débat sur les gaz de schistes ait suscité de l’intérêt dans la société civile algérienne?
Il est vrai que nous avons pris l’habitude de voir ce genre de sujet «stratégique» aux mains de spécialistes utilisant souvent un jargon incompréhensible et exclusif aux initiés. Néanmoins, il me semble que nous pouvons expliquer cet intérêt à deux niveaux. Le premier se situe à l’échelle internationale. Très vite, une communauté en état de vigilance s’est organisée. Rarement un sujet n’a été aussi rapidement fédérateur et nous pouvons parler de communauté internationale anti-exploitation des gaz de schiste. Même le pape a condamné récemment l’exploitation des gaz de schistes. De plus, si on regarde de plus prés, on comprend bien que cette histoire prend une tournure de mirage, puisque le désenchantement sur les gaz de schiste est déjà présent et on parle même d’une bulle spéculative notamment aux Etats-Unis. A l’échelle nationale, rien d’étonnant que l’on se pose des questions devant une décision aussi stratégique pour le pays et face aux échos non rassurants sur la question. Il serait plus judicieux de s’engager concrètement dans le mixte énergétique, donc plus sérieusement dans les énergies renouvelables (domaine dans lequel nous avons un retard inacceptable) ainsi que dans les économies d’énergies.
Les puits d’exploitation de gaz de schiste se situeront dans le sud algérien et nous nous devons d’être vigilants quant à l’équilibre des écosystèmes. L’eau utilisée sera pompée de la nappe albienne, véritable trésor qui pourrait être salvateur après l’ère des énergies fossiles, sans compter les risques de sa contamination, notamment lorsqu’on sait que les futures guerres seront celles de l’eau. Il faut aussi rappeler que contrairement a l’exploitation du gaz conventionnel qui nécessite le forage d’un seul puit, celle des gaz de schistes se fait par un nombre incalculable de puits, proches les uns des autres, soit environ tous les deux kilomètres. Ceci dévastera le paysage, sans compter les bacs de décantations souvent laissés à l’air libre. Ne pensez vous pas que ce gruyère rendra nos frontières moins étanches? Comment ne pas être soucieux quand on voit qu’une catastrophe comme celle de l’effondrement d’un forage réalisé par Total en 1978 sur le champ de Berkaoui à proximité de la ville de Ouargla et qui menace aujourd’hui de polluer les eaux de la ville soit passé sous silence? Les questions environnementales et de développement durable doivent être systématiquement intégrés dans notre mode de penser. C’est aussi cela sortir du sous développement. Il est vraiment regrettable que les partis politique algériens n’aient pas été au rendez vous et qu’ils n’aient pas été solidaires des représentants de la société civile qui ce sont mobilisés contre les gaz de schistes.
- Que pensez-vous de l’annonce faite concernant le lancement des appels d’offres sur l’exploitation des gaz de schistes en Algérie?
Rien de rassurant et c’est la confirmation que notre pays va droit dans le mur. Est-il acceptable qu’un pays comme la France tourne le dos aux gaz de schiste et prenne ses aises chez nous? Le sol français mérite-t-il plus de respect que le notre, encore une fois, a-t-on oublié les essais nucléaire dans le sud algérien? La société française a su résister aux lobbies car l’intérêt d’une nation se doit d’être suprême. De plus, cette décision n’engage-t-elle pas l’avenir des générations futures, ne mérite-t-elle pas un débat national sur l’avenir énergétique et économique de l’Algérie pour mettre en place une véritable vison afin de sortir de cet état de rente qui peut basculer a tout moment? Cette éternelle fuite vers l’avant ne nous permettra pas de prendre nos véritables responsabilités quant à la création de richesses à valeur ajoutée. Il est regrettable que les quelques voix telle que celle du Pr Chenssedine Chitour ou encore celle du collectif CNLC et d’autres ne trouvent pas d’échos auprès des responsables. Il est aussi regrettable que la voix de la sagesse et de la prudence ne puisse pas se faire entendre. Nous sommes contre «l’actuel» procédé d’exploitation qui met en péril l’équilibre environnemental et notre «or bleu», cette fabuleuse nappe albienne qui risque d’être sacrifiée. Attendons que les pétroliers trouvent une technique respectueuse de l’environnement au lieu de les laisser détruire nos ressources hydriques. Dans l’immédiat mettons nous au travail et utilisons la rente pour sortir de la rente.
Propos recueillis par Mehdi Bsikri
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Posté Le : 02/02/2014
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Source : El Watan.com du dimanche 2 février 2014