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Algérie - Recherche et développement technologique: Des chercheurs appellent à un plan Marshall





Un collectif de seize directeurs de recherche lance un cri d'alarme sur l'état de la recherche et développement technologique (R&DT) en Algérie. Leur constat, présenté hier lors d'une conférence de presse virtuelle via l'application Zoom, est sans appel.

La R&DT en Algérie est «livrée à elle même». Elle fonctionne «sans stratégie», «en vase clos», «sans espaces de dialogue à l'échelle nationale», «sans tableau de bord» et «sans de véritables mécanismes d'évaluation».

Ont pris part à cette rencontre virtuelle les Dr Abderrahmane Moussi et Messaoud Boumaour (animateurs du Webinar), Abdellah Khellaf (CDER), Bouhafs Djoudi et d'autres signataires.

Ce constat a déjà été adressé en mars 2020, par ce collectif, au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS), dans un document intitulé: «Manifeste sur la recherche et le développement technologique en Algérie - Etats des lieux 1998-2020».

La R&DT est «stérile, inopérante et sans impact perceptible sur l'économie nationale», constate le document qui fait état d'une «régression ineffable du secteur et ce, à contre-courant des énormes efforts pourtant consentis par l'Etat». Ces efforts sont résumés comme suit: «promulgation récurrente depuis 1998 de lois d'orientation et/ou de programmation à projection quinquennale», des «programmes de financement suite à la création d'un Fonds national de la recherche et du développement technologique (investissement et fonctionnement)», la «création d'une Direction générale (de la recherche scientifique et du développement technologique – DGRSDT, ndlr), érigée en organe central de la recherche», la «création d'agences d'intermédiation», et des «financements».

Tout cela, pour qu'au bout de plus de 22 ans, la «Capacité d'innovation» de l'Algérie, mesurée par «le rapport international «The Global Competitiveness» 2018 du Forum économique mondial», «s'affiche au 106ème rang mondial sur 140 pays avec un score désolant de 29.9/100», note le document.

Parmi les «dix manquements» relevés par le Manifeste, les signataires du document font état de l'absence: de «vision et de stratégie», «d'objectifs ciblés» et «d'échéanciers à court et moyen termes, autour des grands domaines de développement national (tels que définis dans la loi sur la R&DT)». Aussi, «la mise en œuvre multisectorielle relative à certains de ces domaines (énergie, eau...) est inexistante, en raison du défaut d'une instance de coordination et d'arbitrage».

- Sous-effectif de chercheurs

Le rapport rappelle aussi l'inactivité du «Conseil national de la recherche scientifique et technique (CNRST)», «mort-né» depuis sa création en 1992, et resté inactif même après avoir été ressuscité en «avril 2020». Présidé par l'ex-secrétaire général du MESRS (ancien recteur de l'université de Blida), le CNRST ne s'est «jamais réuni» et «ça peut durer encore deux décennies», affirme un des signataires du Manifeste.

Autre reproche, la «programmation des actions de R&DT (est) totalement inadaptée (aux) préoccupations concrètes du développement du pays». A cela il faut ajouter une «évaluation non quantifiable», «l'absence de valorisation orientée vers le développement socio-économique», et des «instances nationales d'intermédiation fantomatiques telles que l'ANVREDET (Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et du développement technologique)».

- Un secteur soumis au code des marchés publics

Mais le plus déterminant dans ce constat d'échec est «l'environnement R&DT désastreux», en raison d'«équipements en grande partie obsolètes ou en panne durable» et un effectif de chercheurs permanents de l'ordre de 2.500. «Sur un total d'environ 37.000 enseignants-chercheurs (Universités, grandes écoles), il faut compter seulement 2.200 chercheurs permanents dans les EPST et 350 chercheurs dans les entreprises», lit-on dans le document. Ce qui correspond à environ «65 chercheurs permanents par million d'habitant», ce qui est très loin de «la norme internationale» qui est, selon les explications présentées hier, de 1.500 chercheurs/million d'habitants.

Dans la partie consacrée aux «investissements» dans la R&DT, les auteurs font état de délais «qui s'éternisent sur parfois plus d'une décennie et empêchant toute continuité et dynamique des projets selon des échéances précises». «En plus de l'astreinte du respect d'un Code des marchés public très tatillon et en perpétuelle mutation, il a été constaté des procédures imposées (obligation d'un appel d'offres national préalable) dans les demandes d'acquisition et qui au final reviennent 2 à 3 fois plus cher à l'établissement (par rapport à l'achat direct chez le fournisseur étranger) et ce, au lourd détriment des enveloppes budgétaires programmées», ajoute le document. Les auteurs estiment que «la qualité de ‘fournisseur-intermédiaire' proscrite dans les anciennes moutures du Code des marchés publics semble être actuellement la règle et suscite moult interrogations sur ce qui se précise être au final un quasi-monopole au profit de certains cercles».

- La santé... parent pauvre de la R&DT

En plus d'être en sous-effectif, le nombre de chercheurs permanents en Algérie et celui des centres de recherches, 17 au total, «ne peuvent pas couvrir la trentaine de secteurs de la recherche et développement technologique». Selon les explications des intervenants au Webinar, en réponse à notre question sur l'absence de la recherche scientifique en Algérie comme levier de réaction à la pandémie du Covid-19, le secteur de la santé «est le parent pauvre» de la R&DT, citant un rapport de 2014 sur l'état de la recherche en Algérie.

C'est un «défaut de prospective et de veille technologique», affirme un intervenant pour qui la «situation de crise sanitaire» aurait dû déclencher «les relais pour proposer des solutions». Le cas des kits de dépistage qui ont fait défaut à l'Algérie durant les premiers mois de la crise, «reflète une défaillance» de l'environnement de recherche qui, s'il était structuré, «aurait permis une mise en place d'acteurs de R&DT qui vont proposer des solutions», ajoute le même intervenant.

L'absence d'une «mise en œuvre multisectorielle» est à l'origine d'autres échecs, «comme celui du programme d'énergie renouvelable, initié en 2012 par le ministère de l'Energie et mis en œuvre par Sonelgaz, et pour lequel aucun centre de recherche n'a pris part», ce qui explique que «seuls 400 MW ont été réalisés sur les 2.000 MW prévus», affirment nos interlocuteurs.

Pour toutes ces raisons, les intervenants réclament «un plan Marshall pour la R&DT» en Algérie avec une augmentation du PIB à 2% au moins, contre 0,3% actuellement (environ 45 millions dollars par an), et une «masse critique de plusieurs dizaines de milliers de chercheurs et d'ingénieurs, sur les dix prochaines années, pour réaliser les 30 domaines de recherche».



Mohamed Mehdi


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